Considéré comme l'un des plus fins connaissaisseurs du football africain, Frank Simon a commenté la Coupe d'Afrique des nations (CAN) pour CAF TV . Pour Les Dépêches de Brazzaville, le journaliste français dresse un bilan de cette fabuleuse édition ivoirienne. Entretien.
Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Bonjour Frank. Vous venez de rentrer de Côte d'Ivoire où vous couvriez cette CAN 2023. Qu'avez-vous pensé de cette finale en particulier et de la compétition dans son ensemble ?
Frank Simon (F.S.) : Cette rencontre a été le beau point final d'une compétition merveilleuse. La plus belle équipe a gagné hier soir. Cela récompense un parcours fort en émotions et en rebondissements. On avait un peu l'impression que c'était écrit et pourtant, c'était totalement improbable. Je dois admettre que j'ai du mal à rester indifférent au parcours des Eléphants puisque ma femme et mes enfants sont Ivoiriens. J'ai été totalement emporté dans cette vague d'émotions et de célébrations.
L.D.B. : Au-delà du parcours incroyable des Eléphants, cette CAN est une réussite en termes de niveau, d'arbitrage, d'affluence, d'ambiance. Peut-on dire carton plein des Ivoiriens ?
F.S. : Même s'il y a toujours des points à améliorer, on peut saluer le travail réalisé par le Comité d'organisation de la CAN (Cocan) et la CAF. Je faisais partie des commentateurs CAF sur le tournoi, à San Pedro, jusqu'en 8e de finale. Je suis donc un peu partie prenante pour l'organisation, mais je crois que tout le monde s'accorde à dire que c'est un succès. L'arbitrage, avec le recours au VAR, a été de qualité. Et sur le plan sportif, la hiérarchie a été totalement chamboulée, avec du spectacle et beaucoup de buts inscrits.
L.D.B. : Cette CAN, c'est aussi le succès, après ceux de Belmadi et d'Aliou Cissé, d'Emerse Faé, un ancien international africain devenu entraîneur. Et dans quelles conditions...
F.S. : Pour avoir travaillé avec Emerse Faé et Guy Demel à Canal +Afrique, je connais leur valeur d'hommes et de sportifs. Ça m'a d'autant plus touché de les voir réussir à relancer cette équipe ivoirienne, passée en quelques jours du statut de prétendante au titre à une formation humiliée à domicile et presque éliminée.
Emerse Faé a su mettre en place sa façon de fonctionner, avec des choix humains et sportifs forts, avec ses valeurs. Avec Guy, ils ont rendu le sourire et surtout la confiance à cette équipe. Il y a un peu de réussite face au Sénégal, puis une vraie montée en puissance face au Mali et contre la République démocratique du Congo (RDC). En finale, la meilleure équipe l'a emportée, malgré l'ouverture du score du Nigeria.
L.D.B.: Concernant l'affluence dans les stades, après quelques couacs lors des premiers matches, le Cocan a su réagir pour relancer l'affluence...
F.S. : Oui, ils ont su faire en sorte de mobiliser les gens pour aller au stade. A San Pedro (Ndlr : où se déroulaient les matches du groupe F), j'ai vu le public ivoirien venir assister aux matches du Maroc, de la RDC, de la Zambie et de la Tanzanie. Les Ivoiriens aiment fondamentalement le football et je pense qu'il y avait aussi un manque de foot depuis la dispariton du Séwé (Ndlr : ex Séwé Sport, trois fois champion en 2012, 2013 et 2014, relégué en division inférieure) de la scène nationale et internationale. Cela a donné de belles ambiances avec les supporteurs locaux mais également étrangers, notamment les Marocains à San Pédro.
L.D.B. : Le mot d'ordre de cette CAN était Akwaba, expression synonyme de bienvenue. La Côte d'Ivoire a-t-elle été à la hauteur ?
F.S. : Oui, le pays a relevé le défi de cette CAN de l'hospitalité. Les Ivoiriens sont des grands connaisseurs de foot, mais ce ne sont pas des supporteurs chauvins. Ici, c'est « on perd ou on gagne, mais après on fait la fête ». Ça s'est ressenti, y compris après la défaite face à la Guinée équatoriale. Il y avait une fierté partagée d'accueillir un tel événement, de recevoir le continent à la maison.
L.D.B. : Vous couvrez la compétition depuis l'édition 1994. Vous souvenez-vous d'avoir vu d'aussi beaux terrains lors d'une CAN ?
F.S. : J'ai eu la chance de fouler celui du stade Laurent-Pokou de San Pedro et il était magnifique. D'après les témoignages des joueurs, celui de Korhogo était bon, mais un peu dur. Peut-être un déficit d'arrosage, je ne sais pas. Mais effectivement, les terrains de cette CAN étaient de grande qualité et ça s'est ressenti sur la qualité de jeu des équipes. J'espère que ces installations seront bien entretenues pour la postérité, pour les clubs locaux. Pérenniser ces infrastructures sera le défi suivant pour la Côte d'Ivoire. J'ai eu la chance d'assister au match Nigeria-Côte d'Ivoire au « Félicia » (Ndlr, le stade Félix-Houphouët-Boigny d'Abidjan), qui a été renové, il était magnifique.
L.D.B.: Avec cette CAN, on sent que la Côte d'Ivoire a marqué les esprits, au-delà du terrain.
F.S.: Le pays a investi beaucoup d'argent, j'ai entendu parler de la somme de quatre milliards de francs CFA (certains medias, comme la BBC, ont évoqué un milliard de dollars d'investissements) dans les stades, mais aussi les routes, les aéroports, les infrastructures médicales et hôtelières. Avec cette CAN, la Côte d'Ivoire a franchi un vrai cap structurel. Sans faire de politique, je crois que mêmes ceux qui ne sont pas sympathisants du président Ouattara ont reconnu cette réussite. Pourtant, pendant les travaux, les gens boudaient et grognaient. Et au lendemain de la finale, on se dit : « Mon dieu, quelle belle Coupe d'Afrique des nations ! ».
L.D.B. : Et alors, Frank, peut-on dire que c'était la plus belle des CAN, comme on le lit et on l'entend beaucoup ces derniers jours ?
F.S. : Oui, je crois qu'on peut le dire, objectivement, pour toutes les raisons que l'on a énoncées ensemble. La seule ombre au tableau, finalement, c'est que ce n'était pas l'année des pays d'Afrique du Nord. Pour le site que j'anime, www.2022mag.com, qui est dédié au foot arabe, ce n'était pas idéal. Mais, quoiqu'il en soit, j'ai adoré cette CAN 2023, la plus belle des Coupes d'Afrique des nations.