Burkina Faso: Noufou Gnampa, président de l'A.G des experts agréés - « Il faut faire de l'expertise nationale un outil d'indépendance de stratégies de développement »

14 Février 2024
interview

Noufou Gnampa est le président de l'Assemblée générale des experts agréés au Burkina Faso. Il est, par ailleurs, le promoteur du bureau d'études Impact Plus et auteur de systèmes innovants de création d'emplois. Dans cette interview accordée à Sidwaya, il aborde sans langue de bois, le rôle de l'expertise nationale dans le développement socioéconomique du Burkina Faso, les conditions d'exercice du métier d'expert, ainsi que les contraintes, les défis auxquelles, le marché de l'expertise nationale fait face. Il y présente également des alternatives pour la valorisation et la promotion optimales de l'expertise nationale pour un développement endogène durable.

Sidwaya (S) : De nos jours, beaucoup de personnes s'attribuent le titre d'expert au point qu'on se demande finalement qui est réellement expert. Quelle définition doit-on donner à l'expert ?

Noufou Gnampa (N.G) : L'expertise peut être définie comme la maîtrise approfondie et reconnue dans un domaine spécifique, acquise par l'expérience, la formation et la contribution significative à ce domaine. Un expert démontre une capacité éprouvée à résoudre des problèmes complexes et à fournir des conseils éclairés. Au Burkina, la profession d'expert est encadrée par la loi n° 006/AN du 17 mai 2011, portant règlementation des professions de l'expertise nationale dont l'article 2 définit l'expertise nationale comme étant, « l'ensemble des prestations intellectuelles de service qui concourent au développement socioéconomique, culturel et politique ». Selon cette loi, est expert national « toute personne physique de nationalité burkinabè ou toute personne morale de droit burkinabè qui fournit des prestations intellectuelles de services ». Ainsi, au Burkina, en principe, nul ne peut se prévaloir du titre d'expert s'il n'a pas été agréé dans les conditions fixées par la loi.

S : Concrètement, comment devient-on expert agréé ?

N.G : Pour devenir expert agréé, il est généralement nécessaire d'obtenir une formation spécialisée, d'accumuler une expérience substantielle dans le domaine concerné et parfois de passer des examens ou de répondre à des critères stricts établis par des organismes de certification. Au Burkina, la loi précise en son article 10 que l'exercice de la profession d'expert est subordonné par l'obtention d'un agrément.

Ainsi, pour être expert, il faut être agréé par l'APEN (ndlr : Agence de promotion de l'expertise nationale) à travers la Commission des agréments de l'expertise nationale. Deux conditions essentielles sont à considérer : le diplôme et l'expérience de la pratique professionnelle dans un domaine de l'expertise. Les experts individuels sont repartis en trois classes que sont les experts cadets, les experts juniors et les experts seniors. Pour commencer ou devenir expert cadet, il faut être au moins détenteur d'une licence ou équivalent (reconnu par l'Etat) et faire la preuve d'une expérience d'au moins 3 ans dans un domaine de compétence.

S : Comment se porte le marché de l'expertise burkinabè ?

N.G : Le marché de l'expertise au Burkina est faible par rapport au nombre d'experts. Le résultat est que le métier d'expertise devient de plus en plus difficile. Il a de plus pris un coup avec la crise sécuritaire que nous vivons aujourd'hui. Même dans certains domaines tels que la sécurité, l'humanitaire, etc., l'expertise se développe, l'offre reste faible. Cette situation donne tout son sens à une institution comme l'APEN qui a pour mission de travailler à valoriser le secteur.

S : Si on vous demande de qualifier l'expertise burkinabè. Quels en seraient les grands traits caractéristiques ?

N.G : L'expertise burkinabè se distingue par son approche contextuelle, sa capacité à relever des défis spécifiques au pays, la qualité des prestations, son respect à l'international et son engagement dans la recherche de l'excellence dans ses missions. Les experts nationaux comprennent les nuances culturelles et sociales, ce qui les rend précieux pour les projets nationaux.

S : Quel bilan faites-vous de la contribution de l'expertise nationale au développement socioéconomique du Burkina ?

N.G : La contribution de l'expertise nationale au développement socioéconomique du Burkina est positive, mais des efforts continus sont nécessaires pour maximiser cet impact. Les experts jouent un rôle clé dans la conception et la mise en oeuvre de projets qui stimulent la croissance. L'expertise stimule la réflexion stratégique dans les différents domaines de développement de notre pays. Il faut aussi souligner que l'expertise est créatrice de plusieurs emplois de jeunes et de femmes au Burkina. De plus, elle joue un rôle diplomatique en montrant le Burkina à l'extérieur par la qualité des résultats de ses missions.

S : Vous êtes le président de l'Agence de promotion de l'expertise nationale (APEN). Quelles sont les missions assignées à l'APEN ?

N.G : Avant de parler des missions de l'APEN, il faut rappeler que l'APEN, laissez-moi dire un mot sur ses organes et apporter une petite précision à votre question. L'APEN est un établissement public de l'Etat à caractère professionnel dont les organes sont les suivants : l'Assemblée générale, le Conseil d'adminis-tration, le Secrétariat exécutif. Je suis le président de l'Assemblée générale des experts agréés qui est l'instance suprême, mais le Conseil d'administration a aussi son président.

Aux termes des dispositions de l'article 4 du décret n°2013-208/PRES/PM/MICA/MEF du 2 avril 2013, l'APEN a pour mission d'organiser, de valoriser et de promouvoir l'expertise nationale. A ce titre, elle est chargée entre autres de gérer la stratégie de promotion de l'expertise nationale, coordonner et superviser toutes les actions relatives à l'exercice des professions d'expert, veiller à l'application des règles d'éthique et de déontologie élaborées simultanément par la société d'expertise et l'entreprise d'expertise individuelle , entreprendre des concertations avec les autorités nationales et les partenaires techniques et financiers pour toutes les questions relatives à l'expertise nationale, entreprendre toutes études et recherches en vue du renforcement de la capacité opérationnelle des experts nationaux. Pour résumer, l'APEN a pour missions de promouvoir et valoriser l'expertise nationale, de faciliter la collaboration entre experts, d'assurer la qualité des services fournis et de participer activement à la formation et au renforcement des compétences des experts.

S : Comme le dit l'adage, nul n'est prophète chez soi ! Selon vous, l'expertise burkinabè est-elle bien valorisée au niveau national ?

N.G : Il y a deux situations à envisager. L'expertise des services, les appels d'offres et l'expertise des produits d'experts, les produits et services produits par des experts à vocation de les vendre. Pour l'expertise de services, les réponses aux appels d'offres, la réponse est oui et non. Oui, parce que beaucoup de marchés de l'intérieur sont exécutés par l'expertise nationale. Non, parce que beaucoup d'experts, en dépit de leurs compétences reconnues, disent ne pas avoir de marchés au niveau national et font le maximum de leurs chiffres d'affaires à l'international. Il y aurait trois raisons majeures à cette situation.

La faiblesse du marché, de l'offre d'expertise, la non-transparence de certains marchés publics ou privés et le fait de l'imposition toujours d'expertise extérieure dans certains marchés. Pour les marchés des produits d'experts burkinabè. En dehors de peu de produits comme l'entrepreneuriat populaire reconnu plus de 25 ans après, la plupart des produits innovants d'experts sont reconnus à l'international avant d'être reconnus sur le plan national. On peut dire que le Burkina peine à reconnaître l'expertise de ses fils et que le dicton « nul n'est prophète chez soi » est une vérité au niveau des produits créés par des experts burkinabè. Je suis personnellement à l'aise pour faire ce témoignage. Ainsi, comme vous l'avez peut-être suivi dans l'émission « Surface de vérité » de la télévision bf1, notre bureau IMPACT Plus a présenté un programme innovant d'aide à l'employabilité.

Le programme a été qualifié de « solutions structurelles à la problématique du chômage des jeunes », par Son Excellence M. Christophe Dabiré, ancien Premier Ministre du Burkina Faso, de « dossier qui devrait figurer à l'ordre du jour des sommets d'institutions comme l'UA ou la CEDEAO », par M. Dieudonné Bassinga, ancien fonctionnaire internationale et d'une « méthodologie originale, pragmatique et scientifique constitue une réelle opportunité pour développer l'employabilité des jeunes.... », par David Jay, un entrepreneur français, qui recommande à l'Europe de venir s'inspirer de ce système. Nous sommes toujours dans l'attente de sa reconnaissance. Il est certain qu'il y a de nombreux experts comme moi, avec des produits à fortes valeurs ajoutées qui peuvent s'exporter s'ils sont implémentés, mais qui ne sont pas reconnus.

S : Au sein de sa diaspora, le Burkina compte nombre d'éminents experts dans divers domaines, très recherchés à l'international. Mais, on a l'impression qu'il n'y pas une stratégie de mobilisation de ces matières grises au profit du développement national...

N.G : La mobilisation des experts de la diaspora devrait être une priorité pour le Burkina. Des stratégies de collaboration et des incitations appropriées peuvent renforcer le lien entre les experts à l'étranger et les besoins nationaux. Je pense que l'Etat l'a bien compris en créant l'APEN. Maintenant, travaillons en étroite collaboration avec le ministère chargé des affaires étrangères et les autres entités que sont les départements ministériels, les partenaires techniques et financiers, pour relever ce défi.

S : Le plus souvent, pour certaines études, on laisse de côté l'expertise nationale pour faire appel à des experts internationaux, chèrement payés. Votre commentaire sur cette façon de faire.

N.G : Privilégier l'expertise internationale peut parfois être nécessaire. En tant qu'experts, nous sommes ouverts à l'apprentissage et à la compétition. Nos experts évoluent aussi dans d'autres pays. Ce qu'il faut, c'est pouvoir chaque fois tirer profit des interventions des experts internationaux en termes de collaboration, de transfert de connaissances et de partage équitable des ressources financières allouées aux missions.

Ce dernier point est important, car les experts nationaux ont le sentiment d'injustice dans la répartition des ressources financières allouées aux missions. Sinon, il est également crucial que les experts nationaux acceptent leur responsabilité de se battre pour être le plus performant possible. Nous demandons aussi un Etat qui promeut l'expertise nationale et une coopération internationale qui comprend et reconnait que le renforcement de l'expertise nationale est un pilier vital du développement.

S : Quelles sont les contraintes auxquelles font face les experts nationaux ?

N.G : Les contraintes auxquelles font face les experts nationaux incluent souvent un manque de reconnaissance, la baisse des offres d'expertise, des ressources limitées, la non-application des textes sur les honoraires des experts agréés et parfois des obstacles bureaucratiques. Ces défis doivent être abordés pour optimiser leur contribution.

S : En sus de la problématique de la valorisation de l'expertise existante, il y a la question de la formation continue d'une expertise solide, compétitive face aux perpétuelles mutations. Qu'est-ce qui est fait à ce niveau pour doter le Burkina Faso en permanence d'une expertise de pointe ?

N.G : La formation continue est cruciale. Des programmes de renforcement des capacités sont prévus au niveau de l'APEN en vue d'assurer une expertise nationale compétitive. Ainsi, les universités et grandes écoles continuent de s'ouvrir en formant de nombreux jeunes burkinabè dans des spécialités qui sont de plus en plus demandées tant au niveau national qu'international. Ce qui reste à faire, c'est de juste encadrer ces compétences et leur permettre d'apprendre plus rapidement auprès des plus expérimentés.

S : Le Burkina traverse une crise sécuritaire et humanitaire sans précédent où l'on a besoin de toutes les intelligences pour y faire face, mais également pour mieux redresser le développement socioéconomique post-crise. Les experts sont-ils disposés à mettre leurs expertises au service de la nation ?

N.G : Les experts nationaux sont des patriotes. Ils sont disposés à contribuer en engageant sans délais des actions novatrices et efficaces pour sortir le pays de l'impasse dans laquelle il se trouve et à lui permettre d'accélérer son développement après la crise. Mais, des mécanismes doivent être mis en place pour mobiliser rapidement et efficacement ces ressources intellectuelles. En sus, l'APEN dispose d'une base de données de 1 052 experts agréés dans divers domaines qui pourront apporter leurs contributions au développement du pays et aux défis auxquels le pays est confronté.

S : Aujourd'hui, le discours politique table sur le développement endogène. Le Burkina Faso dispose-t-il des compétences dans tous les domaines pour prendre en charge son développement ?

N.G : Le Burkina dispose d'experts compétents dans de nombreux domaines, mais des efforts continus sont nécessaires pour combler les lacunes et promouvoir la collaboration interdisciplinaire. Le slogan de l'APEN « le développement par nous et pour nous » n'est pas fortuit et est en phase avec la vision politique des autorités actuelles du pays. Il est même plutôt interpellateur et appelle à un engagement sans faille pour développer notre pays. De plus, vous l'avez certainement noté, nos experts sont grandement sollicités dans plusieurs pays à l'international et d'autres ont eu des reconnaissances internationales. C'est l'occasion pour nous de réaffirmer notre disponibilité tout en interpelant les plus hautes autorités, afin qu'une attention particulière puisse être accordée à la question de la valorisation de l'expertise nationale, qui se révèle être un impératif dans le contexte actuel de crise de notre pays.

S : Selon vous, quelles alternatives pour une meilleure promotion de l'expertise nationale et sa contribution efficiente au développement socioéconomique du Burkina Faso ?

N.G : Pour promouvoir l'expertise nationale, je retiendrai quatre alternatives : comprendre les enjeux de l'expertise nationale, reconnaître l'importance de l'expert, créer des produits d'expertises nationales, soutenir le Secrétariat exécutif de l'APEN. Au titre des enjeux, je porte le plaidoyer de la compréhension des quatre grands enjeux de l'expertise nationale par tous les acteurs de développement en général et les décideurs en particulier.

Le 1er enjeu est de reconnaitre la capacité de l'expertise privée à absorber une grande part de l'important vivier d'intellectuels de notre système éducatif ; le 2e, faire de l'expertise nationale un outil d'indépendance de stratégies de développement par les renforcements des capacités endogènes de réflexions stratégiques ; le 3e, en faire un outil de diplomatie en raison de sa capacité à être un bon facteur de visibilité et de positionnement de notre pays à l'étranger.

Le 4e enjeu, enfin, est de faire de l'expertise burkinabè à côté de l'or, du coton, des produits d'élevage, etc., un produit de création de richesse. Au titre de la reconnaissance de l'importance des experts, je porte le plaidoyer pour la création d'une décoration avec Agrafe Expert et l'élargissement de l'offre d'expertise, surtout en temps de crise. Au titre du soutien du Secrétariat exécutif de l'APEN, je fais le plaidoyer pour la mobilisation de plus de moyens pour l'APEN et sa consultation sur les grandes politiques de développement.

Au titre de la reconnaissance des produits de l'expertise nationale, j'invite les experts à créer des produits de plus en plus made in Burkina qui pourront s'exporter et les autorités à les accompagner. Avant de nous quitter, je voudrais une fois encore renouveler mes sincères félicitations à l'équipe dirigeante de Sidwaya et à l'ensemble des experts qui se battent au quotidien pour nous permettre d'être à jour, des informations riches et justes. Je voudrais exprimer ma profonde conviction et également celle d'autres experts que l'expertise des journalistes est des plus importantes pour le développement d'un pays.

J'encourage donc les hommes et les femmes des médias à persévérer et à donner le meilleur d'eux-mêmes, car ils sont des piliers essentiels du développement. Dans la dynamique de faire encore plus de votre journal un outil de contribution au développement, je voudrais faire deux suggestions. La première, c'est de voir la possibilité de créer une rubrique sur des produits d'expertise made in Burkina à forte valeur ajoutée qui ont des difficultés de reconnaissance. Je suis sûr que de nombreux experts ont ce problème et votre journal, conformément à son nom, contribuera à révéler des vérités sur des expertises nationales non soutenues.

La 2e suggestion est de vous rappeler que j'ai eu le privilège d'animer une rubrique hebdomadaire dans votre journal, pendant les années 1984-1985 qui s'intitulait « lettre à un chercheur ». C'était une rubrique qui recherchait des problèmes complexes que les personnes se posaient et qui essayait d'apporter des réponses. C'était une rubrique qui était semble-t-il bien suivie et je regrette de l'avoir arrêtée. La rubrique paraît toujours d'actualité et même plus encore, et je serais heureux de voir, avec votre journal, la possibilité de sa reprise. Il est peut-être un peu tard, mais je termine en souhaitant à tout le peuple burkinabè mes voeux de bonheur dans les foyers, de paix et de sécurité pour le Faso et pour les experts, un élargissement de nos offres de services et nos contributions au développement.

 

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