Après les manifestations qui ont fait suite au report de la présidentielle et avec la volonté de dialogue affichée par le pouvoir, l'on a enregistré des sorties de prison en masse de proches du maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko. Pourtant, la plupart de ces personnes étaient poursuivies pour des faits graves que les autorités liaient à une «menace à la sécurité nationale» et non à des raisons politiques.
«Troubles à l'ordre public», «Menace à l'intégrité nationale» ou encore, «Atteintes à la sureté de l'Etat», «Terrorisme» et «Participation à une manifestation interdite»... Des qualifications n'ont pas fait défaut pour justifier les vagues d'arrestations suivies d'inculpations puis de placement sous mandat de dépôt de citoyens interpellés dans le cadre ou la suite de manifestations politiques dont celles liées à l'affaire Ousmane Sonko, leader des Patriotes de l'ex parti Pastef (dissous). Des centaines de Sénégalais à qui on collait toutes les étiquettes, sauf celle de «détenus politiques», sont actuellement libérés en masse, sans procès, après plusieurs mois de détention, au nom de la décrispation du climat politique.
Et pourtant, ils seraient capables du pire, selon la description antérieure de l'Etat qui leur a valu ce long séjour carcéral sans procès. Pour que «force reste à la loi», les autorités, à la tête desquelles le président de la République, Macky Sall, s'étaient engagées à durement réprimer ces manifestants proches du maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko. Dans des sorties à la presse étrangère ou encore en Conseil des ministres, l'engagement de l'Etat à sanctionner «ces fauteurs de troubles» a été ferme. Par exemple, lors de la réunion du Conseil des ministres, tenue le 7 juin 2023, après les manifestations sanglantes qui ont suivies la condamnation pour «corruption de la jeunesse» du leader du Pastef, Ousmane Sonko, dans l'affaire Adji Sarr, le chef de l'Etat, Macky Sall, a évoqué les manifestations en les qualifiant «de violence sans précédent, des attaques malveillantes, vandalisme et de grand banditisme relevés».
DES ARRESTATIONS POUR «NECESSITE DE PROTEGER LA REPUBLIQUE ET DE PRESERVER LA NATION» DES «CRIMINELS» AUX LIBERATIONS POUR DECRISPATION DE LA TENSION
Pis, il avait condamné fermement, «des agressions d'extrêmement graves contre l'Etat, la République et ses Institutions et contre la Nation sénégalaise à travers des violences humaines, des actes de saccages contre des biens publics et privés et des cyber-attaques contre des sites stratégiques du Gouvernement et des services publics vitaux, dont l'objectif était sans aucun doute de semer la terreur et de mettre à l'arrêt notre pays». Le chef de l'Etat avait rappelé au Gouvernement, «l'impératif nécessité de protéger la République et de préserver la Nation face aux attaques qui sont devenues récurrentes et multiformes visant la paralysie de notre économie, la mise à mal de l'image de marque de référence de notre pays, le Sénégal, qui demeure, avant tout, une grande démocratie».
Du communiqué de ce Conseil des ministres, l'on retient aussi que, devant des faits dont la gravité était qualifiée sans commune mesure, «le président de la république a réitéré sa détermination à protéger la Nation, l'Etat, la République, ses valeurs et ses fondements. Il a cet effet ordonné l'ouverture d'enquêtes judiciaires immédiates et systématiques pour faire la lumière sur les responsabilités liées à ces évènements».
Cette position du président de la République a été partagée par son Gouvernement. Alors ministre de l'Intérieur, Antoine Félix Abdouaye Diome n'a pas été tendre avec les manifestants. «Des forces occultes avaient pour mission d'attaquer les installations névralgiques pour arrêter l'activité économique», disait-il, après les évènements de juin 2023. D'ailleurs, il avait trouvé que «ce qui se passe dépasse la politique ; c'est la République et l'État qui sont attaqués. Et sur instruction du chef de l'État, nous allons prendre les dispositions nécessaires pour faire régner l'ordre».
ME AÏSSATA TALL SALL FACE A LA PRESSE, CE MARDI, POUR ECLAIRER
Déjà, le jeudi 11 mai 2023, au sortir de l'audition, par visioconférence, du Sénégal par la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice d'alors, Ismaïla Madior Fall, avait estimé qu'il n'y avait pas de «détenus politiques» au Sénégal. «L'Etat, c'est un équilibre entre la protection des droits, la liberté et la sécurité. Si l'Etat dit que chacun fait ce qu'il veut, et qu'il n'y ait plus d'arrestations, nous périssons ! Le Sénégal n'a pas de détenus politiques. Il y a des libertés prévues par la loi qui doivent être respectées».
Il jugeait aussi que les arrestations ne sont pas une particularité sénégalaise. «Il y a des arrestations dans tous les pays du monde. Le problème est : pourquoi on arrête ?» Les personnes mises en détention ne le sont pas pour le bon vouloir de l'Etat, disait-t-il. «Les citoyens sont arrêtés lorsqu'ils sont auteurs de troubles à l'ordre public. Ce n'est pas une question de voir si les arrestations sont normales ou pas, mais de comment fonctionne un pays. Lorsqu'il y a des citoyens qui prennent des initiatives pour appeler à la subversion, qui fabriquent des cocktails Molotov et les jettent sur la population, on ne va pas dire qu'on ne les arrête pas. S'il y a des individus qui enfreignent la loi, veulent mettre la subversion dans le pays, lancent des appels à l'insurrection, causent des troubles à l'ordre public et agressent d'autres individus, le minimum pour un Etat qui se respecte est de les arrêter et d'essayer de les traduire en justice, en respectant leurs droits».
Comme pour alourdir les charges, le ministre du Commerce et porte-parole du Gouvernement, Abdou Karim Fofana, parlait lui aussi «d'activités criminelles différentes de manifestations politiques». Même son de cloche chez sa collègue Me Aïssata Tall Sall, alors ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l'extérieur, au temps des manifestations de juin 2023. «Je voulais vous donner les assurances que le Gouvernement a rétabli l'ordre. Des procédures judiciaires ont déjà été ouvertes pour engager la responsabilité de tous ceux-là qui ont été les auteurs de ces graves événements qui se sont produits», avait dit Me Aïssata Tall Sall, lors d'une rencontre avec le corps diplomatique accrédité au Sénégal.
En attendant, alors que d'autres libérations sont attendues, des voix s'élèvent pour demander des éclaircissements sur les conditions d'élargissement de ces anciens pensionnaires des Maisons d'arrêt et de correction sur qui pesaient de graves chefs d'inculpation. Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Me Aïssata Tall Sall, va faire face à la presse ce jour, mardi 20 février 2024. Sans doute qu'elle apportera des réponses aux nombreuses interrogations des Sénégalais.