En temps normal, c'est un discours d'adieu à ses compatriotes qu'il aurait pu tenir, en appelant les candidats à sa succession, au calme et à la retenue pour le bon déroulement du scrutin. Mais, le 22 février dernier, à quelque trois jours de la présidentielle initialement prévue pour le 25 février prochain, c'est plutôt à un exercice d'explication avec ses compatriotes par médias interposés, que s'est livré le président sénégalais, Macky Sall.
Lui qui s'est déclaré non partant pour un troisième mandat mais à qui il est reproché de retarder le processus électoral en cours, suite au report, à la surprise générale, du scrutin initialement prévu pour se tenir le dimanche prochain. Une décision qui a créé stupeur et consternation au-delà des frontières du Sénégal et suscité une vive réprobation de ses compatriotes engagés dans la lutte pour le respect de la Constitution et le rétablissement du calendrier électoral initialement établi.
Et on comprend d'autant plus le courroux des Sénégalais qu'à la faveur du vote de la loi scélérate validant le report du scrutin devant le parlement, le locataire du palais de la République s'est vu octroyer un bonus de huit mois supplémentaires à la tête de l'Etat sénégalais.
A trop jouer avec le feu et les nerfs de ses compatriotes, Macky Sall pourrait se brûler les doigts
Toujours est-il qu'après avoir cassé la décision du report et constaté l'impossibilité de tenir l'élection à la date initiale, le Conseil constitutionnel a invité les autorités compétentes à organiser la présidentielle dans les « meilleurs délais ». C'est dire la crise de confiance qui existe aujourd'hui entre le successeur de Abdoulaye Wade et ses compatriotes.
Et c'est dans ce contexte de troubles et de fortes tensions sociopolitiques ayant déjà entraîné la mort d'une demi-dizaine de personnes dans des heurts avec les forces de l'ordre, que s'est tenu l'entretien du 22 février dernier. C'est dire si le président sénégalais est aujourd'hui en mauvaise posture dans cette crise où il joue à la fois son honneur et sa crédibilité.
Mais même pressé de toutes parts par l'opposition politique, abandonné par certains de ses soutiens et désavoué par le Conseil constitutionnel, Macky Sall se veut le maître du jeu dans l'organisation de cette présidentielle qui déchaîne les passions, et cristallise les attentions au pays de la Teranga.
Et le choix du format de cette sortie médiatique ne paraît d'autant pas plus anodin que le plateau de cet entretien télévisé donnait l'opportunité au chef de l'Etat de s'expliquer longuement sur sa démarche et ses plans, là où nombre de ses compatriotes l'attendaient au tournant d'un discours solennel pour annoncer la nouvelle date du scrutin.
C'est dire si cette sortie médiatique fort attendue du chef de l'Etat sénégalais a pu laisser bien de ses compatriotes sur leur faim. C'est dire aussi si les Sénégalais, qui s'impatientent d'aller aux urnes, devront encore prendre leur mal en patience au regard de la volonté affichée du natif de Fatick de garder la main sur le processus électoral jusqu'au bout.
La seule issue qui reste à Macky Sall, c'est de travailler à se ménager une porte de sortie
Et d'imprimer le rythme et le tempo des consultations annoncées avec les acteurs politiques, les responsables de la société civile et les représentants des forces vives de la Nation. Mais en faisant trop durer le suspense, Macky Sall court le risque de s'isoler davantage politiquement si son attitude ne contribuera pas à braquer les Sénégalais et à renforcer ses contempteurs dans leurs convictions qu'il est dans la logique de s'accrocher au pouvoir.
Quoi qu'il en soit, si cette interview ne paraissait pas le cadre indiqué pour annoncer la nouvelle date de la présidentielle, il faut craindre que cette façon, pour le chef de l'Etat, de faire languir ses compatriotes, ne contribue à alourdir davantage un climat sociopolitique déjà très tendu. Mais à trop jouer avec le feu et les nerfs de ses compatriotes, Macky Sall pourrait se brûler les doigts.
En tout état de cause, dans la crise actuelle, la seule issue qui lui reste, c'est de travailler à se ménager une porte de sortie. En cela, la sagesse voudrait qu'il puisse tenir compte de l'agitation sociale pour agir dans le sens de la décrispation, de sorte à rassurer ses compatriotes plutôt qu'à jeter de l'huile sur le feu. En d'autres termes, il lui revient de considérer le côté contraignant des « meilleurs délais » du Conseil constitutionnel en ne faisant pas dans le dilatoire. Il y va de l'intérêt de tous et de la paix sociale au Sénégal.