L'élection présidentielle est un moment important pour la trajectoire internationale du Sénégal, car le chef de l'exécutif a un rôle structurant en matière de politique étrangère. C'est le cas de Macky Sall durant la crise postélectorale gambienne opposant Adama Barrow et Yahya Jammeh.
Le 21 février 2017, le président gambien Yahya Jammeh a été contraint de quitter le pouvoir en Gambie, mettant un terme à plus de vingt ans de dictature dans ce petit pays anglophone enclavé dans le Sénégal. Le départ de Jammeh a été l'aboutissement d'un combat politique interne et d'un bras de fer avec la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) dont la Gambie est membre.
Battu dans les urnes lors du scrutin présidentiel du 1er décembre 2016, il a reconnu sa défaite et félicité son adversaire Adama Barrow avant de la contester une semaine plus tard. Il a finalement été contraint par la force de quitter le pouvoir le 21 février 2017, après six semaines de crise post-électorale. Le Sénégal, pays voisin de la Gambie a joué un grand rôle dans l'échec de la tentative de Jammeh de rester au pouvoir.
Les relations entre le Sénégal et la Gambie sont complexes d'un point de vue politique et diplomatique. Historiquement, culturellement et économiquement, il existe plusieurs imbrications et emboîtements d'échelle entre les deux pays qui demandent, à tout le moins, un recul historique pour comprendre leurs relations diplomatiques actuelles. Géographiquement, le Sénégal est le pays limitrophe de la Gambie au nord, au sud et à l'est et constitue une rupture territoriale.
Comment analyser alors l'impact ou l'influence d'un président (Macky Sall) dans la chute d'un autre (Yahya Jammeh) dans une perspective de politique étrangère ? Il est important de comprendre, d'une part, le passif politique et diplomatique entre les deux pays pour mieux comprendre, d'autre part, le rôle de Macky Sall durant la crise politique gambienne ayant entraîné la chute de Yahya Jammeh.
Je suis doctorant en science politique à l'université Gaston Berger de Saint-Louis. Mes recherches portent sur la politique étrangère du Sénégal en matière de défense et de sécurité.
Dans mon analyse de la politique étrangère du Sénégal, je considère que l'action de l'Etat du Sénégal et celle de Macky Sall sont une seule et même chose.
Une torpille dans la bouche du Sénégal ?
La Gambie est une enclave, au coeur du Sénégal créant une discontinuité territoriale. C'est un Etat dont la langue officielle est l'anglais qui se situe entre Kaolack (centre du Sénégal), et la Casamance naturelle, la partie sud du Sénégal. Ce qui lui confère une valeur stratégique, voire symbolique pour le Sénégal du fait de nombreuses similitudes au niveau culturel, ethnique et religieux.
Conscient de la position stratégique, Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal, a toujours prêté attention à la situation politique de la Gambie car il la considérait comme "une torpille dans la bouche du Sénégal". Ce qui veut dire que tout problème politique, économique ou sécuritaire gambien a des effets directs sur le Sénégal (flux de réfugiés, embargo, coup d'Etat, etc.).
Le Sénégal est intervenu deux fois en Gambie pour des raisons politiques, en application des accords de défense qui le lient à cette dernière lors des opérations Fodé Kaba (1980-1981). Ce spectre d'une intervention militaire du Sénégal a plané sur la crise ayant abouti à la chute de Yahya Jammeh, en 2016.
Un passif multiforme
Entre les deux pays, les relations ont été très heurtées au fil des années. Le Sénégal, à sa tête Macky Sall, troisième président élu du pays, fait face à un Yahya Jammeh qui accède au pouvoir par un coup d'Etat, dix-huit ans avant lui le 22 juillet 1994. Les trajectoires politiques différentes n'ont pas facilité la collaboration des deux dirigeants.
Du point de vue sénégalais, Macky Sall, qui a effectué sa première visite officielle en Gambie le 15 avril 2012, n'a pas obtenu l'apaisement escompté. Il a plusieurs fait face à des blocages pour la construction du pont de Farafégné sur le fleuve Gambie ainsi que des tracasseries sur d'autres dossiers comme la condamnation à mort de Sénégalais sans information préalable ou la crise casamançaise dans laquelle Jammeh avait un jeu clair-obscur.
En retour, Macky Sall a diminué les efforts et envoyé souvent des ministres le représenter en Gambie lors de cérémonies officielles. Les deux chefs d'exécutif ont donc fait le minimum syndical en termes de collaboration et de coopération bilatérale.
La crise postélectorale
Le Sénégal, dans une perspective de politique étrangère considérée comme l'action par laquelle un Etat tente de façonner son environnement international. La crise électorale et post-électorale gambienne en 2016 qui aurait pu avoir des répercussions sur le Sénégal a été bien gérée par Macky Sall et son gouvernement. Il fallait éviter une contagion partant d'une crise politique interne en manoeuvrant à deux niveaux. D'une part en proposant le Sénégal, comme lieu de refuge de l'opposant Adama Barrow et en dirigeant l'intervention militaire de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO).
Dans un contexte où la vie d'Adama Barrow était en péril tant qu'il se trouvait en Gambie, la proposition lui a été faite de se replier à Dakar pour assurer son intégrité physique d'abord. En situation de tension, Barrow, donné vainqueur de l'élection présidentielle de décembre 2016, a pu profiter de la proposition du Sénégal d'assurer sa sécurité et celle de sa famille, le temps de manoeuvrer pour faire plier la volonté de Yahya Jammeh de rester au pouvoir malgré sa défaite électorale.
L'intervention militaire
L'opération "Restore democracy" qui commence le 19 janvier 2017 n'aurait pas été possible sans le leadership du Sénégal qui a alors intérêt à ce que la Gambie ne devienne pas un autre foyer de tension de plus dans ce que Dakar appelle "la ceinture de feu" (Mauritanie, Mali, Burkina Faso). Dans la configuration de la CEDEAO, les décisions se prennent à l'unanimité des pays membres et le Sénégal a bien négocié en faveur d'une intervention pour forcer Yahya Jammeh à céder le pouvoir.
L'intervention a commencé la nuit du 19 janvier 2017 avec une approche interarmée (armée de terre, mer et air) mobilisant environ 7000 hommes du Ghana, du Nigeria, du Mali, du Togo et du Sénégal sous la bannière de la CEDEAO. Elle est entrée par Ziguinchor, Tambacounda, Kaolack avant d'être arrêtée pour permettre une dernière négociation avec le président sortant qui a finalement accepté de partir, étant lâché par plusieurs ministres ainsi que par le chef d'état-major général des armées, Ousmane Badjie.
L'intervention à partir du 20 janvier a permis de sécuriser les infrastructures vitales, institutionnelles et stratégiques permettant la prise de fonction de Barrow comme président de la République gambienne.
Juste après la prestation de serment de Barrow le 19 janvier 2017 à l'ambassade de la Gambie à Dakar (considérée comme territoire gambien selon les conventions diplomatiques), les différentes organisations internationales et communautaires, notamment l'Union africaine et la CEDEAO ont reconnu automatiquement ce dernier comme président élu.
Enfin, le Sénégal a déposé une demande d'intervention au Conseil de sécurité de l'ONU qui a été approuvée rapidement pour déclencher l'opération "Restore democracy". Cette opération a permis d'éviter une crise interne à la Gambie dont les populations commençaient à se réfugier au Sénégal. L'opération qui n'a pas vu de résistance de l'armée gambienne a permis d'installer Barrow .
Que retenir?
Cette séquence diplomatique et stratégique entre le Sénégal et la Gambie en crise postélectorale a permis de voir que la politique bon voisinage peut être a priori un bon levier de résolution des conflits. De bons rapports entre Yahya Jammeh et Macky Sall auraient possiblement changé le processus de résolution, en excluant dès le départ la possibilité d'intervention de la CEDEAO en privilégiant les moyens classiques de négociation, la médiation, les bons offices, entre autres.
En termes de gains relatifs, le changement de régime a permis au Sénégal de construire rapidement le pont de Farafégné et d'avoir le soutien sans équivoque du président gambien dans le démantèlement des bases nord des combattants du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) qui utilisaient la Gambie comme zone de repli au temps de Yahya Jammeh qui n'affichait pas un soutien franc à Macky Sall sur ce dossier majeur.