Comores: Une enquête du journal «Le Monde» sur une «manipulation électorale»

Dans une enquête publiée le 14 février 2024, le quotidien français Le Monde révèle les coulisses d'une « manipulation électorale organisée par le pouvoir » aux Comores. L'enquête porte sur la présidentielle du 14 janvier, qui a consacré la réélection dès le premier tour d'Azali Assoumani. Une réélection toujours contestée par l'opposition comorienne. L'enquête du journal se fonde sur des documents inédits et sur des témoignages, notamment celui d'un membre de la Commission électorale nationale indépendante.

La première révélation du Monde porte sur la nomination des 4340 membres des bureaux de vote, dont les listes auraient été « arbitrairement altérées, sans justification et au dernier moment, par la Ceni » aux Comores. À Fomboni, capitale de l'île de Mohéli, Le Monde a pu établir que seuls 42 des 105 membres des bureaux de vote initialement inscrits étaient effectivement présents. « Une femme [que je ne connais pas] m'a remplacée et a officié à ma place dans mon bureau de vote », témoigne une habitante de Fomboni. Selon l'opposition, les nouveaux représentants seraient tous issus du mouvement présidentiel. Des observateurs internationaux ont confié au Monde avoir assisté « à des agissements similaires » dans tout l'archipel.

« L'armée donnait des instructions »

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Le Monde pointe aussi l'implication de l'armée dans le déroulement et le dépouillement du vote. Les observateurs de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) l'avaient déjà pointé dans leur rapport, sans remettre en cause la légitimité du scrutin. Un rapport confidentiel de l'équipe d'observation de l'Union africaine (UA) va également dans ce sens. « Les gendarmes et l'armée donnaient des instructions aux membres des bureaux de vote. Bref, ils jouaient le rôle de la Céni », selon ce document consulté par Le Monde. L'UA avait estimé, dans ses conclusions officielles, que l'élection s'était « globalement déroulée de manière libre et transparente ».

Lors de la centralisation des résultats, « les membres des commissions électorales insulaires ont été systématiquement empêchés par la Céni d'accéder aux centres de saisie », affirme l'enquête, qui cite plusieurs témoignages directs et un courrier adressé à la Céni par son démembrement insulaire de Mohéli. Le déroulement de l'élection y est décrit comme une « descente aux enfers ». « Un soi-disant informaticien a été dépêché de la Céni depuis Moroni, il a pris son quartier général dans le bureau du président de la commission insulaire. Durant trois jours, aucune personne n'a été autorisée à entrer dans le bureau du président », décrivent plusieurs commissaires.

« Une salle de dépouillement secrète »

Le Monde a enfin recueilli le témoignage de l'un des treize commissaires nationaux de la Céni, Gérard Youssouf. Mandaté par un candidat de l'opposition, « il assure avoir été tenu à l'écart des opérations de dépouillement et de saisie des résultats ». « Il y avait une salle de dépouillement secrète, décrit ce membre de la Céni, avec une vingtaine de personnes recrutées sans concertation. Dans la salle de tabulation, il y avait une autre équipe d'une trentaine de personnes recrutées sur le même format, (...) sans qu'il soit possible pour nous d'accéder à ces salles ». Mohamed Youssouf, qui n'a pas assisté à la proclamation des résultats provisoires le 16 janvier pour ne pas cautionner ce qu'il qualifie de « mascarade électorale », affirme également que les procès-verbaux des îles d'Anjouan et Moheli n'avaient pas été pris en compte ce jour-là. Information confirmée au Monde par deux autres membres de la Céni, mais contestée par son président.

« Réaction tardive »

Sollicités par Le Monde, puis par RFI, les autorités comoriennes n'ont pas souhaité réagir officiellement. Un ministre juge, hors-micro, que les affirmations du commissaire de la Céni Mohammed Youssouf, dénotent un « manque d'intégrité. » Il s'étonne de sa « réaction tardive », du fait qu'il n'ait pas démissionné et juge qu'« il aurait été plus approprié qu'il exprime ses préoccupations dès les premiers signes de prétendue fraude électorale ou immédiatement après l'annonce des résultats ». « En conséquence, conclut ce membre du gouvernement comorien, son discours actuel semble manquer de crédibilité ».

Par ailleurs, l'opposition comorienne, qui a déposé le 6 février une requête auprès de la Cour africaine des droits de l'homme à Arusha, en Tanzanie, pour faire annuler le scrutin, appelle ce 16 février les Comoriens à manifester dans les différentes localités de l'archipel.

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