Poète jusqu'au bout, la poésie demeure pour Louis Aragon un véritable sujet de réflexion. Frappé par deux vers de Rimbaud, il explique que, quoiqu'on veuille apporter une modification au second vers pour des raisons syntaxiques, il persiste, quant à lui, à penser qu'il n'y a rien à changer. Voici les deux vers en question :
Mais des chansons spirituelles
Voltigent partout les groseilles
Au lieu de lire le deuxième vers, comme le préfère l'édition critique, Voltigent parmi les groseilles, « pour moi, écrit-il, tant que je vivrai, je lirai Voltigent partout...avec cet étrange transitif du verbe voltiger, qu'on peut me dire être une faute, et que je persiste à considérer comme une beauté ».
Cela, ajoute-t-il, fait le mystère de la poésie. Car la poésie est beauté, c'est-à-dire elle est un art, entendons par ce dernier ce qui rend possible la construction d'une langue nouvelle. « L'art des vers est l'alchimie qui transforme en beauté les faiblesses ». Rendre beau le laid, fort le faible, heureux le malheureux ...
Et cela est le propre du poète. La poésie ne règle rien car elle n'est pas
conventionnelle. Ce que cherche le poète, c'est plutôt subvertir, Aragon dirait violer. Mais subvertir ou violer quoi ?
Le premier combat que mène le poète est un combat contre la syntaxe de la langue. Le poète doit créer sa propre langue avant tout. C'est cette trouvaille, à ce qui me semble, qui lui ouvre la piste vers la poésie, comprenons bien entendu par celle-ci un mystère que seuls les mystiques connaissent, pour reprendre cette fois-ci un propos d'Abdelkébir Khatibi.
Au fond, s'affrontant au non-dit, que la langue ne dit pas, car elle en est incapable,
le poète se trouve dans la nécessité de poétiser la langue et de lui attribuer une aura. La poétisation est une condition sine qua non qui permet de libérer la langue de ses limites face à l'innommable.
Ce qui est appelé une faute dans les vers de Rimbaud, les poètes l'appellent une
beauté. Ce que voit le poète comme beau et vrai, les autres ne le voient même pas.
On n'a pas tort de dire que seuls les poètes peuvent voir des choses...
C'est dire que la poésie part du langage pour en faire un langage se dépassant lui-même. Bref, avec la poésie, le langage est enchanté.