Ile Maurice: «Une révision en profondeur du système éducatif dans son ensemble est indispensable et urgente»

24 Février 2024

Quelle est votre analyse des résultats du «Higher School Certificate» (HSC) 2023 ?

Le taux de réussite de 80,4 % semble honorable, comparé à celui de 71 % en 2019. Cependant, cette apparence de performance satisfaisante dissimule les multiples lacunes d'un système éducatif élitiste, figé et hyper-compétitif. Des 18 112 élèves entrés en grade 1 en 2011, seuls 6 354 (35 %) ont réussi les examens du HSC en 2023. Ce pourcentage se situe entre 60 % et 95 % dans les pays qui excellent aux épreuves internationales du Programme for International Student Assessments (PISA). Il s'agit d'un examen classique axé sur les connaissances académiques, au détriment d'une éducation holistique qui favorise l'apprentissage pour la vie, les compétences pratiques, l'autonomie, l'autodiscipline, la créativité, la gestion du temps et l'entrepreneuriat, entre autres.

Cet examen favorise les élèves issus des classes aisées et moyennes, tout en constituant un obstacle majeur en amont pour les élèves de milieux défavorisés, dont les potentiels non-académiques valables restent inexplorés. Le drame réside dans le fait que bon nombre des élèves qui réussissent brillamment à ces examens quitteront le pays pour poursuivre des études supérieures à l'étranger où ils s'installeront aisément et sans remords, face aux conditions d'emploi déplorables dans le pays. Ainsi, d'autres nations récolteront les fruits de nos investissements. Il est regrettable que le HSC Pro, mieux adapté au contexte local et affichant un taux de réussite de 100 %, n'ait attiré que 37 candidats.

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Dans le cadre du «School Certificate» (SC), on remarque des difficultés chez les jeunes à obtenir les cinq «credits» requis. Quelles sont les raisons pour lesquelles ces élèves n'y parviennent pas ?

Il est extrêmement préoccupant de constater que trois candidats sur cinq au SC sont recalés pour l'admission en Lower VI. Les raisons sont multiples et liées à la dégradation et à la faillite totale de notre système éducatif pendant la dernière décennie. Les mesures unilatérales prises par les autorités depuis 2014, sans consultations ni planifications préalables, pour soidisant améliorer le système, ont finalement abouti à ce triste déclin. Le Nine-Year Continuous Basic Education (NYCBE), introduit en 2017 pour remédier aux lacunes de l'ancien système, telles que l'enfance gâchée, l'élitisme, l'exclusion, la compétition féroce, le bourrage de crâne, les leçons particulières, la stigmatisation, etc., a eu l'effet contraire et a même exacerbé certaines déficiences.

Pour dissimuler les lacunes du NYCBE, des mesures hâtives et réactives ont été prises pour un nivellement par le bas. Au primaire, le programme pour certaines matières a été allégé ; le niveau de difficulté des examens et le seuil de réussite pour certaines matières ont été revus à la baisse pour gonfler le taux de réussite ; pour obtenir un A au PSAC, le nombre de points requis est passé de 90 à 75 ; pour être admis en Grade 10, il suffit d'un pass en six matières au lieu de huit matières, y compris le français et les mathématiques ; l'Extended Programme, lancé en 2016 en marge du NYCBE pour remplacer le Prevoc jugé inefficace, a donné des résultats catastrophiques avec un taux d'échec de 97 % en 2022 et de 88,8 % en 2023. Les académies introduites en 2018 n'ont pas brillé car les résultats du SC de 2023 démontrent toujours des faiblesses.

Finalement, le retard dans la distribution des manuels scolaires, le manque d'enseignants et de chefs d'établissement ainsi que le recours aux enseignants remplaçants tout au long de l'année ont été des obstacles majeurs pour un grand nombre d'élèves.

Près de sept ans après la mise en place du «Nine-Year Schooling», quelle est votre évaluation de la situation ?

Il est clair que le NYCBE, comme mentionné précédemment, n'a pas réussi à atteindre ses objectifs. De nombreuses propositions visant à améliorer le système éducatif n'ont pas donné les résultats escomptés et ont parfois eu l'effet contraire. En outre, certaines propositions n'ont jamais été mises en oeuvre pour diverses raisons. L'idée d'une éducation holistique promise ne s'est pas concrétisée et la compétition s'est même intensifiée avec deux examens (PSAC et NCE) devenant très compétitifs.

Les collèges régionaux restent à la traîne par rapport aux académies et il est regrettable de constater que le cursus scolaire, la pédagogie et l'évaluation n'ont pas évolué dans la bonne direction. Les résultats parlent d'eux-mêmes : une baisse généralisée du niveau de l'éducation, comme en témoigne la performance des élèves aux examens du PSAC, du NCE et du SC. Il est donc impératif de revoir en profondeur les stratégies éducatives mises en place pour répondre aux besoins réels des élèves et assurer une véritable amélioration de la qualité de l'éducation dispensée.

Le système éducatif est obsolète, dites-vous. Quelles mesures devraient être envisagées pour l'améliorer ?

Il est indéniable qu'une révision en profondeur du système éducatif dans son ensemble est indispensable et urgente. Cette révision devrait être basée sur des études et recherches menées avec l'aide d'organisations internationales et de pays partenaires. Il est impératif de réaliser un audit complet du système actuel, y compris une évaluation du rapport qualité-prix, suivi de l'élaboration d'un plan d'ensemble en collaboration avec les acteurs du système éducatif. Les quatre piliers du système éducatif - le curriculum (ou programme d'études), la formation des enseignants, les examens et la gestion des établissements scolaires - doivent fonctionner de manière concertée et harmonieuse pour faire progresser le système.

Le curriculum, plutôt que les examens, devrait être le moteur du système. La création d'une institution telle qu'un National Centre for Curriculum Research and Development chargé de la gestion du système pourrait s'avérer nécessaire.

Une feuille de route, basée sur des philosophies éducatives avantgardistes, des pédagogies contemporaines, les nouvelles technologies de la communication et des méthodes d'évaluation holistique, doit être élaborée. Les enseignants doivent être des facilitateurs plutôt que de simples dispensateurs de connaissances et ils doivent aider les élèves à apprendre sans anxiété et à développer leur soif de connaissances pour la vie, plutôt que de se concentrer uniquement sur la réussite aux examens.

Les changements doivent commencer à la base, c'est-à-dire au niveau du pré-primaire et du primaire, qui constituent le socle sur lequel seront construits le secondaire et le supérieur.

En outre, il est crucial d'accorder plus d'autonomie aux écoles et aux zones, ainsi que d'impliquer davantage les acteurs du système dans le processus décisionnel. Les retouches à l'emporte-pièce du système, comme constatées ces dernières années, sans une planification méthodique à moyen et long termes, produiront inévitablement des résultats médiocres. Il est également essentiel de revoir la politique sociale pour lutter contre la pauvreté, à la base des inégalités du système éducatif. Cela pourrait impliquer la suppression des académies et l'établissement d'une égalité de traitement entre les écoles.

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