Wassacodé (Matam), 25 fév (APS) - Le village de Wassacodé Mbayla est connu de toute la région de Matam (nord) comme étant le haut lieu de fabrique de canaris, d'où son surnom de "Wassacodé lood̔é". Une activité pratiquée presque dans tout le village par les femmes depuis des générations.
Au détour d'une piste latéritique longue de cinq kilomètres, se dresse une mosquée qui commence à perdre sa peinture jaune. Des concessions sont visibles depuis l'entrée du village de Wassacodé Mbayla.
En cette matinée peu ensoleillée et poussiéreuse, le village est à peine animé. Faute d'un plan de lotissement, il est difficile de conduire une voiture dans ces ruelles étroites.
Au milieu du village, un grand espace en forme de cercle accueille le visiteur. Le site est rempli de cendre et de reste de brûli. Il est utilisé par des potières pour finir la fabrication de récipients dont des canaris et des calebasses.
Ce village de la commune de Ogo, non loin de Sinthiou Garba, sur la route nationale n° 2 (RN2), connait deux activités phares : la bijouterie et la poterie exclusivement exercée par des femmes depuis des générations.
Aissata Sy tient son atelier dans la maison familiale située à quelques encablures de la grande mosquée du village. On en trouve presque dans chaque concession.
Dans la demeure des Sy, sont rangés des récipients fabriqués à base de terre cuite. Juste à l'entrée de la maison, se dresse une tente où sont éparpillés des récipients en cours de fabrication. On en voit de toute sorte, des calebasses, des canaris, des vases, sans compter la matière première, l'argile.
A côté, un bâtiment dont il ne reste que quelques poteaux est utilisé pour garder des canaris. Pour cette journée, Aissata Sy a voulu se parer de ses plus beaux habits, de même que ses autres camarades.
Il a fallu plusieurs minutes pour les convaincre de se mettre en tenue de travail. Elles viennent du quartier Mbayla pour partager leur expérience. A côté de ces dames, d'autres plus âgées n'ont pas voulu manquer ce rendez-vous, même s'il faut s'appuyer sur une canne.
La poterie, partie intégrante de l'identité de Wassacodé
Sous la tente, servant d'atelier à Aissata Sy, ses collègues sont déjà à pieds d'oeuvre. "Aujourd'hui, je suis gâtée, car mes amies vont m'aider à finir toutes mes commandes", lance-t-elle en rigolant.
"L'activité de poterie à Wassacodé Mbayla est une pure tradition dans ce village. Nos parents ne connaissaient que la poterie. Beaucoup d'entre elles ne sont plus de ce monde, mais nous avons gardé cette tradition qui existe depuis toujours", a expliqué Aïssata Sy, entourée d'autres dames chacune en train de travailler sur un récipient.
La tradition se perpétue, selon elle, tout en rappelant l'importance de ces récipients dans la tradition du Fouta fabriqués à base de terre cuite. Elle donne l'exemple d'un nouveau-né à qui on donne à manger de l'aliment toujours gardé dans un canari.
Elle rappelle que la nouvelle mariée a l'obligation de mettre dans ses bagages un canari, un récipient pour de l'encens qu'elle utilise aussi pour chauffer de l'eau et même faire du thé.
La porterie fait partie des marqueurs de ce village depuis des siècles, selon la dame.
"Si le village est connu, c'est grâce à la poterie. Partout où nous allons, les gens nous accueillent en nous parlant de notre activité qui nous fait vivre. A chaque fois que nous allons dans les marchés et autres loumas (hebdomadaires), nous revenons avec de l'argent qui nous permet de satisfaire nos besoins", se réjouit Aïssata Sy.
Alors qu'elle est dans ses explications, ses camarades donnaient de la forme aux récipients sur lesquels elle avait commencé à travailler.
Tout au tour, sous la tente, deux femmes âgées écoutent religieusement les explications de la dame Sy, la rectifiant au besoin alors que les jeunes filles pas encore rodées à la tâche se contentent d'aider leurs mamans ou grandes soeurs.
Pourtant, cette potière a mis du temps avant de se consacrer à ce métier. "Etant très jeune, je faisais de la coiffure, j'étais presque la seule dans le village. Je coiffais les dames et les jeunes filles lors des fêtes religieuses et autres cérémonies. C'est après que je me suis décidée à me consacrer à ce métier que faisait ma tante", souligne-t-elle.
Elle explique que depuis plus de vingt ans elle travaille la terre cuite pour gagner sa vie.
Durant son enfance, Aïssata Sy était toujours proche de sa tante qui l'a adopté et dont elle a hérité de l'atelier. Elle se souvient qu'avec d'autres filles, elles allaient chercher de l'argile à Ogo, un village non loin de Wassacodé, situé sur la Nationale 2.
"Nous nous regroupions dans une maison pour y passer la nuit. On se levait juste après la prière de l'aube pour marcher jusqu'à Ogo. Un seul voyage suffisait pour fabriquer plusieurs récipients. Au retour, on suivait les instructions de nos mamans qui nous demandaient de nous occuper d'autres tâches comme piler, aller chercher de la bouse de vache", se rappelle-t-elle.
Se plongeant dans sa jeunesse, Aïssata Sy précise que sa tante fabriquait chaque jour deux canaris qu'elle se chargeait de terminer, au milieu du village avant qu'ils ne soient mises en vente.
Pour cela, elle marchait jusqu'à Matam, Ourossogui, Kanel ou Léwé.
Aujourd'hui, dit-elle, les choses ont changé avec de nouveaux matériaux qui facilitent la fabrication de plusieurs canaris et autres récipients en un seul jour. Ces objets sont chargés dans des véhicules à destination de marchés de la région et même au-delà jusqu'à Pété, dans le département de Podor.
Echanger des canaris contre du riz, du mil, du maïs...
Aissata Sy souligne que beaucoup de personnes continuent d'utiliser des récipients traditionnels comme le couscoussier. Il en est de même avec les canaris qui permettent d'avoir de l'eau fraîche.
Dans le processus de fabrication de ces récipients, plusieurs objets sont utilisés. "Avant, presque toute la matière première était gratuite et à portée de main, mais aujourd'hui, tout s'achète. Nous payons les chargements de l'argile, le transport des canaris ou encore la peinture", explique Hawa Sy, une potière.
Cette dame qui a appris ce métier de sa maman, souligne qu'elle peut dépenser entre 50 et 60 000 francs pour le transport vers les grands marchés de la région.
De son côté, Faty Samba Mboh, aujourd'hui âgée, rappelle les conditions dans lesquelles elle travaillait. Le matériel utilisé il y a plus de cinquante ans a disparu pour laisser place à d'autres outils qui facilitent la tâche à l'actuelle génération.
"Nous pouvions passer deux journées à fabriquer un seul canari. Aujourd'hui, le travail est devenu très facile. On marchait jusqu'à Danthiady, une vingtaine de km de Wassacodé pour vendre les canaris", se souvient-elle.
Une autre dame, presque du même âge qu'elle, Fama Sall, la maman de Hawa Sy, rappelle qu'étant enfant, elle prenait cette activité comme un jeu, en s'exerçant à fabriquer de petits récipients.
Avec l'âge, elle et ses amies ont pris ce travail très au sérieux en suivant les pas de leurs mamans.
"A notre époque, les canaris s'échangeaient contre du mil, du riz, du maïs selon la quantité et la qualité du récipient. On ne rentrait jamais bredouille, on revenait toujours avec de quoi assurer les repas de la journée", se remémore la grande dame.
D'après elle, c'est au fil du temps que les méthodes de vente ont changé avec un prix compris entre 15 francs, 25 francs et 150 francs CFA.
Contrairement à leurs devancières, Aïssata et Hawa Sy peuvent aujourd'hui vendre un canari à 5000 francs CFA.
Toutes ces femmes vivent de cette activité qui leur permet de se prendre en charge pour les besoins des cérémonies familiales. Cependant, les enfants ont du mal à suivre leurs pas.