Congo-Kinshasa: Frais bancaires exorbitants, RDC - Noël Tshiani lance un gros coup de gueule !

interview

Interview exclusive avec Professeur Noël Tshiani Muadiamvita sur les charges et commissions bancaires ainsi que sa vision de développement du secteur financier en RDC

1. Vous lancez un gros coup de gueule contre les frais bancaires en RDC qui sont exorbitants. Avez-vous des exemples concrets ?

Les banques étrangères abusent de leurs clients congolais sans pitié. Les charges, frais et commissions que les banques prennent sur les comptes de leurs clients sont exorbitants et n'existent nulle part sauf en RDC. Par exemple, un client fait un dépôt d'argent dans son compte d'épargne dans une banque à Kinshasa.

S'il veut transférer cet argent à son compte dans une autre banque dans la même ville en RDC, ce transfert lui coûtera un pour cent du montant transféré. Si le transfert est d'un million de dollars, les frais de transfert reviennent à dix mille dollars. Ailleurs ce transfert coûterait moins de 20 dollars. Si le client veut simplement retirer au guichet de la banque 3.600 dollars cash de son compte d'épargne, ce retrait lui coûterait cinquante dollars. Ailleurs, ce retrait est gratuit. Vous voyez que les banques étrangères en RDC abusent des congolais en les appauvrissant davantage.

2. Vous précisez que ces frais sont exorbitants uniquement en RDC comparaison avec d'autres pays africains. Justement vous ne pensez pas que c'est lié à l'environnement des affaires ? Un climat des affaires dont beaucoup se plaignent. Surtaxation, chevauchement des services étatiques, tracasseries diverses etc.

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Je pense que les banques sont très paresseuses en RDC. Au lieu de faire du crédit qui devrait être l'activité principale pour gagner de l'argent, nos banques préfèrent ne pas prendre du risque en se cachant derrière des opérations génératrices des commissions et des services sans risques. Et comme ces opérations sans risques sont d'un volume limité, les banques cherchent à être rentables en surfacturant leurs clients dont le nombre reste très limité. Il est vrai qu'il y a des coûts liés à un environnement difficile, mais ce n'est pas ça qui devrait justifier la surfacturation dont je parle ici.

3. Que fait l'autorité monétaire dans tout cela ? Pourquoi ?

En principe, les comportements maladroits des banques commerciales devraient être corrigés avec l'implication directe de l'autorité monétaire qui est la Banque Centrale du Congo. Les congolais constatent malheureusement que la Banque Centrale est non seulement absente, mais elle est surtout silencieuse. Tout se passe comme si l'autorité monétaire n'existe que de nom alors que c'est elle qui devrait être au four et au moulin pour réglementer et superviser les banques et au besoin, les sanctionner en cas de comportements maladroits tels que la surfacturation des clients.

4. Est-ce qu'aujourd'hui la RDC a un levier pour faire fléchir les banquiers ?

Bien évidement la RDC en tant que pays souverain a le pouvoir d'autoriser les banques étrangères à fonctionner sur son territoire. Si une banque étrangère ne se comporte pas comme il se doit, la RDC dispose du levier de la sanctionner conformément à la loi ou aux régulations en vigueur.

Au besoin, la RDC peut retirer une licence à une banque dans des situations extrêmes.

Sinon, il y'a une série de sanctions qui peuvent être appliquées par la Banque centrale pour contraindre les banques commerciales à se comporter conformément aux régulations. Ces sanctions peuvent être financières, mais elles peuvent aller jusqu'à révoquer les dirigeants d'une institution financière et dans des cas extrêmes au retrait de la licence bancaire.

5. A votre avis, que faut-il faire pour que les banques satisfassent aux besoins des congolais ?

Les congolais étant définis comme l'Etat, le secteur privé et les individus ont des besoins qui ne sont pas satisfaits par le système bancaire actuel qui est exclusivement constitué de petites banques étrangères opérant dans un environnement de dollarisation. Il faut avoir le courage de dire que, dans des conditions actuelles, le pays n'est pas en mesure de répondre aux besoins financiers de l'Etat, du secteur privé et des individus.

Je propose qu'en tant que pays, la RDC se dote déjà d'une stratégie de développement du secteur financier qui comprendrait des actions telles que la création de quatre à cinq grandes banques congolaises, la création de la bourse des valeurs mobilières, la création de la bourse des matières premières, les sociétés de leasing, une ou deux banques de financement de l'habitat, une grosse banque de financement du développement, une ou deux banque de promotion de la souveraineté alimentaire pour financer l'agriculture, l'élevage, la pêche et le tourisme, un mécanismes de refinancement des prêts hypothécaires, un marché primaire et secondaire de la dette et la restructuration profonde de la Banque centrale.

Dans un tel exercice, l'Etat devra jouer le rôle de catalyseur car sans cela, le secteur privé est très frileux et attend qu'on lui montre le chemin.

A mon avis, de telles actions constituent une révolution qui précéderait ou accompagnerait la lutte effective contre la dollarisation et la promotion de la monnaie nationale qui devra jouir de l'exclusivité monétaire sur l'ensemble du territoire national.

Une telle révolution constituerait la base du développement économique accéléré de la RDC pour une redistribution équitable des richesses nationales.

Qui est Noël K. Tshiani Muadiamvita ?

Noël K. Tshiani Muadiamvita est Docteur en Sciences Economiques avec spécialisation en Banques et Finances de l'Université de Paris IX Dauphine en France.

Il est l'auteur de plusieurs livres parmi lesquels, La bataille pour une monnaie nationale crédible (Editions de Boeck à Bruxelles); Vision pour une monnaie forte (Editions de le Harmattan à Paris); Building crédible central banks (Palgrave MacMillan à Hampshire au Royaume Uni); Monnaie, Banques et Commerce Extérieur (Editions du CEPAS à Kinshasa); et De père et de mère: Quel avenir pour la RDC? (Editions Juris Presse, Kinshasa).

Sa thèse de doctorat a porté sur l'indépendance des Banques Centrales, la responsabilité et l'impact sur la politique monétaire : Application à la RDC.

Professeur Noël Tshiani Muadiamvita fut Directeur Résident à la Banque mondiale à Washington ; et un banquier commercial et d'investissements à la JP Morgan Chase à New York.

En 1997, il avait co-présidé la Commission de Réforme monétaire qui avait conçu le Franc congolais en remplacement du Zaïre monnaie.

Il est professeur dans plusieurs universités où il enseigne l'économie monétaire, l'économie et les stratégies de développement, les finances, les banques et le commerce international.

Professeur Noël Tshiani Muadiamvita fut Candidat à la Présidence de la République Démocratique du Congo en 2018 et 2023.

Il est l'initiateur de la proposition de loi Tshiani de père, de mère et d'épouse. Il est marié et père de cinq garçons. Il parle Français, Anglais, Tshiluba et Lingala

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