« Ne vous faîtes pas appeler « Maître », car vous êtes tous des frères et vous n'avez qu'un seul Maître » (Mt 23, 8). En disant cela à ses disciples, Jésus nous indique la vraie nature des relations qui doivent nous unir entre nous. Nous sommes tous des frères. Il s'agit d'une fraternité vraie et sans frontières. Fils et filles d'un seul père, n'ayant qu'un seul maître, nous sommes tous des frères et des soeurs. Lorsque nous observons ce qui se passe dans notre pays, la RDC, force nous est de constater que nous avons perdu cette notion de fraternité. S'il existe une certaine fraternité, elle est sélective et exclusive. Une fraternité fondée sur l'appartenance ethnique ou tribale nous amène à exclure tous ceux et toutes celles qui n'appartiennent pas à notre tribu, qui ne parlent pas la même langue que nous. Autre constat est celui d'une fraternité intéressée.
Ici, est considéré comme mon frère celui qui me donne des biens, de l'argent. Le jour où il n'est plus en position de me donner, de me faire des largesses, je l'abandonne et je ne le fréquente plus. Cette absence d'une fraternité vraie est un mal qui empêche le pays de se développer et d'émerger pour devenir un pays plus beau qu'avant. La fraternité n'existe pas dans la classe dirigeante. En effet, nos dirigeants politiques se regardent en chien de faïence. Ils vivent une fraternité de façade, une fausse fraternité. En réalité, ils s'entredéchirent et se livrent à des guerres fratricides.
Cette fraternité n'existe pas non plus dans le peuple où le tribalisme, le régionalisme, l'ethnisme constituent des facteurs de division. Là où on devrait s'attendre à voir une fraternité vraie, affective et effective, à savoir, dans les communautés chrétiennes, c'est le même spectacle de la division qui se manifeste. En effet, à tous les niveaux de la vie de l'Eglise, nous observons des clivages, des divisions sur base ethno-tribale.
En analysant cette réalité de la division en profondeur, nous pouvons dire que les causes relèvent de la course effrénée au pouvoir, à l'avoir et la gloire. De ces trois éléments, l'avoir est le facteur dominant qui est à l'origine de la division entre nous les congolais. En effet, le pouvoir est perçu comme un moyen pour avoir, pour se remplir les poches. Ainsi, des expressions comme « aller ou être à la mangeoire » ou encore « être aux affaires » ou « partage du gâteau » témoignent de cette perception du pouvoir. Et celui qui possède beaucoup de biens, beaucoup d'argent est glorifié, porté aux nues : on l'appelle « préso », etc.
Si bien que le pouvoir procure l'avoir et l'avoir mené à la gloire. Lorsque je suis à la recherche du pouvoir, de l'avoir et de la gloire, j'utilise les autres que j'appelle mes « frères » et « soeurs ». Une fraternité intéressée et en définitive fausse parce qu'elle ne vient pas du coeur. En tant que disciple du Christ, notre engagement doit être celui de vivre la fraternité vraie et de pousser les autres à vivre cette vraie fraternité. Lorsqu'on est des frères, l'on partage tout ce qu'on a et on admet qu'un frère manque du minimum vital. On pratique ainsi la justice distributive dans l'usage des biens de la terre. 3 Lorsqu'on est des frères, l'on pardonne et l'on cherche toujours la réconciliation en cas de conflits souvent inévitables. On cherche à vivre dans la paix et pas dans la guerre. Lorsqu'on des frères, l'on se dit la vérité avec respect et avec amour dans le souci de sauver l'autre et de le libérer du mal.
La vérité, en effet, nous libère. Lorsqu'on est des frères, l'on communique avec bienveillance en se mettant à l'écoute les uns des autres. Une écoute empathique des sentiments, des besoins et des demandes de l'autre. La pratique de la communication bienveillante nous sort du jugement moralisateur et de la condamnation des autres. Nous voyons la beauté qui est dans l'autre et nous essayons d'embellir la vie, la nôtre et celle des autres. Lorsqu'on est des frères, on travaille ensemble dans un esprit de collaboration et de coresponsabilité.
On est responsable ensemble de la bonne marche de la maison familiale. Chacun assume sa responsabilité avec l'aide des autres pour que la famille soit une famille heureuse où le bonheur est garanti pour tous. Cet engagement pour un monde plus fraternel, pour une société plus fraternelle commence dans nos familles. En effet, c'est dans la famille que l'on apprend à vivre la vraie fraternité avec ses valeurs de solidarité, de partage, de pardon et de vérité. Cet engagement se poursuit dans l'Eglise, à l'école et dans tous les mouvements associatifs. Pour que cette société plus fraternelle advienne, nous devons nous battre contre notre égoïsme, notre égocentrisme. L'égo surdimensionné s'accompagne d'un orgueil qui tue les autres et qui nous tue finalement nous-mêmes. L'égoïsme nous empêche de partager qu'il s'agisse des biens matériels (avoir) ou du pouvoir ou de la gloire.
L'autre ennemi de la fraternité c'est la cupidité, la convoitise et l'avidité. La soif immodérée de l'avoir qui nous pousse à avoir toujours plus, par tous les moyens, et cela au détriment des autres. Un autre ennemi de la fraternité c'est la recherche du bouc émissaire qui dénote d'une fuite de responsabilité, un déni de responsabilité. Lorsque je considère les autres comme la cause de tous les maux dont je souffre et que je ne vois pas ma part de responsabilité, il me sera difficile de considérer les autres comme mes frères. Pour vaincre ces ennemis de la fraternité, il faut assurer une bonne éducation, dès la tendre enfance, à l'amour qui donne, qui se donne et qui pardonne. Les éducateurs ne doivent pas se contenter seulement de donner des enseignements mais ils doivent éduquer par l'exemple de leur propre vie. Il faut une éducation et une formation à la communication bienveillante, au dialogue en vérité qui suppose d'abord et avant tout une écoute empathique réciproque et une expression honnête et sincère de soi-même.
Il faut aussi une éducation au travail en équipe dans un esprit de coresponsabilité. Le travail en équipe suppose une estime de soi et des autres qui soit juste. Il s'agit ici de ne pas se surestimer ni se sous-estimer. Il s'agit de ne pas surestimer les autres ni les sous-estimer. On ne peut travailler en équipe que si l'on s'accepte et l'on accepte les autres avec nos qualités et nos défauts, nos potentialités et nos limites.
Une fois que nous ne serons mis à l'école de la fraternité et de la responsabilité qu'est l'école de Jésus, nous pourrons arriver à faire la politique avec le coeur et avec la raison.
En effet, l'un des maux qui ronge notre société congolaise c'est le fait que nos dirigeants politiques font la politique avec le ventre. On cherche des postes politiques, des fonctions politiques non pas pour servir mais pour se servir et se remplir le ventre. Lorsque quelqu'un assume une charge politique, on se préoccupe de ce qu'il va acquérir comme biens. Lorsqu'il termine son mandat, s'il n'a pas accumulé des biens il est l'objet de la risée des autres, membres de famille et amis. Faire la politique avec le coeur, c'est mettre en avant les valeurs de l'amour, du partage, de la compassion, de la fraternité. Faire la politique avec le coeur, c'est me mettre au service des autres avec abnégation. Faire la politique avec la raison, c'est travailler non pas avec les sentiments ou les émotions mais avec l'intelligence, la rationalité. C'est travailler de manière logique et rationnelle.
Faire la politique avec la raison, c'est réfléchir avant d'agir. Pour cela, il est important que nos politiciens au sommet de l'Etat se dotent des « Think tank », c'est-à-dire, des personnes qui seront comme les « cerveaux pensant ».
Il s'agit ici des équipes de personnes qui ne sont pas nécessairement dans les structures formelles à qui l'on confie l'étude des questions et problèmes en vue d'une analyse, sans sentiments ni passions, mais objective et rationnelle pour aider la prise des décisions efficaces.
Laïcs, prêtres, évêques nous sommes tous des êtres humains créés pour vivre dans la fraternité sans frontières et pour bâtir ensemble, dans la coresponsabilité, un monde plus fraternel où il fait bon vivre pour tous et toutes.
Fait à Kinshasa, le 27 janvier 2022