Le 28 février, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ont annoncé leur décision sur les réparations à accorder aux victimes dans l'affaire Dominic Ongwen, un ancien commandant rebelle ougandais condamné il y a trois ans. Leur ordonnance est spectaculaire : plus de 52 millions d'euros. Surprise et excitation ont accueilli la décision. Mais la Cour ne tiendra ses promesses que par miracle, avertit Lucy Gaynor.
Lorsque je me rends à l'entrée de la salle d'audience, à 14h45 le 28 février, la file d'attente pour le contrôle de sécurité est plus longue que beaucoup de celles que j'ai connues à l'aéroport Schiphol d'Amsterdam. Elle apparaît toutefois principalement composée d'une classe d'étudiants en visite et du personnel de la Cour pénale internationale (CPI), plutôt que d'ONG et d'autres parties extérieures. Quelques représentants des médias passent pour prendre l'ascenseur menant à la salle de presse, tandis que nous entrons tous dans la salle d'audience I. Les bavardages bruyants et enthousiastes font rapidement place à un silence feutré lorsqu'un agent de sécurité claque fort des mains à deux reprises, demande le silence et nous rappelle de nous lever "par respect pour les juges" une fois que les rideaux s'ouvriront.
Cela arrive quelques minutes plus tard, tandis que les acteurs de la cour se rassemblent pour ce qui est probablement le dernier acte de la longue saga du procès de Dominic Ongwen, kidnappé étant gamin, devenu enfant-soldat puis commandant de l'Armée de résistance du Seigneur avant d'être condamné par la CPI.
Reconnu coupable en février 2021 du nombre impressionnant de 61 chefs d'accusation pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis en grande partie dans des camps de personnes déplacées en Ouganda entre 2002 et 2005, Ongwen assiste à l'audience depuis une salle de la prison norvégienne où il purge sa peine de 25 ans de prison. Après les présentations de toutes les parties présentes, y compris les représentants légaux des victimes, les représentants du Bureau du conseil public pour les victimes, le Fonds au profit des victimes, la défense d'Ongwen et le bureau du procureur, le juge Bertram Schmitt entame la lecture de l'"Ordonnance de réparation".
Mention spéciale pour les enfants victimes
Dans un anglais clair, mesuré et bien articulé, Schmitt commence par un résumé de l'affaire, décrivant Ongwen comme "un membre de haut niveau de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA)". Il reconnaît d'emblée que les réparations prononcées ne concernent que les victimes ayant subi un préjudice du fait de l'une des 61 condamnations prononcées à l'encontre d'Ongwen. Notant que les victimes du conflit beaucoup plus long et étendu qui a eu lieu en Ouganda "peuvent être confuses et déçues" par cette limitation, il insiste sur le fait que la Chambre "reconnaît ces victimes et reconnaît leurs souffrances".
Se référant aux principes de réparation énoncés dans le dossier du chef de guerre congolais Bosco Ntaganda, un autre condamné de la CPI, Schmitt souligne tout d'abord que la chambre Ongwen entend développer ces principes sur les modalités de réparation et, de manière significative, sur les enfants victimes. C'est le résultat de la "manière étendue" dont les enfants ont été victimes des crimes d'Ongwen, explique-t-il. Nombreux sont ceux qui réfléchiront sans doute à ce point en particulier lorsque l'ordonnance de réparation aura été publiée dans son intégralité. Il est en effet notoire qu'Ongwen a lui-même été victime de nombre de ces crimes. Bien que le greffe ait reconnu que les victimes "thématiques" d'enfants soldats représentent un "très petit nombre" des personnes ayant participé au procès d'Ongwen, Schmitt insiste fortement sur la nature du préjudice causé à ces victimes. La mesure du paradoxe entre la reconnaissance par la CPI de la gravité de la victimisation des enfants en les forçant à devenir des enfants soldats, et son rejet total de la victimisation d'Ongwen lors de sa condamnation, est posée.
L'essentiel de l'audience est consacré à la lecture par Schmitt de la partie "victimes" de l'ordonnance de réparation. Parcourant de manière thématique les différents groupes de victimes, il énonce les crimes dont les victimes seront éligibles aux réparations. En donnant des exemples de types de préjudices subis par les victimes directes des attaques de la LRA contre les camps de déplacés de Pajule, Odek, Lukodi et Abok, il souligne que "ces exemples sont poignants". En ce qui concerne les victimes de "crimes thématiques", à savoir les violences sexuelles et sexistes et l'utilisation d'enfants soldats, Schmitt tient à insister que "les soi-disant, je souligne les soi-disant" épouses d'Ongwen lui-même ont été soumises à des crimes tels que le mariage forcé, l'esclavage sexuel et la grossesse forcée. "Des familles et des communautés entières de victimes ont subi d'énormes préjudices en raison d'atrocités inimaginables", déclare Schmitt. De manière significative, en abordant ce qui a été un point de désaccord intense entre les parties, la Chambre reconnaît le "préjudice transgénérationnel" subi par les enfants et les petits-enfants des victimes. L'ordonnance de réparation, qui sera publiée prochainement, reconnaît tous ces préjudices "dans le détail", ce qui, espèrent les juges, apportera une certaine satisfaction symbolique aux victimes.
52 429 000 euros
Mais le moment que les personnes présentes semblent attendre avec le plus d'impatience est celui de l'énoncé des "types et modalités" de réparation. Dans un geste universel d'intense concentration, l'avocate des victimes Paolina Massidda ôte alors ses lunettes et se penche en avant. La première mesure annoncée, en raison du "nombre écrasant" de victimes, est une mesure de réhabilitation collective et communautaire d'un montant de 15 millions d'euros. Cette annonce suscite chez Massidda un petit hochement de tête prononcé.
Mais le juge Schmitt n'en a pas fini.
Les magistrats offrent une "estimation minimale prudente" de 49 772 victimes. Ils annoncent maintenant qu'un montant "symbolique" de 750 euros sera accordé aux victimes individuelles. Dans la galerie du public, on peut presque entendre les rouages s'emballer dans le cerveau de nombreux observateurs, dont je fais partie, qui essaient de calculer mentalement. Heureusement, la solution nous est donnée peu de temps après. Ces victimes individuelles recevront un total de 37 329 000 d'euros.
Avec un dernier montant de 100 000 euros accordé pour les "excuses... les cérémonies... les mémoriaux... etcaetera", le montant total des réparations s'élève à 52 429 000 euros.
Le tribunal ayant estimé qu'Ongwen ne possède "aucun actif visible", il le déclare indigent. Schmitt reconnaît que le Fonds au profit des victimes aura besoin de fonds supplémentaires importants pour adopter et mettre en oeuvre ces mesures, et il encourage "les États, les organisations et les particuliers" à contribuer au Fonds à cette fin. Car ce montant de réparations est spectaculaire et constitue un record pour la CPI. Dans le cas de Bosco Ntaganda, condamné pour crimes de guerre en 2019, un panel de juges présidé par Chang-ho Chung, qui siège également dans Ongwen, avait accordé 30 millions de dollars, soit environ 27,5 millions d'euros de réparations. Dans le cas de Thomas Lubanga Dyilo, lui aussi condamné pour l'enrôlement forcé et l'utilisation d'enfants soldats, un panel composé du juge Péter Kóvács - qui siège encore sur les réparations pour Ongwen - avait accordé des réparations d'un montant de 10 millions de dollars, soit environ 9,2 millions d'euros. Non seulement le montant des réparations accordées à Ongwen bat les records de la CPI, mais il défie également les espérances budgétaires de la CPI. En douze mois, à partir de juillet 2021, le Fonds au profit des victimes de la Cour a par exemple reçu 3 228 059 euros de contributions des États, 18 111 euros de particuliers et d'institutions, et environ 2 millions "en nature", soit un total de 5 246 170 euros.
Un plan de mise en oeuvre doit être fourni dans les six mois, et les mesures communautaires doivent être conçues en consultation et en collaboration avec les victimes. La section réparation et participation des victimes, le greffe et l'unité de sensibilisation de la Cour doivent travailler ensemble pour la diffusion et à la mise en oeuvre de toutes les mesures conçues. Schmitt conclut en exprimant "le souci et la compassion" de la chambre à l'égard des victimes, et son "espoir que tôt ou tard - plus tôt que tard", elles recevront leur indemnisation.
Beaucoup d'opinions, quelle solution ?
Avant l'audience, je discutait avec un collègue de mon (manque d') attente et de mon scepticisme quant à la possibilité que les mesures annoncées soient suffisantes. La Chambre a assurément dépassé ces attentes initiales.
Les centaines de victimes qui se sont rassemblées à Gulu, dans le nord de l'Ouganda, pour assister aux débats lors d'une projection organisée par le coordinateur des activités de sensibilisation de la CPI pour le Kenya et l'Ouganda, ont sans aucun doute vu l'ampleur du préjudice qu'elles ont subi reconnue par la CPI, même si Ongwen lui-même ne leur versera pas (et ne peut pas leur verser) un seul centime.
Mais la prochaine question est de savoir dans quel délai et dans quelle mesure ces mesures de réparation seront mises en oeuvre. A en juger par les discussions animées à la sortie de l'audience, chaque participant a un avis sur la question. Et il ne fait pas de doute que les milliers de victimes, sans parler de leurs communautés au sens large, ainsi que les spécialistes du droit international, de la violence et des réparations, ajouteront bientôt leurs voix à la cacophonie. Le privilège de la CPI d'avoir une opinion qui a force de loi dans une ordonnance, ne conduit pas nécessairement à une solution pratique. Pour beaucoup, la question de savoir comment peut être effective une ordonnance de réparation qui rivalise avec le budget total du bureau du procureur - en 2023, celui-ci a demandé 59 340 000 euros - s'est perdue dans l'excitation de l'annonce. Mais si les observateurs et les victimes ont applaudi la décision des juges, les représentants du greffe et du Fonds au profit des victimes ont peut-être eu des sueurs froides. Il faudra probablement des initiatives frénétiques, voire un véritable miracle, pour que la rhétorique de la CPI sur les réparations se traduise en réalité sur le terrain.
Chercheuse doctorante à l'université d'Amsterdam et au NIOD Institute for War, Holocaust, and Genocide Studies, examinant la construction de narratifs historiques dans le cadre des procès pénaux internationaux.