C'est avec une grande appréhension que j'ai accepté l'honneur qui m'a été fait de présenter le livre qui nous réunit aujourd'hui, car parler de l'ouvrage équivaut à parler de son auteure, Soeur Yolande Diémé.
Qui suis-je pour présenter une femme au parcours si exceptionnel ? Comment dévoiler devant cette auguste assemblée le parcours d'une parfaite inconnue ?
Mais j'ai été rassurée, dès la page de couverture, par les images qui mettent en évidence le titre du roman. Des images très familières, parce que je suis née et j'ai grandi dans l'une des maisons situées derrière l'École Notre Dame de Lourdes, qui était et demeure notre adresse, et où l'on venait s'amuser -le plus souvent en cachette-ou observer la statue de Marie et les pigeons qu'on appelait « pitakhou Mariama ». En outre, beaucoup de personnages cités dans l'ouvrage me sont familiers : Pr Alpha Sy, le Père Giraldo, le Gouverneur Mbagnick Ndiaye. Finalement, Soeur Yolande ne m'est pas si étrangère. Elle est aussi une ancienne élève du Collège Ameth Fall, futur Lycée Ameth Fall.
L'on dit chez nous que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, que la fortune sourit aux audacieux. Soeur Yolande, votre prénom, d'origine grecque, évoque l'aube-première lueur du soleil qui commence à blanchir l'horizon. Votre prénom préfigure votre destin. Vous avez suivi cette voix intérieure qui vous invitait à être au service de Dieu et des humains, notamment des enfants. En a résulté votre double vocation : Soeur de la Présentation de Marie et éducatrice.
La narration à la première personne nous plonge, dès les premières lignes, dans la vie de l'auteure. « Soeur Yolande Diémé est une Joola, fille de la Casamance, née en 1939 d'une famille très nombreuse. Ses parents nés animistes embrasseront le christianisme. »
Ses études l'ont conduite, après le certificat et l'entrée en sixième, à Saint-Louis l'obligeant ainsi à traverser le pays « du sud au nord ». Quatre années passées au collège Ameth Fall lui ont permis de découvrir la vie à l'internat, à côté de la vie en communauté, les différences culturelles, de comparer la simplicité de la vie au village au « raffinement saint-louisien ».
En 1959, après la troisième, Soeur Yolande refusa de revenir à Saint-Louis sous prétexte qu'elle serait envoyée en France. Aussi, décida-t-elle d'être enseignante. Elle ignorait cependant qu'elle avait rendez-vous avec le destin. Recrutée par les Soeurs de la Présentation de Marie de Bignona, elle deviendra vite religieuse. Ce destin va la conduire en France en 1960, malgré la réticence de sa mère. Après tout, une soeur, la famille en comptait déjà. Comme à Saint-Louis, la narratrice sera marquée, en France, par la différence de culture, les habitudes alimentaires, l'individualisme et la rigueur climatique.
De retour après trois ans passés en France, soeur Yolande fut affectée à Élana, un village à côté d'Affignam, non loin de Bignona. Elle prononça ses premiers voeux le 22 août 1963, avec l'aval de ses parents. Elle repartit en France, pour prononcer ses voeux temporaires ; c'est la phase pratique de la vie religieuse basée sur la Constitution avant les voeux perpétuels. Entre temps, Soeur Yolande retourna au pays natal après un voyage mouvementé.
Après l'apprentissage, les responsabilités. En 1970, Soeur Yolande retourne à Lyon comme Conseillère Régionale de la Mission Française. En 1975, elle séjourna à Rome pendant un an à la demande de la Supérieure Générale. L'occasion fut mise à profit pour continuer ses études religieuses. En 1979, vingt ans après son séjour en tant que collégienne, le destin ramena Soeur Yolande à Saint-Louis où elle devait prendre les rênes de l'administration de l'École Notre Dame de Lourdes.
Un autre combat commence, des défis à relever. Après l'obstacle culturel du premier séjour, place à l'écueil religieux. C'était l'après indépendance ; la perception des Chrétiens avait bien changé. Il fallait ranger tous les signes d'identification à la religion et se faire discret, sous peine d'essuyer des jets de pierres. Des coups, Soeur Yolande savait en prendre ; mais elle savait aussi en rendre dans les limites du respect. C'est tout le charme de sa personnalité. En attestent ses combats de principe gagnés lors de son premier séjour en France, lors de l'épisode du chien « raciste » à Élana.
À Saint-Louis, l'audace de Soeur Yolande a vite porté ses fruits. Grâce au soutien, un jeudi, de l'Imam Sow, elle put obtenir le respect et la reconnaissance des populations de Sor en seulement deux mois. Les relations entre chrétiens et musulmans étaient pacifiées.
Le succès donnant des ailes, Soeur Yolande convoqua un jeudi encore les parents d'élèves en présence de l'Evêque, pour faire part de sa résolution d'afficher les signes chrétiens et de reprendre les prières dans l'établissement. Ce fut le boycott par les musulmans qui retirèrent les enfants, mais le début d'une ère nouvelle pour l'établissement. Le voeu de Soeur Yolande sera exaucé au bout de deux mois et l'École Notre Dame de Lourdes va vite renaître de ses cendres et se développer. De deux classes en 1979, elle passera à six. La qualité de l'enseignement et la discipline ont fini de convaincre les populations de confession musulmane. En 1985, Soeur Yolande dut retourner à Bignona pour être directrice de l'École de la Présentation de Marie. Elle reviendra à Saint-Louis en 1992, après sept ans d'absence pour des raisons de santé. Mais son séjour ne sera pas de tout repos. Elle se rendra de nouveau en France de 1993 à 1994.
Soeur Yolande avait bien vieilli. Ses enfants de 1979 lui avaient donné de nombreux petits-enfants à éduquer. Mamie devait construire un jardin d'enfants. Mais l'espace faisait défaut. Grâce au partenariat, elle réussit à faire construire douze classes.
Tout travail bien fait mérite reconnaissance. Soeur Yolande sera décorée à Louga par le Président de la République Abdoulaye Wade, sur proposition de son ministère de tutelle. En fin stratège, Soeur Yolande mettra cette décoration à profit pour obtenir un terrain à Boudiouck au nom de sa congrégation avec l'appui des autorités administratives. C'est là-bas que sera érigée l'Institution Présentation de Marie.
Après la reconnaissance humaine, le couronnement divin. La célébration en 2002 du cinquantenaire de l'arrivée des Soeurs en Casamance lui permettra de renouer le contact avec la Supérieure générale, la Révérende Mère Angèle. Ce qui lui valut le financement de son projet d'établissement à 100% par les Soeurs d'Italie et de France.
En 2004, la retraite sonna, mais Soeur Yolande devait respecter une promesse, la contrepartie de la subvention française, et retourner en France pour aider ses soeurs aînées sous le poids de l'âge. Elle fit le voeu d'y rester jusqu'à la fin de ses jours. Entre temps, l'IPM ouvrit ses portes en 2007, sous la direction de la Soeur Jeanne Marie avec 24 classes fonctionnelles.
Le 1er janvier 2012, le destin va ramener Soeur Yolande au Sénégal, un an après le rappel à Dieu de sa soeur aînée. Elle était venue pour trois mois mais c'était sans compter avec la détermination de la Soeur Supérieure Provinciale qui l'a convaincue de rester au bercail. « Ses soeurs avaient besoin de ses cheveux blancs ». C'était elle « l'aînée, le repère ».
On n'enseigne pas seulement ce que l'on sait, on enseigne ce que l'on est, déclarait Jean Jaurès. Soeur Yolande, vous êtes un modèle de rigueur, de sérieux, de persévérance, de citoyenneté active, une éducatrice qui a su imprimer la marque de sa personnalité, de son identité.
Aujourd'hui, du haut de ses quatre-vingt-cinq ans, ayant consacré l'essentiel de sa vie à former des hommes et des âmes, elle reprend son parcours du sud au nord pour nous proposer cet ouvrage de 99 pages et 9 chapitres. Le chiffre 9 est symbole d'achèvement et de réalisation. Vous avez achevé votre ouvrage avec l'évocation de la mort-celle de votre soeur de sang et de votre soeur de congrégation.
Pour nous, c'est un nouveau cycle qui commence après la publication de cette oeuvre autobiographique. Vous avez utilisé tous les moyens de transport possible pour accomplir votre sacerdoce. Au tour du public de voyager à travers votre récit de vie. Au tour du roman, produit des cheveux blancs, d'éclairer la vie des plus jeunes pour que continuent à naître d'autres vocations. Que d'autres oeuvres suivent ! Puisse l'école continuer à être, comme l'a souhaité Abbé Alex Mbengue, « une pépinière d'hommes [et de femmes] qui contribuent à la santé physique, intellectuelle et morale de leur pays ».