La consécration pour la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop, récompensée de l'Ours d'or à la Berlinale samedi pour son documentaire Dahomey, qui se penche sur l'Afrique et les relations post-coloniales, et sur le sujet de la restitution des oeuvres d'art africain exposées dans les plus grands musées des ex-puissances coloniales. Entretien avec Bénédicte Savoy, spécialiste de la question des restitutions d'oeuvres spoliées pendant la colonisation.
Dahomey, documentaire de Mati Diop sacré à la Berlinale samedi 24 février, retrace l'histoire de la restitution de 26 oeuvres pillées en 1892 par les troupes coloniales françaises au royaume du Dahomey, dans le centre-sud du Bénin actuel. Bénédicte Savoy est historienne de l'art, spécialiste de la question des restitutions d'oeuvres spoliées pendant la colonisation, professeure à l'université technique de Berlin et co-autrice d'un rapport sur le sujet commandé par le président Macron, en 2018, « Vers une nouvelle éthique relationnelle ».
RFI : Est-ce que vous êtes surprise par le fait que l'Ours d'or aille à ce film, qui est un documentaire sur un sujet sensible, que ce soit en Afrique comme en Europe ?
Bénédicte Savoy : Pour dire la vérité, non. Dès la première minute où j'ai vu ce film, j'y ai cru. J'ai cru qu'il remporterait l'Ours d'or et il l'a remporté. Évidemment, c'est mieux quand ça s'inscrit dans la réalité, mais nous y croyions beaucoup ici à Berlin, nous qui travaillons sur ces questions.
Qu'est-ce que cette récompense dit de la place que prend cette question des restitutions d'oeuvres dans les consciences des pays européens ?
Ce film, avec sa poésie particulière, avec son propos politique particulier, montre que le sujet a non seulement une place immense, mais qu'il a, d'une certaine manière, franchi un mur du son. Là, on est passés dans une nouvelle « géopoétique » et géopolitique du sujet, qui n'est plus limitée à des petites négociations juridiques dans nos institutions européennes ou dans nos parlements, mais qui embrasse maintenant la totalité du monde. Et ce film montre, en particulier, que les jeunes générations se sont emparées du sujet.
En tant qu'experte et spectatrice, qu'est-ce qui vous a marqué dans ce documentaire ?
Tout m'a marqué dans ce documentaire : un documentaire qui dépasse le format du documentaire, qui a une force poétique puissante, avec le texte, notamment, de Makenzy Orcel, ce grand poète haïtien, qui souligne, qui sous-tend les images extraordinaires de Mati Diop et leur proximité visuelle avec les objets dont on parle. Tout ça ensemble donne au sujet une nouvelle dimension : une dimension d'avenir.
Justement, est-ce que ce documentaire et la visibilité que lui confère cette récompense vont provoquer, accélérer les choses au sein des jeunes générations des deux côtés de la Méditerranée ?
Des deux côtés de la Méditerranée, les jeunes générations se sont déjà emparées du sujet. Ce que ce film fait avec eux, qui est bien plus qu'un documentaire, c'est qu'il leur donne de la force, il libère la parole. Il leur montre que leur énergie d'avenir, si on peut dire ça comme ça, est déjà là, et que les débats que nous menions encore il y a cinq-six ans, par exemple avec Felwine Sarr quand nous avons écrit le rapport sur la restitution, sont pratiquement déjà des débats du passé. On est déjà dans l'avenir et c'est ce que ce documentaire montre avec force, puissance, créativité. La récompense qui lui a été attribuée à Berlin est plus que méritée.