Burkina Faso: « Wayiyan », mon voisin veut dénoncer !

23 Février 2024

Depuis que le président a signé le décret sur la dénonciation des cas de corruption, mon voisin est venu me voir avec une longue liste de noms. Il m'a dit que désormais, il est lui aussi un VDP, un VDP anticorruption. Il m'a dit qu'enfin, lui aussi sera quelqu'un dans ce pays. Il m'a dit qu'il attendait maintenant le barème de paiement des dénonciations pour passer à l'acte.

Et, il espère que le gouvernement n'aura pas la main assez dure pour la tendre généreusement. Parce qu'on ne gratifie pas un dénonciateur de corruption au poulet de la même manière qu'un maraudeur de millions ou de milliards. C'est une question d'équité, de justice. Il pense même que c'est le dénonciateur qui devrait fixer le prix de sa prestation puisque certains prendront des risques démesurés pour collecter les preuves.

D'ailleurs, il m'a montré des photos, des vidéos et m'a même fait écouter un répertoire de sons inédits. Sans susciter la psychose dans le cercle de la corruption, il y a des visages que je connais, des voix que je reconnais ! Il m'a montré sa fameuse liste et j'ai failli tomber en syncope. Il y a des noms de renoms sur cette liste et j'ai bien peur que cette opération mains propres qui ne dit pas son nom ne salisse pas d'autres mains.

Bref, mon voisin m'a dit de rester très discret et prudent. Il souhaite même remettre sa trouvaille main à main au président. Il m'a demandé si le temps des faits de corruption était circonscrit. Je n'ai pas compris mais mon voisin m'a dit qu'il a des preuves de corruption plus vieille que ma maudite plume.

Là, j'ai sursauté. J'ai dit voisin, le président n'a pas dit de 1960 à nos jours et puis, il m'a répliqué que des bâtiments construits au 19e siècle, en 1960, sont toujours debout pendant que des ouvrages fraichement dressés au 21e siècle, même après 2020 s'écroulent sur des Burkinabè avant même la fin des travaux.

Il m'a dit que des avenues des années 1980, sans fissures ni nids de poule sont toujours carrossables et agréables à emprunter pendant que des routes nationales lancées parfois en grande pompe, bâties avec 10% de « soupe pili-pili », s'érodent et partent en lambeaux sous le regard médusé et désabusé du peuple grugé. Il m'a dit des tas de choses qu'une simple chronique aura du mal à révéler sauf en état éthylique.

Mon voisin du pan coupé aussi est venu me voir. Oui celui qui ne salue jamais les voisins là ! Depuis l'annonce de la signature du décret sur la dénonciation de la corruption, il marche comme si un oeuf s'est cassé dans son ventre. Il n'est plus du tout dans son assiette et il paraît même qu'il a perdu l'appétit. Je ne sais pas ce qu'il se reproche, mais il paraît qu'il est totalement contre le décret. Il pense que la Transition n'est pas venue pour ça !

« La Transition ne doit pas fouiner dans les poubelles infectes de la démocratie mais doit plutôt se contenter de faire la guerre contre le terrorisme. C'est le comble de l'arbitraire ! », dit-il. Nous sommes dans un Etat démocratique et il y a des institutions pour ça ! J'ai dit voisin, le terrorisme, c'est aussi celui qui vole des millions pendant que nos hôpitaux manquent de fil de suture, de table d'accouchement, de scanner !

Le terrorisme, c'est aussi certains de ces duplex en or de lambda commis « insoupçonné » qui laisse perplexe et vexe le contexte de notre pays, ce sont aussi certains de ces tas de parcelles au prête-nom insultant, certains de ces étendues d'hectares vides mais entourées de murs ou de barbelés et dont le propriétaire « n'est pas n'importe qui », le terrorisme c'est aussi...

Il ne me laisse pas terminer et poursuit : « le fait de payer des gens pour dénoncer d'autres gens, c'est aussi de la corruption ! ». Là, je ne le suivais plus. Et, il ajouta : « dans cette manoeuvre, c'est sûr que certains vont accuser d'autres ; il y en a qui vont piéger d'autres ». J'ai dit voisin, de quoi as-tu peur ? C'est juste une prime d'encouragement à l'assainissement de la société !

Il m'a répliqué que notre société est bâtie en partie sur du faux et sans cette marge de faux, le vrai ne serait pas vrai, vrai de vrai ! Il m'a dit que la corruption existe dans toutes les sociétés et qu'il ne sert à rien de l'éradiquer. Il m'a même révélé qu'il y a des secteurs d'activité où la corruption fait partie du système de motivation « officiellement officieux ». « S'ils ne sont plus corrompus, ils ne vont plus se donner comme il se doit ».

Mon voisin du pan coupé est formel, si l'Etat éradique la corruption, ce qui est utopique, l'Etat aura et fera des mains propres, mais elle souffrirait de sa propre propreté, les mains vides. Parce que, la corruption, ce n'est pas qu'une pratique, c'est une culture, une tradition ! Mon voisin du pan coupé m'a dit que lui aussi avait une liste. Il m'a dit que ce sera à la guerre comme à la guerre. Alors,

« wayiyan, wayiyan ! » A tous les hommes intègres, restez sur vos gardes, deux de mes voisins ont une liste. Et cette liste risque d'entrer en lice si jamais un d'entre eux glisse !

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.