Des tirs nourris ont visé, dans la nuit de 27 au 28 février les locaux de l'Agence nationale de sécurité d'Etat (ANSE) à N'Djamena. C'est le comble, est-on tenté de dire, car si les « grandes oreilles » de l'Etat n'ont pas vu venir l'attaque, c'est à se demander de quels moyens elles disposent pour protéger les Tchadiens eux-mêmes.
Il est vrai, comme le dit un adage, que les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés, mais tout de même !
Que cherchaient exactement les assaillants en prenant pour cible ce service stratégique de l'Etat ? Combien de morts y a-t-il eu ? Qui est le commanditaire de cette attaque ? Autant de questions qui demeuraient sans réponses hier, même si le gouvernement tchadien n'a pas perdu de temps pour pointer un doigt accusateur sur des éléments du Parti socialiste sans frontières (PSF) de l'opposant Yaya Dillo. Le siège dudit parti a d'ailleurs été encerclé par les forces de l'ordre, mais le présumé coupable nie toute responsabilité dans ce qui est arrivé, parlant de «grossiers mensonges». Vrai ou faux ? Difficile de démêler l'écheveau dans cette affaire qui intervient une dizaine de jours après la tentative d'assassinat dont le président de la Cour suprême, Samir Adam Annour, a été victime. Là également, c'est un cadre du PSF, son secrétaire chargé des Finances, qui a été mis à l'index. C'est l'arrestation de ce dernier, selon le gouvernement tchadien, qui aurait poussé ses soutiens, «avec à leur tête Yaya Dillo», dixit le communiqué, à s'en prendre aux locaux de l'ANSE.
Il faut dire qu'entre Yaya Dillo et le régime des Déby, c'est une histoire d'amour et de désamour qui dure depuis plusieurs décennies.
Neveu d'Idriss Déby Itno, il s'est fait d'abord connaître au sein de la rébellion, puis en 2008, à la faveur d'un accord avec le pouvoir, il entre au gouvernement comme secrétaire d'Etat avant d'être bombardé tour à tour ministre des Mines, conseiller à la présidence et enfin ambassadeur du Tchad auprès de la Commission économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC). L'ancien chef rebelle retombe en disgrâce lorsqu'il s'en prend à la première dame Hinda Déby Itno, qu'il accuse de détournement des fonds destinés à la lutte contre la COVID-19. Poursuivi pour diffamation, limogé de la CEMAC, il voit son domicile pris d'assaut le 27 février 2020 par des soldats. Yaya Dillo est exfiltré in extremis mais sa mère et son enfant trouvent la mort dans cette tentative d'arrestation ayant mal tourné.
Depuis, l'opposant ne cache plus ses ambitions de revenir dans le jeu politique par la grande porte et peut même s'enorgueillir d'un soutien de poids, Saleh Déby, l'oncle du président.
On peut donc se poser la question de savoir si le général Mahamat Idriss Déby ne veut pas se débarrasser déjà d'un potentiel adversaire, puisque le mis en cause s'est d'ores et déjà déclaré candidat à la présidentielle du 6 mai prochain.
Intervenant à seulement deux mois du scrutin, cette nouvelle poussée de fièvre à N'Djamena a de quoi interroger. Mais une chose est sûre, les événements de ces derniers jours ne sont pas de nature à rasséréner un climat sociopolitique plutôt volatile.
En effet, quand bien même le dialogue national inclusif et souverain se serait tenu, que des rebelles ont pris part à ce jamboree qui a acté la possibilité pour le président sortant de se présenter et quand bien même Succès Masra, l'opposant emblématique qui a fini par rallier le pouvoir avec armes et bagages aurait été nommé Premier ministre, il y a comme une situation de ni paix, ni guerre au pays de Toumaï qui dure depuis de longues décennies. Et le plan de «succession dynastique», pour emprunter les propos d'Emmanuel Macron au sujet de la succession à Déby père par son fils, n'est certainement pas pour arranger les choses.