Afrique de l'Ouest: Sortie du Burkina de la CEDEAO - « Nous rassurons nos compatriotes que tout est mis en oeuvre pour sauvegarder leurs intérêts », Roland Sawadogo, gérant intérimaire du consulat général du Burkina à Bouaké

13 Février 2024
interview

A la faveur de la 34e CAN en Côte d'Ivoire, une équipe des Editions Sidwaya a rencontré le gérant intérimaire du consulat général du Burkina à Bouaké, Roland Sawadogo. Il apprécie la situation des Burkinabè vivant dans la circonscription consulaire de Bouaké, l'accueil des déplacés du fait de la situation sécuritaire au Burkina Faso et la sortie du pays des Hommes intègres de la CEDEAO.

Sidwaya (S) : Comment est organisé le consulat général du Burkina à Bouaké ?

Roland Sawadogo (R.S.) : Le consulat du Bouaké est un poste consulaire qui existe depuis 1972, avec à sa tête, un consul général selon l'organigramme. Il comprend le service administratif et juridique et le service consulaire qui a deux sections. Une section en charge des visas et des passeports, puis une autre en charge des questions consulaires, c'est-à-dire l'établissement des cartes consulaires. Vous avez également les services d'état civil, économique, culturel et perception.

Nous avons aussi mis en place un réseau consulaire. Ce réseau est constitué de délégués consulaires et de leurs adjoints. Les délégués consulaires sont autour d'une cinquantaine dans toute la circonscription consulaire que nous gérons. Ensuite, vous avez les délégués au Conseil supérieur des Burkinabè de l'étranger. Ils sont nommés par décret, donc depuis le Burkina Faso. Ils sont en lien direct avec le ministère en charge des affaires étrangères. Nous en avons cinq dans notre circonscription consulaire. Il y a enfin les chefs de communauté qui sont aussi nos collaborateurs.

S : A combien estime-t-on le nombre de Burkinabè dans votre circonscription consulaire et quels sont leurs principaux domaines d'activités ?

R.S. : Il n'y a pas de chiffre actualisé. Mais il n'y a pas longtemps, on estimait la diaspora burkinabè de Bouaké et ses environnants à 400 000 âmes. Maintenant, pour toute la circonscription consulaire, Korhogo, Odienné, Boundiali, Yamoussoukro, Daoukro et Sinfra, le nombre est encore plus élevé. Je ne peux pas donner de chiffres non étayés par des statistiques fiables. Mais on a une forte communauté au niveau de notre circonscription consulaire. Toutefois, ceux qui se sont fait enrôler sont estimés à 216 791 personnes dont 174 913 hommes et 41 878 femmes. Il faut savoir que bon nombre ne sont pas enrôlés, sans compter ceux qui ne sont pas en âge d'être enrôlés comme les enfants. En matière d'apport économique, c'est la même situation. On n'arrive pas vraiment à quantifier. Mais nous savons que la diaspora burkinabè dans notre circonscription consulaire contribue fortement à l'économie du Burkina Faso, rien que par les transferts d'argent.

Certains investissent au pays dans plusieurs secteurs d'activités. Même avant le Fonds de soutien patriotique, il y avait eu des appels de fonds qui avaient été faits depuis le pays pour contribuer à l'effort de paix. La diaspora en son temps avait fortement contribué en nature comme en espèces. En ce qui concerne les secteurs d'activités des Burkinabè, c'est beaucoup plus le secteur agricole. Dans notre zone, on n'a pas beaucoup de production de café, cacao. Mais il y a l'anacarde et les produits céréaliers. Il y a aussi l'élevage où on trouve notre communauté. Quelquefois, ils sont employés par d'autres pour s'occuper des animaux, mais il y en a aussi qui ont leur propre cheptel.

Enfin, on retrouve également notre communauté dans le secteur informel, notamment le commerce.

S : Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontés les Burkinabè vivant dans votre

circonscription ?

R.S. : Les difficultés sont d'ordre général. Ce sont des difficultés inhérentes même à la vie en société et donc des difficultés que rencontrent aussi nos frères ivoiriens qui nous ont reçus ici. Mais pour parler précisément de la communauté burkinabè, je crois qu'il y a la question du foncier rural qui nous revient souvent. Parce que nos parents sont beaucoup plus basés en milieu rural. Ils ont des champs. Dans la plupart des cas, il n'y a pas eu de contrat formel avec le propriétaire terrien au départ. Les liens sont tels que souvent quand les parents viennent pour exploiter des espaces, c'est de bouche à oreille. Il y a l'entente avec les grands-parents. Mais après quand ces grands-parents ne sont plus là, avec les enfants, il y a de petits problèmes. Donc, il y a cette oralité qui n'a pas donné de place à l'écrit pour consolider les acquis.

Ceux qui ont pu avoir des documents écrits au temps de l'ancienne loi sur le foncier rural, aujourd'hui n'ont pas beaucoup d'inquiétudes, mais ceux qui ont travaillé dans l'oralité, sans avoir évolué dans des écrits reconnus par l'administration publique, ont souvent des difficultés. Mais aujourd'hui, il y a une évolution sur la question avec la mise en place de l'Agence du foncier rural (AFOR) qui travaille à sécuriser le foncier rural. Nos parents, bien que n'étant pas des Ivoiriens, peuvent avoir accès à ce qu'on appelle le certificat foncier qui est différent du titre foncier rural. Le titre foncier rural c'est pour ceux qui sont Ivoiriens et le certificat foncier, pour ceux qui sont étrangers. S'ils ont ce document, cela les protège et officialise leur rapport avec l'administration qui peut les défendre à tout moment.

Mais pour avoir accès à ce certificat foncier rural, quelquefois, la procédure n'est pas toujours facile. Mais nous travaillons constamment et nous faisons de la sensibilisation. Nous mettons à profit nos missions consulaires auprès de nos compatriotes pour leur parler de ces questions. Souvent, nous partons les soutenir. On rencontre les préfets, les sous-préfets, même des autorités judiciaires pour évoquer souvent certaines difficultés liées à la question, comme le cas de l'orpaillage clandestin.

Là aussi, nos compatriotes sont souvent impliqués, pour certains, dans ces activités qui sont illégales. Il y a souvent des formalités à remplir pour ceux qui veulent bien respecter la légalité. Avec ces formalités, souvent toutes les mesures de sécurité ne sont pas prises pour garantir l'intégrité des travailleurs. Ainsi, nos compatriotes se retrouvent sur ces sites et il y a des éboulements. A cela s'ajoute la destruction du couvert végétal des forêts. Nous les sensibilisons. Pas seulement pour ces cas mais c'est aussi pour tous nos compatriotes qui sont en milieu carcéral pour voir leur situation et comment les aider.

Il y a non seulement l'orpaillage mais aussi la question du trafic d'enfants. Souvent, ils font venir des enfants dans les exploitations agricoles et sur les sites d'orpaillage. Il s'agit d'autant de difficultés que nous rencontrons. Mais la sensibilisation est en train de payer. Souvent, la bonne collaboration avec la sécurité nous permet de recevoir des enfants ici. Quand ils les prennent, ils nous les amènent pour qu'on trouve des solutions. Et nous, on contacte les parents au pays, on loue des véhicules pour les ramener au pays, auprès de leur famille ou au niveau des structures sociales pour trouver des moyens pour les ramener dans leur milieu de départ.

Il y a aussi la question de l'agriculture dans les forêts classées. Souvent, il y a des complicités. On ne peut pas aller dans une forêt classée sans qu'il n'y ait des gens qui vous y envoient, souvent des gens du pays d'accueil. Donc l'un dans l'autre, on sensibilise nos compatriotes à ne jamais travailler ou à ne jamais entreprendre dans l'agriculture dans une forêt classée. On a des cas actuellement que nous observons et espérons que nos entretiens vont aboutir pour que nos compatriotes puissent vraiment sortir de ces situations pour arriver à des zones vraiment dédiées à l'agriculture.

Il y a aussi la question de la cohésion. Souvent, nous rencontrons quelques difficultés de leadership au niveau des communautés. Ici, on s'évertue à le dire que selon les textes que nous avons au niveau interne à notre mission diplomatique consulaire, il s'agit de chefs de communauté. Dans une localité, pour les organiser et faciliter le contact et le travail de l'administration locale, on demande qu'ils aient tous trouvé un chef de communauté autour duquel il y a d'autres leaders pour faciliter le travail.

Donc, le chef de communauté, ce n'est pas une question de chefferie traditionnelle, qu'il vienne d'une famille de princes ou non. Il peut venir de n'importe quelle ville, localité et ethnie du Burkina. Mais souvent, il y a des petits problèmes d'intérêts personnels qui viennent se greffer créant des soucis. L'un dans l'autre, on arrive à les sensibiliser. En dehors d'un cas qu'on est en train de gérer, un peu partout, la communauté est bien organisée autour des chefs de communauté.

S : Certains sont-ils dans des situations assez difficiles comme les rackets par exemple, et comment gérez-vous ces cas ?

R.S. : Effectivement, souvent on nous informe de ce que les autorités ou des agents de sécurité, lors des voyages, demandent à nos compatriotes des cartes de résidence. Si tu n'en as pas, il faut payer de l'argent. Nous avons toujours saisi les autorités compétentes. Et sur le terrain, chaque fois que nous sortons, nous revenons sur la question, là où il y a des situations difficiles. Nous étions à Abengourou et cela a même fait l'objet d'échanges qui ont été diffusés dans certains médias.

La carte de résidence n'est pas une carte exigible. On ne peut pas exiger à nos compatriotes qui ont la carte consulaire d'avoir des cartes de résidence. C'est illégal, ce n'est pas prévu par les textes. Toutes les fois que nous touchons l'autorité compétente, elle nous dit que ce sont des agents indélicats et qu'elle va prendre des dispositions pour trouver des solutions. Mais on constate que malgré les efforts qui sont fournis par les autorités sécuritaires ivoiriennes, il y a toujours des cas qui nous reviennent. Nous pensons qu'avec la sensibilisation, on pourra venir à bout de ces situations. Pour le milieu carcéral, des compatriotes y sont comme toutes les autres nationalités.

Ils sont accusés généralement de délits de droit commun comme les cas d'abus de confiance, de vol, de consommation et de vente de drogue, quelques cas de meurtre, d'homicide involontaire. Il faut dire que dans le milieu carcéral, souvent il y a deux situations. Il y a ceux qui sont condamnés définitivement et donc, il n'y a plus de droit de recours. Il faut espérer une grâce présidentielle pour avoir d'autres situations qui permettent de reconsidérer la situation.

Il y a aussi ceux qui sont prévenus, qui attendent d'être jugés. C'est là souvent que c'est un peu difficile. Parce qu'il y en a qui n'ont pas les moyens de s'offrir les services d'un avocat. C'est vrai que nous avons des avocats que nous connaissons, avec qui nous travaillons. Nous pouvons mettre à la disposition de ces compatriotes leur adresse pour s'assurer déjà que l'avocat est quelqu'un de sérieux.

Malheureusement, le consulat n'a pas un budget pour engager les services d'un avocat sur des situations où pourtant, il suffisait d'avoir un avocat qui va vraiment bien baliser le terrain, prendre le dossier en main. Même si vous n'arrivez pas à sortir la personne de la situation, peut-être que vous pouvez avoir des circonstances atténuantes qui seront développées par l'avocat et avoir des situations favorables aux compatriotes.

Donc, si j'ai un cri du coeur à ce niveau-là, c'est de voir dans quelle mesure on peut, à l'image de ce qui se passe au Burkina, avec l'assistance judiciaire, assister les compatriotes, surtout les cas les plus emblématiques. Pour des cas similaires, nous travaillons pour voir dans quelle mesure on peut ouvrir le dossier et essayer de trouver les solutions de droit qui s'imposent avec le système des délégués consulaires. Ces délégués vont très souvent leur rendre visite. Et à l'occasion de ces visites aux détenus, nous partons avec des vivres, des non-vivres et des médicaments.

S : L'insécurité au Burkina a entrainé un mouvement de certains de nos compatriotes vers la Côte d'Ivoire. Comment assistez-vous ces personnes dans votre juridiction ?

R.S. : La Côte d'Ivoire a reçu effectivement des vagues de déplacés du Burkina. Sur le plan

juridique, ils ne sont pas en situation de réfugiés parce qu'il y a tout une procédure pour obtenir le statut de réfugié prévu par le Haut-commissariat des réfugiés. En tout cas, selon les informations qui nous reviennent, les autorités ivoiriennes ont pris des dispositions pour accueillir nos compatriotes avec l'accompagnement du Haut-commissariat des réfugiés.

Nous saluons ce qui est déjà fait comme travail pour non seulement leur permettre d'avoir un toit, mais aussi de quoi s'alimenter et se soigner. Il y a un site qui a été mis en place à Ouangolodougou avec des hébergements provisoires en attendant l'évolution de la situation. Avant que le site ne soit fonctionnel, le délégué consulaire et la communauté recevaient ces déplacés et essayaient de leur trouver des familles d'accueil dans la ville, si bien qu'avant, vous entendiez parler de réfugiés burkinabè mais vous ne sauriez les reconnaitre parce qu'ils étaient pris en charge dans des foyers.

Les autorités ivoiriennes et le Haut-commissariat des réfugiés apportaient de l'appui dans ces familles d'accueil pour essayer d'atténuer les difficultés de prise en charge. Depuis que le site a été rendu fonctionnel, cela a permis aussi de mieux les prendre en charge. Il y a même eu deux missions l'année passée. En effet, la partie nord de la Côte d'Ivoire en termes de circonscription consulaire ne relève pas entièrement du consulat général de Bouaké. Il y a une partie qui relève du consulat général d'Abidjan. Donc il y a eu une première mission avec l'ambassade et le consulat d'Abidjan qui s'est rendue dans ces zones pour porter assistance avec des dons pour soutenir nos compatriotes. Il y a eu à cet effet, des échanges avec les autorités locales en charge de la question.

Nous, au niveau de Bouaké, avec encore l'appui de l'ambassade, nous sommes rendus la même année 2023 pour aussi apporter une assistance aux compatriotes. L'un dans l'autre, nous sommes au courant et nous suivons pas à pas. Nous remercions les autorités locales, les autorités ivoiriennes et le Haut-commissariat des réfugiés pour le travail qui est fait.

Quelquefois, il y a des familles qui viennent jusqu'à l'intérieur du pays pour retrouver des parents. Quand ils arrivent en nombre élevé, l'autorité locale est interpellée surtout avec la situation sécuritaire. Là également, nous sommes aussi régulièrement appelés à apporter notre contribution. Il y a eu ce cas d'exemple à Abolikro, dans la sous-préfecture de Languibounou. Un compatriote a reçu un nombre important de déplacés. La population qui n'était pas habituée à voir tant de monde a alerté le procureur.

Les services judiciaires ont interpellé la famille d'une vingtaine de personnes. Le consulat qui n'a pas de locaux en son sein a été contraint de trouver les voies et moyens pour les prendre en charge malgré qu'il n'ait pas de ligne budgétaire prévue. Après avoir vérifié qu'ils étaient venus se réfugier chez leurs parents, la sous-préfète et la préfète ont mené des missions de sensibilisation dans la localité avec la chefferie locale pour qu'ils y retournent. Pour les déplacés qui, au lieu d'aller sur les sites d'hébergement prévus vont chez des parents prêts à les accueillir, nous leur demandons toujours d'informer l'autorité locale pour un bon suivi.

S : Le Burkina, le Mali et le Niger se sont retirés de la CEDEAO. Quelle analyse en faites-

vous ?

R.S. : Il est vrai que c'est de l'actualité, mais c'est une question éminemment politique. Le consulat ne se prononce pas sur des questions politiques. Parce que dans le système diplomatique, c'est l'ambassade qui est habilitée à donner des points de vue par rapport aux questions politiques qui engagent donc le gouvernement. L'aspect que je peux peut-être aborder, c'est la situation de nos compatriotes. Mais pour le moment, on ne peut pas se prononcer là-dessus.

C'est une décision politique. Les instruments diplomatiques sont en train d'être mis en oeuvre. Nous suivons cette actualité et nous voulons saisir cette occasion pour rassurer nos compatriotes que tout est mis en oeuvre pour sauvegarder et protéger leurs intérêts. Tout est mis en oeuvre parce que nous savons qu'au-delà des relations multilatérales, il y a aussi les relations bilatérales. Nous sommes unis par des relations bilatérales. Nous avons le TAC (ndlr : Traité d'amitié et de coopération) et d'autres types d'accords. Nos peuples sont des peuples frères qui vivent ensemble avant même la création de ces Etats et de la CEDEAO. Donc, l'un dans l'autre, quelle que soit l'issue, les populations doivent être rassurées que leurs intérêts sont pris en compte.

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