Tunisie: Dr Jalel Ziadi, directeur général du Centre national pour la promotion de la transplantation d'organes (Cnpto), à La Presse - «Nous restons bien loin des chiffres souhaités»

24 Février 2024

La transplantation d'organes avance à pas de tortue, suivant ainsi une courbe timide en comparaison, aussi bien au nombre des patients qui sont dans le besoin d'être greffés qu'aux attentes des professionnels pour lesquels les greffes demeurent limitées, alors que la compétence y est, la transparence aussi. Sur une liste d'attente de 1.700 patients, seules 52 greffes d'organes ont été réalisées à partir de donneurs cadavériques.

Pourtant, les cas de morts encéphaliques auraient pu redonner de l'espoir à un plus grand nombre de patients en détresse rénale, cardiaque ou encore hépatique. Pour mieux comprendre les entraves à la promotion de la transplantation d'organes, nous avons eu cet entretien avec le Dr Jalel Ziadi, directeur général du Cnpto.

Nos organes sont-ils protégés contre tout abus et contre toute pratique douteuse ?

Absolument ! Il n'y a aucun soupçon là-dessus. En Tunisie, les actes de greffe d'organes sont effectués en toute transparence. Ce n'est pas parce que je représente le Cnpto que je vous dis cela, mais parce que la procédure elle-même n'est pas l'affaire d'un médecin, mais de toute une équipe qui compte au moins une quarantaine voire une cinquantaine de personnes. Cette activité n'est réalisée que dans des centres agréés, préalablement, par le ministère de la Santé et qui ne sont autres que les hôpitaux publics.

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Il est strictement interdit de prélever ou de greffer des organes dans le secteur privé, à l'exception de la greffe de cornée. Mieux encore : cette pratique n'est pas autorisée dans tous les hôpitaux publics, mais plutôt dans les établissements qui détiennent une autorisation du ministère de tutelle, conformément au décret 2023 lequel actualise la liste des hôpitaux publics, autorisés au prélèvement des organes. Ainsi, les procédures obéissent à toute une législation. D'autant plus que certains médicaments nécessaires à cette pratique sont strictement réservés au secteur public et lui sont fournis par la Pharmacie centrale.

La greffe d'organe ne se résume pas à une intervention chirurgicale. Elle fait partie de tout un protocole thérapeutique, qui comprend une prise en charge médicale préopératoire comportant une panoplie d'explorations, afin de valider l'indication thérapeutique et un suivi post-opératoire rigoureux, dont l'objectif principal consiste à éviter le rejet et de permettre la survie de l'organe le plus longtemps possible. La complexité de la prise en charge de ces patients nécessite des compétences médicales qu'on tient à saluer pour leur dévouement pour cette activité qui nécessite beaucoup d'engagement professionnel et personnel.

Qu'en est-il de l'état des lieux de la transplantation d'organes en Tunisie ? Quelle évolution dans ce domaine ?

Depuis ses débuts, la greffe n'a pas connu une activité constante. Son évolution ne répond pas aux espérances des patients nécessiteux d'organes. L'activité dépend ainsi du nombre de prélèvements effectués.

L'organe prélevé peut provenir d'un donneur vivant ou d'un donneur en état de mort cérébral. Le don à partir d'une personne vivante est régi par une réglementation très stricte. En effet, le donneur doit être consentant, immanquablement, être majeur, jouissant de toutes ses capacités mentales. Il nous est interdit de prélever un organe sur un donneur mineur même avec le consentement de ses parents. Il ne peut donner qu'un organe dont il a le double ou encore une partie d'un organe dont l'ablation de la moitié lui garantit de vivre normalement.

De ce fait, on peut se permettre de prélever un rein chez quelqu'un qui en possède deux. Le deuxième organe qu'on peut prélever chez un donneur vivant est la moitié d'un foie, car pour vivre, une moitié de foie suffit. Par contre, il est impossible de prélever un organe vital comme le coeur, par exemple, ou les deux reins...

Autre point à souligner, parmi les conditions de la loi 91-22 qui régit la transplantation d'organes, figure l'absence de risque de tout dommage corporel, psychologique et organique pouvant être occasionné au donneur vivant, suite au prélèvement d'organes. Le donneur vivant est appelé à comparaître devant le tribunal de première instance pour déclarer son intention de donner un organe et signer un accord de consentement. Notons que ledit consentement écrit peut être révoqué par le donneur vivant à tout moment et sans pour autant recourir à des procédures administratives. Un refus verbalisé, même à la dernière minute, le désengage de toute responsabilité.

Pour ce qui est du donneur cadavérique, c'est toujours la loi 91-22 qui est de référence. On entend par donneur cadavérique un donneur en état de mort encéphalique. Permettez-moi de vous rappeler la définition de la mort selon la décision du ministre de la Santé de 1998. En effet, la mort est soit l'arrêt cardio-circulatoire irréversible, soit l'arrêt irréversible des fonctions encéphaliques. Cette dernière est le cadre juridique et scientifique du don d'organe, à partir d'un donneur décédé.

Pour faire plus simple on ne prélève pas d'organe sur une personne qui est décédée chez elle, par exemple, ou qui a été placée à la morgue, car ses organes sont déjà lésés. Le donneur cadavérique est une personne qui est placée en réanimation chez qui on peut maintenir les organes autres que le cerveau en fonction quelques heures et c'est généralement suite à un traumatisme crânien grave au cours d'un accident de la route par exemple, ou suite à un accident vasculaire cérébral.

Pour ce qui est de la réglementation, il est important de rappeler que toute personne est donneuse, sauf si, de son vivant, elle a signifié son refus. La famille, de son côté, a le droit de s'y opposer. Un autre texte de loi, à savoir la loi 99, donne le choix aux citoyens d'inscrire de façon explicite la mention donneur sur la carte d'identité nationale, aidant à la décision de la famille en post mortem. Par contre, pour déclarer son refus de donner un organe, le législateur a permis aux citoyens de manifester leur opposition auprès du tribunal de circonscription et de demander au juge de mentionner «je m'oppose au don d'organes» dans un registre de refus. D'ailleurs, ce registre est disponible dans tous les centres autorisés aux prélèvements.

Y a-t-il une évolution de l'activité en réponse notamment à la liste d'attente ?

L'évolution est en dents de scie. Il y a eu un pic en fin 2008- 2009. Puis, il y a eu une chute notamment en 2012- 2013.

Cette chute s'est poursuivie jusqu'à 2019 où on a eu une reprise importante, puis la période du Covid où l'activité s'était complètement anéantie. On note, néanmoins, une reprise importante en 2022 avec 19 prélèvements multi-organes sur donneurs cadavériques qui ont permis d'effectuer 52 transplantations d'organes.

Qu'est-ce qui entrave à la transplantation d'organes ? Est-ce l'opposition des familles ? Et pourquoi ?

Les obstacles qui entravent le développement de la transplantation d'organes sont bien d'ordre socioculturel qu'organisationnel. La première cause du refus est la famille. C'est le manque de confiance dans le système de la Santé avec des doutes concernant la transparence dans l'octroi des greffons et je profite de cette occasion pour rappeler un principe fondamental du don qu'est l'équité des chances. La seconde est le respect de l'intégrité du corps. Et en dernier lieu, de cause religieuse, mais celle-là est de plus en plus rare, vu que le sujet a été largement débattu et la religion encourage le don d'organe et l'altruisme.

Le nombre des donneurs d'organes suffit-il à la demande de la liste d'attente ?

On a 1.700 patients sur la liste d'attente rénale, 50 patients en attente d'un foie et 40 en attente d'un coeur. Devant ces chiffres, on constate un déséquilibre entre l'offre et la demande.

Malgré le travail fourni, on a enregistré en 2022 la réalisation de 71 greffes rénales, 12 transplantations cardiaques et 8 transplantations hépatiques, nous restons bien loin des chiffres souhaités.

Quels sont les critères du choix des receveurs d'organes?

Le choix se fait par un logiciel dans lequel on introduit les données morphologiques et les résultats biologiques des patients. Selon un algorithme établi par les professionnels, le logiciel nous donne la liste des malades prioritaires par rapport à chaque don.

Autrement dit, à chaque donneur cadavérique correspond une liste d'attente, vu que l'histocompatibilité varie d'une personne à une autre.

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