Au Sénégal, pris dans une forte bourrasque depuis l'annonce du report de la présidentielle par le président Macky Sall qui s'est, au passage, octroyé gracieusement un bonus de 10 mois à la tête de l'Etat, la météo politique ne s'améliore pas et reste toujours chargée de lourds nuages. Même si les manifs initialement prévues pour le 13 février dernier, n'ont pas pu se tenir en raison de l'interdiction qui les frappe, les organisateurs n'en démordent pas. Ils ont, comme on le dit dans le jargon courant, reculé pour mieux sauter.
En effet, la coalition de l'opposition se prépare, dans les jours à venir, pour une forte mobilisation et il faut craindre le pire. Mais en attendant cet orage qui s'annonce, l'atmosphère demeure très chargée avec la grève dans les universités et les veillées mortuaires dans les familles qui ont été endeuillées par les pertes en vies humaines lors des manifs qui ont éclaté au lendemain de l'allocution télévisée de Macky Sall. C'est donc dire en mille mots, comme en un, que la pression ne faiblit pas de l'intérieur tout comme d'ailleurs elle reste vive de l'extérieur.
En effet, en rappel, dès les premières heures de l'annonce du report du scrutin du 25 février 2024, le Département d'Etat américain, par la voix de son porte-parole, Matthew Miller, a appelé le Sénégal à respecter sa Constitution ainsi que ses lois électorales en organisant sans délai l'élection présidentielle.
Il n'est pas exclu qu'Ousmane Sonko accepte les offres de Macky Sall
A la suite de l'Exécutif, le Sénat américain avait aussi demandé à Macky Sall, d'annuler, sans autre forme de procès, sa décision de reporter les élections. Dans cette même dynamique, l'Union européenne (UE) a appelé le Sénégal à rétablir le calendrier initial de son élection présidentielle, estimant que son report au 15 décembre « entache la longue tradition de démocratie du pays ».
La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui joue gros dans cette crise politique au Sénégal, a embouché la même trompette pour demander au Pays de la Téranga de revenir au timing initial du processus électoral. Et l'on passe sous silence les manifs organisées par la diaspora sénégalaise à l'extérieur.
Comme pour maintenir cette forte pression venue de l'extérieur, la Mission d'observation électorale de l'Union européenne (MOE-UE), forte de 32 observateurs, a plié bagage en faisant remarquer qu'elle s'inquiète du fait que les « décisions des autorités de reporter le scrutin électoral puissent constituer une rupture avec la longue tradition de démocratie au Sénégal » et dit « regretter les violences exercées sur des citoyens et des journalistes lors des récentes manifestations ».
Mais la question que l'on peut se poser, est la suivante : toute cette pression suffira-t-elle à faire plier le président Macky Sall ? Rien n'est moins sûr. Et pour cause. L'homme, même fortement isolé, croit à son destin messianique et est convaincu de sa mission quasi divine de ne lâcher le pouvoir qu'à l'issue d'une élection libre, transparente et inclusive qui puisse lui permettre de transmettre à son successeur un Sénégal « apaisé et réconcilié ». A défaut de réussir cette mission, l'homme semble dans la logique du pis-aller.
Il n'est de l'intérêt de personne de voir le Sénégal partir en flammes
Du reste, il le rappelait récemment dans une interview : « Mon rôle, en tant que président de la République, pour le temps qu'il me reste à la tête de l'Etat, est de toujours tendre la main et dire aux acteurs politiques, faites attention, faites attention, parce que nous ne sommes pas seuls sur la scène et si les politiques ne sont pas capables de s'entendre sur l'essentiel, d'autres forces organisées le feront à leur place et là ils perdront tous ».
A demi-mots, Macky Sall laisse planer l'éventualité d'un coup d'Etat. Coup de bluff pour tempérer les ardeurs de l'opposition ou agenda caché du chef de l'Etat ? Le temps apportera certainement la réponse à la question. En tout cas, une chose est certaine : le président Macky Sall est un fin stratège.
A preuve, il se susurre que des tractations souterraines sont en cours où il est mis en jeu la possibilité de gracier ou d'amnistier les prisonniers « politiques » dont Ousmane Sonko et son dauphin Diomaye Faye. L'on peut, cependant, se poser la question de savoir si les leaders du Pastef mordront à l'hameçon. Il est difficile, pour l'instant, de répondre à cette question.
Mais une chose est certaine : de la posture de Ousmane Sonko dépendra la suite de la lutte engagée par l'opposition qui, malgré les fortunes diverses de ses leaders, présente, jusque-là, un front uni contre Macky Sall. Cela dit, il n'est pas exclu qu'Ousmane Sonko accepte les offres de Macky Sall. Car en politique, tout est de l'ordre du possible. Pour preuve, l'on l'a récemment vu au Tchad avec Succès Masra qui, de l'opposition, est passé, avec armes et bagages, au pouvoir au point d'être nommé Premier ministre.
Et si après tout, un tel compromis permettrait au Sénégal d'éviter le destin funeste que lui prédisent les théoriciens de l'apocalypse, pourquoi pas, pourrait-on se demander ? Car, dans tous les cas, il n'est de l'intérêt de personne de voir le Sénégal partir en flammes.