Depuis le report, dans les conditions que l'on sait, de la présidentielle initialement prévue pour se tenir le 25 février dernier, le Sénégal est plongé dans une crise. En rappel, tout a commencé le 3 février dernier, veille de l'ouverture de la campagne électorale, avec l'annonce du report du scrutin par le chef de l'Etat avant que la décision ne soit entérinée deux jours plus tard par l'Assemblée nationale qui, soit dit en passant, gratifiait le natif de Fatick d'un bonus de dix mois à la tête de l'Etat. Et ce, au terme d'une session parlementaire plutôt mouvementée, qui a vu l'évacuation, manu militari, des députés de l'opposition opposés au report du scrutin. Mais quelques jours plus tard, la décision sera cassée par le Conseil constitutionnel appelé à se prononcer sur le recours des députés de l'opposition contre ladite loi. Non seulement la haute juridiction déclare l'inconstitutionnalité de la loi querellée avec pour conséquence l'invalidation du report du scrutin, mais aussi et surtout, constatant l'impossibilité de respecter le délai du 25 février, les grands « sages » recommandent l'organisation du vote dans les « meilleurs délais ». Mais alors que ses compatriotes piaffent d'impatience de connaître la nouvelle date du scrutin, le président Macky Sall s'est lancé dans un dialogue national visant à trouver un consensus autour de la date de l'élection.
Le Sénégal est aujourd'hui à la croisée des chemins
Une démarche qui ne fait d'autant pas plus l'unanimité que seize des dix-neuf candidats retenus par le Conseil constitutionnel pour la course à la succession du natif de Fatick, ont décidé de ne pas y participer. Et ils ne sont pas les seuls puisque les acteurs de la société civile réunis au sein du collectif Aar Sunu Election sont dans la même logique de boycott dudit dialogue. C'est dans ce contexte de crise aiguë autour d'une présidentielle à laquelle il n'est pas qualifié pour prendre part, que le chef de l'Etat annonce une loi d'amnistie pour les faits se rapportant aux manifestations politiques survenues au cours des trois dernières années. A quelles fins ? Mystère et boule de gomme. Mais à l'analyse, tout porte à croire que le président sénégalais a toujours été dans la logique de la ruse si bien qu'il est aujourd'hui pris à son propre piège.
En tout cas, avec le recul, il y a des raisons de croire que la question du troisième mandat était plus qu'une tentation pour le successeur d'Abdoulaye Wade qui a dû y renoncer sans doute par contrainte, au regard des violences parfois meurtrières qui ont entouré les dossiers judiciaires de l'opposant Ousmane Sonko. Lequel liait ses déboires judiciaires à la volonté du chef de l'Etat de l'éliminer de la course à la magistrature suprême pour s'ouvrir un boulevard à vie. Une hypothèse d'autant plus plausible qu'en plus d'une décennie de pouvoir, le président Sall n'a travaillé à se préparer un dauphin pour assurer sa succession. Et la carte Amadou Bâ en tant que porte-étendard de la coalition au pouvoir paraît d'autant plus une solution à la hâte qu'en plus de ne pas faire le poids, le Premier ministre ne fait pas l'unanimité au sein du parti présidentiel où le président Macky Sall a été contraint de clarifier sa position dans le sens du renoncement au troisième mandat dont l'opposition lui prêtait l'intention.
En se montrant aussi frileux au moment de passer la main, on se demande ce que craint le natif de Fatick
De là à croire que le chef de l'Etat sénégalais a été contrarié dans ses plans initiaux, il y a un pas que l'on pourrait vite franchir. Autrement, comment comprendre tous ces tiraillements autour de la date d'une présidentielle qu'on lui demande d'organiser dans les règles de l'art et de tirer sa révérence ? Comment comprendre cette volonté du locataire du palais de la République, de garder la main sur le processus électoral jusqu'au bout ? Pourquoi forcer pour tenir un dialogue national controversé qui risque d'apporter plus de questions que de solutions à une présidentielle qui a déjà fait couler beaucoup d'encre et de salive mais aussi de sang au pays de la Teranga ?
Cette dernière question est d'autant plus fondée que les concertations engagées n'offrent aucune garantie d'aboutir à l'apaisement souhaité si cela devait aboutir au réexamen de certaines candidatures. C'est dire si le Sénégal est aujourd'hui à la croisée des chemins, avec une présidentielle qui tarde à se trouver une nouvelle date. En tout état de cause, en se montrant aussi frileux au moment de passer la main, on se demande ce que craint le natif de Fatick. Et ce que cache la loi d'amnistie générale qu'il compte soumettre à l'appréciation du gouvernement avant qu'elle n'atterrisse sur la table du parlement. Toujours est-il que si le président Sall croyait pouvoir user de la ruse comme d'un art avec son peuple, ses compatriotes lui ont prouvé qu'ils demeurent vigilants. Le chef de l'Etat saura-t-il en prendre de la graine pour se ménager la meilleure porte de sortie de l'Histoire de son pays ? On attend de voir.