La première vague de libérations de détenus politiques à Dakar a créé un vaste mouvement d’approbation et de soulagement du côté de leurs familles et de l’opinion. Elle reste néanmoins enveloppée d’un épais nuage de suspicions et d’interrogations.
Le récit de ces garçons laissés à eux-mêmes, sortis fraichement de prison, du moins ceux qui ont souhaité s’exprimer, est glaçant.
Même si certains émettent des réserves sur l’ampleur des sévices physiques et psychologiques dont ils ont été l’objet, les faits restent constants. Il est donc superflu de s’attarder sur le débat puéril de la qualification de détenu politique ou non de ces anciens pensionnaires de la Maison d’arrêt de Rebeuss ; le problème est ailleurs.
En effet, l’on ne peut manquer de se poser la question préliminaire sur leur nombre, et ceux qui sont encore en détention, au regard des chiffres annoncés et non encore démentis, qui dépassent 2 mille personnes. Rapportés à la 1ère vague de 364 personnes libérées selon Me Aissata Tall Sall, la garde des Sceaux, la réponse tombe sous le sens : C’est comme disent les anglais, peanuts.
Mais il faut le dire, pour un pays qui traine fièrement une réputation de pays de droit, et qui a signé la Déclaration universelle des Droits de l’homme dont l’un des piliers est l’Habeas Corpus, on semble s’attarder sur les conséquences (les libérations massives) alors que les causes (arrestations de masse) semblent préoccuper de façon marginale, peut-être à cause de l’émotion que cela a suscité.
Il est bon de rappeler, l’Habeas corpus fait partie du corpus de toutes les conventions internationales sur les droits civils et politiques.
Cette institution anglo-saxonne (dont l'origine remonte à 1679) a pour objet de garantir la liberté individuelle de tout citoyen en le protégeant contre les arrestations et les détentions arbitraires.
Selon cette loi, toute personne arrêtée a le droit de passer devant le juge pour que celui-ci statue sur la légalité de son arrestation et décide éventuellement de sa remise en liberté. Quasiment aucun d’entre ceux qui ont été libérés n’a fait face au juge, si l’on en croit leurs déclarations.
Peut-on alors prétendre, à la lumière de ce que le Sénégal vient de vivre, que les autorités politiques et policières ne courent aucun risque de déférer un jour à une convocation de la juridiction pénale internationale ? Je ne serai pas affirmatif.
Le procédé lui-même est inédit c’est trois dernières années. On semble institutionnaliser la rafle comme mode moyen d’assurer la tranquillité publique.
La rafle de sinistre mémoire (en référence à celle du Vel d’hiv) est, faut-il le préciser, une opération policière d'interpellation et d'arrestation de masse de personnes prises au hasard sur la voie publique ou visant une population particulière. Pour le cas d’espèce, le narratif des ex- détenus montre qu’il s’agissait d’arrestations de groupes de personnes fondées, soit sur des rumeurs imprécises et suppositions, ou bien, contre des individus contre qui, il n'existe ni faits ni indices retenus contre eux (vous voulez dire un bracelet de Pastef ?) et justifiant leur arrestation.
Il faut ajouter que la rafle sur le plan légal, est d'ordre administratif. Elle est placée sous le contrôle de l'autorité politique.
Certains régimes totalitaires ont procédé à des arrestations de masse en amont d'une purge ou d’une épuration contre des adversaires politiques réels ou supposés.
C’est pourquoi la responsabilité de l’autorité politique est totalement engagée. La sortie de la Ministre de la Justice Garde des sceaux Aissata. T. Sall renforce davantage la présomption qui pèse sur l’autorité politique, qui a décidé de cette pratique, bannie dans tous les Etats démocratiques, et qui a fort heureusement décidé d’y mettre un terme, confirmant ainsi ce que beaucoup pensaient à savoir une opération murement planifiée. Les dégâts sont énormes pour les victimes. C’est inadmissible !