Guinée: Dissolution du gouvernement sur fond de crise multiforme - Et si c'était Doumbouya le problème ?

20 Février 2024

En fonction depuis juillet 2022, le gouvernement du Dr Bernard Goumou a été dissous sans autre forme de procès, le 19 février dernier en Guinée par la junte conduite par le Général Mamady Doumbouya. Et cela, sur fond d'une dissension qui cristallisait, entre autres, les tensions entre le Premier ministre et le ministre de la Justice et des droits humains, Alphonse Charles Wright.

Le tout, dans un contexte général où le président de la Transition ne cachait pas son insatisfaction par rapport à l'action du gouvernement qui brillait, à ses yeux, par son peu d'efficacité au point que les Conseils des ministres étaient parfois teintés de remontrances du chef de l'Etat, à l'endroit de certains ministres.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la Transition est loin d'être un fleuve tranquille en Guinée où les acteurs politiques sont à couteaux tirés avec le pouvoir. Et à dix mois de la fin de la Transition, cette dissolution inopinée du gouvernement par le locataire du palais Sekoutoureya, sonne comme une remise en question de l'ensemble de son oeuvre et une volonté d'impulser une nouvelle dynamique à la marche de la Transition.

En renvoyant ses plus proches collaborateurs, le président de la Transition est dans son rôle

Ce qui en dit long sur son mécontentement par rapport à l'action de l'Exécutif. C'est dire si en renvoyant ses plus proches collaborateurs, le président de la Transition est dans son rôle. Mais et si c'était lui le problème ? La question est d'autant plus fondée qu'en renversant le professeur Alpha Condé qui cherchait à s'octroyer un troisième mandat dans les conditions que l'on sait, le Colonel Mamady Doumbouya avait suscité beaucoup d'espoirs chez ses compatriotes.

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Mais en deux ans et demi de pouvoir, non seulement le colonel autoproclamé Général peine à donner une lisibilité claire à la marche de la Transition, mais aussi il a réussi le tour de force de se mettre pratiquement son peuple à dos, en creusant le fossé de la méfiance entre lui et ses compatriotes. En tout cas, ce n'est pas un fait de hasard si son pouvoir a aujourd'hui maille à partir avec l'opposition politique, la société civile et les syndicats.

Sur le plan politique, les arrestations de leaders de l'opposition ne se comptent plus tandis que des figures emblématiques comme Cellou Dalein Diallo de l'UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée) et Sidya Touré de l'UFR (Union des forces républicaines) ont été contraintes à l'exil.

La société civile n'est pas logée à meilleure enseigne avec la dissolution du Front national de défense de la Constitution (FNDC) qui, outre son militantisme pour l'ouverture d'un « dialogue crédible » avec les acteurs politiques et la société civile, n'a jamais cessé de réclamer la fixation d'un délai raisonnable et consensuel de la durée de la Transition.

Quant au mouvement syndical, c'est la veillée d'armes avant la grève générale illimitée qu'il projette de déclencher incessamment dans le pays pour réclamer la libération d'un de ses leaders embastillés en la personne de Sékou Jamal Pendessa, sur fond de mécontentement généralisé et de renchérissement du coût de la vie.

La junte militaire au pouvoir en Guinée ne donne pas suffisamment de lisibilité sur les préparatifs du retour à l'ordre constitutionnel

Le tout dans un contexte d'interdiction stricte des manifestations, de restriction des libertés d'expression et de presse et de limitation des réseaux sociaux. C'est dire la dérive autoritaire dans laquelle s'est engagée le patron du CNRD (Comité national du rassemblement pour le développement) au point de créer aujourd'hui cette situation explosive dans le pays. C'est pourquoi on se demande si le renvoi du gouvernement ne répond pas à des impératifs cachés. Et si en faisant le grand ménage, le tombeur d'Alpha Condé n'entend pas réorienter son action à la tête de la Guinée.

Dans une telle hypothèse, est-ce pour aller dans le sens de la décrispation de l'atmosphère sociopolitique en formant un gouvernement pour rectifier le tir ? Ou bien est-ce pour, comme qui dirait, reprendre la main en vue de mieux garder la Transition dans la trajectoire de sa vision et de son agenda ?

La nomination du prochain Premier ministre et la composition du nouveau gouvernement apporteront sans doute un début de réponse à ces questions. En attendant, à dix mois de la fin de la Transition, la junte militaire au pouvoir en Guinée ne donne pas suffisamment de lisibilité sur les préparatifs du retour à l'ordre constitutionnel dans le délai imparti. Et cela est plutôt inquiétant.

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