Reportée pour le 24 janvier 2024 par décret présidentiel, confirmée par le vote d'une loi 10 jours plus tard, l'élection présidentielle n'a pas eu lieu hier au Sénégal. En lieu et place des files d'attente devant les bureaux de vote, les Sénégalais se sont donc perdus en conjectures sur cette première pour leur pays.
Conjectures nourries par la dernière grande interview du président sortant, le 23 février 2024.
A cette occasion, pendant plus d'1 heure 45 mn, Macky Sall a tenu un discours clair-obscur, laissant plus d'un observateur dans le doute sur l'avenir institutionnel du pays à l'expiration de son mandat, le 2 avril 2024.
De fait, Macky Sall y a clairement indiqué qu'il quittera ses fonctions à cette échéance, qu'il va élargir des prisonniers politiques dont l'opposant Ousmane Sonko, qu'il organisera un nième "dialogue national" le lundi et mardi. Il est resté cependant évasif sur la nouvelle date de la présidentielle et sur comment va se gérer la vacance du pouvoir qui se profile inexorablement à l'horizon.
En effet, s'il a reconnu qu'il est matériellement impossible d'organiser la présidentielle avant le 2 avril 2024, il s'est refusé à donner une nouvelle date, même approximative, préférant renvoyer tout le monde aux conclusions du "dialogue national." Par ailleurs, il s'est aussi refusé à évoquer la disposition constitutionnelle qui désigne le président de l'Assemblée nationale comme le successeur du président de la République en cas de vacance du pouvoir, préférant indexer celle qui stipule que le président sortant doit remettre le pouvoir à un président nouvellement élu.
Des dits et des non-dits qui continuent d'épaissir le mystère Macky Sall. L'homme a beau claironner ne pas vouloir s'inventer un destin de dictateur après plus de 20 ans au sommet de l'Etat sénégalais en tant que ministre, Premier ministre, président de l'Assemblée nationale et chef de l'Etat pendant 12 ans, il a beaucoup flirté avec cette image désastreuse.
Car malgré sa déclaration de fin juillet 2023 dans laquelle il affirmait ne pas vouloir briguer un 3e mandat, celle de jeudi dernier où il dit qu'il quittera le pouvoir le 2 avril prochain, il y a comme un goût d'inachevé, de gâchis de son leadership d'homme d'Etat, démocrate et républicain.
Contre lui on citera les multiples interpellations, procès, emprisonnement et exil d'opposants dont Khalifa Sall, Karim Wade, Bassirou Faye ou Ousmane Sonko. Que dire alors de l'oukase contre les franchises parlementaires quand le 5 février des députés de l'opposition ont été expulsés manu militari afin que ceux de la majorité approuvent par un vote mécanique, la loi sur le report de l'élection présidentielle qui n'a pas prospéré devant le Conseil constitutionnel ?
Le modèle qu'était la démocratie a pris plus que des rides depuis 3 ans et dans cette fin de mandat embrouillée de Macky Sall. Quant on sait que 16 candidats à la présidentielle sur 19 refusent de prendre part au "dialogue national", alibi d'un lenga sur mandat que veut le président sortant, on se convainc que le Sénégal va vers une transition politique avec une bonne dose d'incertitudes que le discours en clair-obscur de l'Enfant prodige de Fatick est loin d'avoir levées.
La détermination des démocrates sénégalais et la force des institutions républicaines de leur pays va-t-elle continuer de nous surprendre agréablement ? On attend de voir !