Cameroun: Le vaccin antipaludique à l'épreuve de l'hésitation vaccinale au pays

14 Février 2024

YAOUNDE — Les responsables du Programme élargi de vaccination (PEV) du Cameroun disent être conscients des défis qu'ils doivent relever pour faire accepter le vaccin contre le paludisme introduit depuis le 22 janvier 2024 dans ce pays où la méfiance des populations à l'égard des vaccins est des plus élevées.

« Chaque nouvelle introduction d'un vaccin au Cameroun s'accompagne de polémiques et de la désinformation. C'est quelque chose que nous avons déjà intégré et que nous ne pouvons pas éviter », indique Shalom Tchokfe Ndoula, secrétaire permanent du PEV.

L'intéressé souligne qu'au regard de ce contexte, son équipe a, dès le départ, mis en place un dispositif qui consiste dans un premier temps à procéder à une « écoute sociale ».

"Le vaccin offre une protection supplémentaire contre les formes graves de la maladie et les décès dans les zones couvertes. Cependant, la condition pour l'impact est son administration au plus grand nombre d'enfants cibles"Jean-Louis Abena, médecin de santé publique

« Celle-ci nous permet de recueillir, par tous les voies et moyens, les préoccupations des parents, de ceux à qui le vaccin est destiné, pour préparer des messages clés contenus dans les supports et qui sont aussi diffusés dans les radios communautaires en langues locales », explique ce médecin de santé publique.

En deuxième lieu, selon ses explications, ces mêmes messages clés sont portés par les agents de santé communautaire et repris dans les causeries éducatives qui précèdent toutes séances de vaccination dans les centres où le vaccin antipaludique est proposé.

De plus, les équipes du centre d'appel répondant au numéro 1510 ont été mises à contribution pour répondre aux questions des parents. « L'objectif est de susciter l'acceptation et le recours au vaccin antipaludique par au moins 90% des parents cibles », précise Adalbert Tchetchia, sociologue de la santé et responsable de l'unité Mobilisation sociale au ministère de la Santé publique.

« Convaincre les gens dont on a affecté la confiance par la désinformation est quelque chose qui prend du temps», reconnaît Shalom Tchokfe Ndoula. Néanmoins, ajoute-t-il, « nous travaillons avec les organisations de la société civile et en collaboration avec le Programme national de lutte contre le paludisme afin de promouvoir non seulement le vaccin contre le paludisme mais aussi toutes les mesures de lutte contre cette maladie ».

Le résultat de cette stratégie est que au 3 février 2024, ce sont par exemple 2 631 enfants qui avaient déjà reçu le vaccin dans les quatre districts de santé de la province du Nord, l'une des plus touchées par le paludisme dans le pays.

« Nous observons pour le moment qu'il y a un réel engouement dans tout le district », indique Prince Eugène Bayebane, médecin-chef du district de santé de Guider située dans cette province.

Il en est de même dans la province du Centre (Yaoundé et ses environs) où Brice Edzoa Essomba, coordonnateur du groupe technique régional du PEV pour cette région fait savoir qu'il n'y a « pas de soucis avec l'administration » de ce vaccin.

Quatre doses

En effet, indique Prince Eugène Bayebane, « nous recevons des parents avec des enfants correspondant à la cible mais aussi certains qui viennent avec des enfants hors de la cible qu'ils voudraient faire vacciner », ajoute-t-il.

C'est le cas de cette jeune maman de 32 ans, rencontrée au district de santé de Soa près de Yaoundé, venue faire vacciner son enfant de 12 mois. « L'infirmière, après avoir consulté le carnet de mon fils m'a dit qu'il n'est pas concerné. Ce que je trouve dommage quand je pense qu'il souffre du paludisme au moins cinq fois par an et aux dépenses que je fais pour le soigner», confie-t-elle avec déception.

Recommandé par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) depuis 2021, le vaccin RTS'S (disponible sous son nom commercial Mosquirix) dont il est question ici est administré en quatre doses respectivement à six, sept, neuf et vingt-quatre mois. SciDev.Net a appris que la vaccination qui a commencé le 22 janvier ne concerne dès lors que les bébés âgés de six mois et que pour cette première année, elle cible seulement 249 133 nourrissons à l'échelle nationale.

C'est dire s'il faut être quelque peu privilégié, à l'instar de Manuela, jeune mère de 29 ans, pour que son enfant y soit éligible : « Ma fille a six mois et je ne cache pas mon soulagement de la faire vacciner », déclare la jeune étudiante.

Interrogée sur ses motivations malgré le contexte de désinformation et de méfiance vis-à-vis de ce vaccin, elle répond : « Si ce vaccin a fait ses preuves et qu'il peut aider à avoir moins de décès surtout, pourquoi ne pas faire confiance aux scientifiques ? Je préfère éviter à ma fille le risque d'attraper cette maladie, au lieu d'écouter ces discours ».

En réalité, croit savoir Prince Eugène Bayebane, « les populations veulent ce qui pourrait protéger leurs enfants et diminuer la morbidité et la mortalité dues au paludisme ». De même, elles « attendent de la vaccination qu'elle soulage leurs souffrances dues au paludisme », renchérit Shalom Tchokfe Ndoula dans un entretien avec SciDev.Net.

Pourtant, l'opération n'est pas de tout repos. Notamment en raison de ce qu'au Cameroun, le système de santé est confronté à la résistance et à la méfiance des populations envers les vaccins.

Messages sur les réseaux sociaux

Dès l'annonce de la réception en novembre 2023 des premiers lots de ce vaccin (331 200 doses sur un total de 1,3 million de doses à recevoir), l'on a enregistré des messages sur les réseaux sociaux appelant les parents à ne pas faire vacciner leurs enfants.

Une situation que n'a pas connue le Burkina Faso où le vaccin qui a commencé à être administré le 5 février 2024 est plutôt favorablement accueilli. Peut-être parce que des chercheurs d'une institution burkinabè ont participé au développement de ce vaccin et parce que ce pays a abrité des essais cliniques de phase 3 qui ont confirmé son efficacité.

Pour les auteurs de ces messages hostiles à ce vaccin au Cameroun, les craintes et doutes portent essentiellement sur son efficacité et le soupçon qu'il s'agit d'un produit expérimental destiné à rendre les enfants stériles, etc.

« Le vaccin n'est pas une solution miracle. La preuve, vous l'avez vu avec la COVID-19 dont le vaccin s'est révélé très inefficace. Nous avons aussi celui contre le choléra qui ne donne malheureusement pas de résultats. Le vaccin n'apportera pas grand-chose dans la lutte contre le paludisme », affirme par exemple l'économiste de la santé Albert Zé.

Par ailleurs fondateur de l'Institut de recherche pour la santé et le développement (Iresade), ce dernier estime qu'il faudrait mettre l'accent sur le changement de comportement des populations et sur la lutte antivectorielle.

« La lutte doit posséder plusieurs armes : l'assainissement du milieu, la lutte antivectorielle, les moustiquaires et le vaccin », lui rétorque Jean-Louis Abena, médecin de santé publique. Celui-ci ajoute que « le vaccin va contribuer à diminuer la mortalité et la morbidité du paludisme au Cameroun. C'est indéniable ».

De fait, « le vaccin offre une protection supplémentaire contre les formes graves de la maladie et les décès dans les zones couvertes. Cependant, la condition pour l'impact est son administration au plus grand nombre d'enfants cibles », insiste Jean-Louis Abena.

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