Vous ne savez certainement pas mais mes deux voisins et moi nous préparons aussi un traité qui va tout changer dans la vie de notre quartier. C'est fini ! Cette fois-ci, nous irons jusqu'au bout ! Nous n'allons plus nous laisser faire. Nous avons trop souffert de cet enfer. Et soyez-en sûr, rien ne nous arrêtera. Comme l'AES, nous avons décidé de faire bloc pour être plus fort.
Article 1 : face à la crise que traverse le pays, nous avons décidé de mutualiser nos efforts pour renforcer notre résilience. Nous, Mouvement populaire pour la solidarité et la résilience décrétons que désormais, nous mangerons dans le même plat entre voisins. Cela sous-entend que le sac de maïs ou de riz du voisin appartient au trio. L'argent de la popote sera versé dans un panier commun et à tour de rôle, nos femmes feront le marché. Parce que la crise ne doit pas nous éloigner l'un de l'autre. Elle doit au contraire nous rapprocher pour nous renforcer.
Article 2 : nous avons décidé de consommer burkinabè, local et bio. Le Burkina Faso regorge de tellement de plats traditionnels et naturels que nous ne devons pas les fouler aux pieds pour bondir sur des bourratifs importés parfois périmés ou contrefaits. Désormais, nous mangerons du riz local au soumbala ou à la « sauce soudanaise » ; du haricot coiffé de beurre de karité, du tô à la « sauce oseille aux tambours de gombo frais » ou du « couscous royal » de petit mil au lait caillé ... Bref, la liste des menus est inépuisable, leurs vertus nutritionnelles aussi. Nos enfants mangeront de la bouillie aux céréales enrichies au miel de l'Est et au lait du Sahel.
Article 3 : tous les trois voisins et leur famille porteront des habits à base de coton produit et tissé par des Burkinabè. Le Faso Danfani sera promu de sorte à remplacer le costume cravate. Même nos chaussures seront celles produites par nos artisans de la « cité du cuir ». Nos femmes utiliseront le beurre de karité comme pommade à la place de tous ces badigeonnages aux corticoïdes et à l'hydroquinone éclaircissants et cancérigènes. A la place des mèches et autres artifices cosmétiques de l'aliénation, elles soulageront leur tête du fardeau du complexe d'infériorité avec des tresses simples et naturelles, plus belles et plus saines.
Article 4 : nos enfants apprendront à bien parler leur langue maternelle et chaque parent devrait s'y investir. Chaque enfant devrait connaître le sens de son nom de famille et devrait être fier de le scander à haute voix. Les prénoms traditionnels abusivement appelés prénoms « botaniques » seront attribués aux enfants et même les parents qui n'en avaient pas devront en trouver un qui leur convienne. Chaque famille devrait connaître son histoire et son village. Chaque enfant devrait connaître sa tradition et l'héritage culturel de ses aïeux. Toute chose qui lui permettra de se préparer à l'initiation pour son admission dans le cercle des hommes. Parce qu'il ne sert à rien d'être le premier de la classe sans comprendre le plus petit des proverbes de son répertoire ancestral ; sans connaître son totem, sans être sensible aux éloges du tam-tam ou au langage codé du masque silencieux. Bref, le trio de voisin devra repartir en arrière pour se ressources afin de mieux tracer sa voie.
Article 5 : tous les voisins du trio s'engageront à mutualiser leurs forces pour un voisinage renforcé dans la solidarité. Cela signifie que chaque voisin convertira une partie de ses droits en devoirs de sorte à s'obliger à la tâche pour la réussite du trio face aux défis du moment. Chacun mettra sa part de talent et d'orgueil dans l'atteinte des objectifs communs du trio et devrait penser à l'intérêt du groupe plutôt qu'aux menus fretins de l'égo. C'est d'ailleurs pourquoi, nous avons décidé de quitter le quartier pour nous établir sur notre champ commun. Là-bas au moins, personne ne nous regardera du coin de l'oeil ; personne ne nous convoitera au point de chercher à saboter notre projet de famille commune.
Là-bas, nous sèmerons bio pour récolter bio ; même nos enfants iront à l'« école bio », conçue dans le terreau fertile de nos valeurs endogènes, et ils apprendront l'histoire de Soundiata Kéita, de Samory Touré, de Babemba, de Yennenga, de Guimbi Ouattara, de Sankara, de Lumumba, de Mandela et de tous ces dignes filles et fils du continent qui ont marqué sur le marbre de l'intégrité l'empreinte indélébile du héros. Oui, nous allons quitter ce quartier où d'impénitents voyous rôdent et nous agressent dans l'indifférence des autres voisins. Nous allons quitter pour épargner nos enfants de la complaisance coupable des autres parents vis-à-vis de leur progéniture biberonnée à l'amphétamine. Rien ne sert de nous supplier de rester ; rien ne sert de nous intimider, même la négociation ne marchera pas. Le voisin qui voudrait nous rejoindre devrait renoncer à ses tares d'antan pour bénéficier des largesses de notre nouvelle alliance. -