Afrique: En Afrique, la question de la fin de vie centrée sur l'émergence des soins palliatifs

Alors qu'en France, une loi sur la fin de vie doit être bientôt présentée à l'Assemblée nationale, sur le continent africain, la question de l'euthanasie reste largement taboue. L'enjeu réside dans le développement des soins palliatifs, insuffisants, voire inexistants dans beaucoup de pays.

Y a-t-il des discussions autour de la fin de vie en Afrique ? Comme dans beaucoup de régions du monde, la question de l'euthanasie ou du suicide assisté fait l'objet d'un rejet assez consensuel d'Alger à Dar es-Salam, et de Dakar à Khartoum, marqué par des arguments culturels et surtout religieux, islam et christianisme - majoritaires - mettant en avant la sacralité de la vie.

Aucun pays n'a de lois spécifiques sur la fin de vie. Dans ce paysage, l'Afrique du Sud fait quand même figure d'exception. Si l'euthanasie reste un crime dans le pays, la question de l'aide à mourir a plusieurs fois agité les débats dans les société. Quelques années avant sa mort en 2021, la prise de position de l'archevêque et Prix Nobel de la paix Desmond Tutu en faveur de la légalisation du suicide assisté avait suscité un certain émoi dans l'opinion.

Du côté des tribunaux, plusieurs affaires ont mis le sujet sur le devant de la scène. En 2015, Robin Stransham-Ford, un avocat atteint d'un cancer en phase terminale qui avait saisi la Haute Cour de Pretoria pour obtenir la possibilité d'avoir recours à l'aide d'un médecin pour mourir, a obtenu une décision favorable, estimant que, dans ce cas particulier, le patient avait le droit d'obtenir une euthanasie ou un suicide assisté. Mais le requérant est décédé juste avant que la décision ne soit rendue, et celle-ci a finalement été annulée en appel.

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ne brève histoire de l'euthanasie et du suicide assisté depuis l'Antiquité

En 2019, l'euthanasie fait de nouveau la une des journaux lorsque Sean Davison, militant en faveur de la légalisation de l'euthanasie, est condamné à une peine de huit ans de prison avec sursis et placé en résidence surveillée pour avoir aidé trois personnes à mourir. Une condamnation mais pas de prison ferme. « Manifestement, les juges ne considèrent pas l'aide à mourir comme étant au même niveau que le meurtre avec intention malveillante », pointe Willem Landman, cofondateur avec Sean Davison de l'association DignitySA, qui se bat pour la légalisation de l'euthanasie en Afrique du Sud.

Depuis, d'autres affaires ont impliqué des malades en fin de vie sans qu'aucune n'aboutisse. Mais l'association affirme préparer une nouvelle offensive judiciaire, portée en son nom même cette fois, pour obtenir la décriminalisation de l'aide à mourir et obliger le Parlement à légiférer. La demande doit être déposée dans le courant de l'année, précise Willem Landman. « Notre argument central sera basé sur le droit à l'intégrité corporelle, c'est-à-dire le droit à la liberté de disposer de son corps », indique-t-il. Mais il sait que le chemin sera long et semé d'embuches.

Ailleurs, la presse locale kényane s'est faite écho à plusieurs reprises de cas de malades en phase terminale partis recourir au suicide assisté en Europe. Et quelques articles juridiques se sont penchés sur la Constitution kényane, mais toujours dans une perspective d'arrêt des traitements ou de « laisser mourir », alors que le Code pénal criminalise tout acte d'assistance au suicide.

L'Afrique francophone dépourvue

Si la question de légaliser une forme d'aide à mourir ne semble pas se poser, la fin de vie est bien un sujet en Afrique. Avec l'augmentation de l'espérance de la population et de l'espérance de vie, le nombre de personnes souffrant de cancers explose. D'après The Lancet, l'incidence des cancers a doublé ces trente dernières années en Afrique subsaharienne et la mortalité liée à cette maladie pourrait doubler d'ici 2030. Pourtant, les soins palliatifs font cruellement défaut dans beaucoup de régions d'Afrique.

« En France,on considère qu'une personne sur cinq hospitalisée relève de soins palliatifs. En Afrique, c'est beaucoup plus car les gens ne vont à l'hôpital qu'en dernier recours, quand la maladie est très avancée, en raison du coût », explique Benoît Burucoa, président de la Fédération francophone internationale de soins palliatifs (FFISP), qui oeuvre pour la diffusion de ces soins définis par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), comme « une approche pour améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, confrontés aux problèmes liés à des maladies potentiellement mortelles, qu'ils soient d'ordre physique, psychosocial ou spirituel ». Les besoins sont donc immenses, mais dans des régions où les urgences sanitaires sont pléthoriques, ces soins d'accompagnement n'apparaissent pas vraiment comme une priorité.

Parmi les freins, le premier est la méconnaissance et les réticences qui peuvent entourer ces soins particuliers. En Afrique, « le concept même de fin de vie n'est pas toujours quelque chose d'accepté. Jusqu'au bout, on garde espoir, explique le professeur Désirée Kulimba Mashinda, à la tête de l'Association nationale congolaise de soins palliatifs (ANCSP). D'ailleurs on voit souvent dans nos hôpitaux des malades en train d'agoniser, à qui on continue d'installer des perfusions, des transfusions, etc. » Dans ces conditions, pas question de créer des unités de soins palliatifs, « ce serait vu comme un mouroir et personne ne voudrait y aller. On crée plutôt des équipes mobiles pluridisciplinaires avec des médecins, des infirmières, des kinésithérapeutes, mais aussi des prêtres ou des pasteurs. »

En RDC, tout le monde n'est pas encore familier de la médecine palliative, il faut déjà « sensbiliser », rappelle le professeur Mashinda. « Dans l'est du pays, relève-t-il, certains universitaires n'ont encore jamais entendu parler de soins palliatifs ! »

Le Rwanda, pionnier

À ses débuts, Christian Ntizimira, Rwandais né dans l'est de la République démocratique du Congo, lui aussi ignorait tout des soins palliatifs. Après ses études à Kigali, il se rêvait chirurgien. « Après le génocide, je pensais que c'était le meilleur moyen de contribuer à la reconstruction sanitaire du pays. » Jusqu'à ce que sa route croise celle d'un jeune homme de 24 ans, atteint d'un cancer du foie en phase terminale. « C'était une douleur comme je n'en avais jamais vu, atroce, qui s'accompagnait de beaucoup de souffrance morale. Sa mère me demandait à genoux de faire quelque chose. Mais à cette époque, j'avais peur de prescrire de la morphine et je n'ai rien fait. » Le jeune praticien vit cette expérience comme un échec. « Je me suis dit : à quoi ça sert d'être médecin, si je ne peux pas aider à soulager la souffrance des malades et des proches ? » Son chemin bifurque et il part se former aux soins palliatfis aux États-Unis.

Sous son impulsion notamment, le Rwanda a été pionnier en matière d'intégration des soins palliatifs dans le système de santé publique, en 2011. Grâce à ça, en 2013, le Rwanda a commencé à produire sa propre morphine en sirop. Les antidouleurs sont désormais dans la liste des médicaments considérés comme essentiels par le ministère de la Santé, et disponibles gratuitement. « Le Rwanda a aussi formé tous les hôpitaux de district et les CHU, détaille Christian Ntizimira. Le plan du ministère, c'est maintenant d'amener les soins palliatifs au niveau des soins de santé primaires, c'est-à-dire au niveau communautaire, pour que personne ne soit isolé face à sa maladie. »

Approche pragmatique, plus haut niveau de formation, bureaucratie moins présente... Globalement, les pays anglophones ont plusieurs longueurs d'avances sur leurs voisins francophones. L'Afrique du Sud, l'Ouganda, le Botswana, le Zimbabwe, le Kenya, la Tanzanie et le Rwanda se sont dotés ces dernières années d'une politique de santé publique en matière de soins palliatifs.

En Afrique francophone, le Bénin est le seul pays à s'être doté d'un programme national de soins palliatifs depuis 2018. Même si le président de la FFISP se dit préoccupé par l'évolution du Rwanda, où, selon lui, « les besoins ont évolué et les financements n'ont pas augmenté », il reconnaît que « cela n'a rien à voir » avec l'Afrique de l'Ouest, où il juge la situation « catastrophique ».

Accès difficile à la morphine

Les opiacés, tels que la morphine, sont indispensables dans la prise en charge de la douleur. L'accès aux médicaments essentiels et leur financement dans des pays où il n'existe généralement pas de couverture sociale est l'un des enjeux principaux en matière de soins palliatifs. Car alors que la consommation d'opioïdes a doublé au niveau mondial, tirée par la consommation occidentale essentiellement et en particulier la surconsommation américaine, en Afrique, l'usage de ces puissants analgésiques a stagné à des niveaux anormalement bas.

« Même si la perception des soins palliatifs a changé, estime Christian Ntizimira, il y a toujours ce mythe autour de la morphine qui persiste en Afrique. Elle est vue comme précipitant la mort. Il faudra longtemps pour le briser. » Considérée comme un stupéfiant, elle est soumise à une réglementation très stricte qui aggrave encore son accessibilité.

Sur ce front-là, soulignent tous nos interlocuteurs, le continent a connu ces derniers années une avancée majeure avec la morphine en poudre reconstituée en solution orale. « Le gros avantage, c'est qu'on ne peut pas l'utiliser à des fins de toxicomanie, analyse Benoît Burucoa, et qu'elle coûte 50 à 75 fois moins cher. » Le programme morphinique mis en place au Bénin doit permettre de distribuer le médicament en solution orale dans tout le pays. Mais pour l'heure, seuls « 16,5% des patients ayant besoin de soins palliatifs ont accès à de la morphine orale », selon un rapport de mai 2023.

Le manque de personnel qualifié et de formation, notamment pour prescrire la morphine, est aussi un handicap. L'Ouganda, à travers l'ONG Hospice Africa, est devenue depuis une dizaine d'années une plateforme de formation, à la fois pour les pays anglophones et francophones.

Sylvia Dive est infirmière et formatrice, elle coordonne le programme de soins palliatifs pour les pays francophones. Originaire de RDC, c'est lorsqu'elle est amenée à se rendre en Ouganda pour accompagner un proche souffrant d'un cancer qu'elle a une révélation : « Il est mort tranquillement », se souvient-elle. L'infirmière décide alors de se former aux soins palliatifs.

Venus du Sénégal, du Togo, du Bénin, du Mali ou encore de Côte d'Ivoire, la dernière promotion a bénéficié de cours théoriques sur trois mois à distance puis de trois semaines de stages. Non diplômante, la formation est plus une « initiation », indique Sylvia Dive. « Ils peuvent aussi voir comment on fabrique notre propre morphine. » L'Ouganda a été l'un des premiers à se lancer. C'est aussi l'un des premiers pays où les infirmières ont pu prescrire de la morphine, rappelle la formatrice.

Mais elle ne cache pas les difficultés à faire émerger une offre de soins palliatifs dans cette zone. « Il faut vraiment beaucoup de sacrifices », concède-t-elle, même si le cas du Bénin « donne un peu d'espoir ».

Adapter aux besoins

Depuis 2014, Hospice Africa Ouganda a formé un peu plus de 300 professionnels d'Afrique de l'Ouest (médecins, infirmières, psychologues, pharmaciens...). La formation, c'est aussi là que le bât blesse. Il existe un DU (diplôme universitaire) à Douala, au Cameroun, énumère Benoît Burucoa, le président de la FFISP, également président de l'Association pour le développement des soins palliatifs en Afrique (Adespa). C'est la troisième promotion, ce qui fait au total 45 personnes, détaille-t-il. « Maintenant, il faut le pérenniser et qu'il soit autonome. » Deux autres sont en projet, l'un au Bénin et l'autre à Bobo Dioulasso, au Burkina Faso, pour la fin de l'année. Et la RDC a intégré un module de formation en soins palliatifs sur les trois ans de formation en soins infirmiers à l'Institut des métiers de la santé (IMS) à Kinshasa. À part ça, il faut se contenter de quelques heures de cours sur la douleur ou les soins palliatifs à la fac de médecine, comme au Congo-Brazzaville ou au Sénégal. Voire, de rien du tout.

Pérenniser les programmes et les financements est un défi perpétuel sur le continent. « C'est une médecine qui ne coûte pas cher : on peut faire du très bon travail et une bonne offre de soins palliatifs à un coût qui n'est pas du tout celui de la cancéro ou de l'obstétrique », plaide pourtant le président de la FFISP.

En l'absence de soins palliatifs efficients, la question de l'aide à mourir se pose-t-elle pour abréger des souffrances insupportables ? Officiellement, en tout cas, pas question d'en parler. « L'arrêt même des traitements n'est pas accepté ici, rappelle le Pr Désiré Kulimba Mashinda, en RDC, donc on n'est parfois pas loin de l'acharnement thérapeutique. »

« L'expression "fin de vie" ne se traduit pas en kinyrunda, souligne de son côté Christian Ntizimira, réfutant l'idée de tabou autour des questions d'euthanasie et d'aide à mourir. On dit "jusqu'au bout de la vie". Ce n'est pas que les gens ne parlent pas de la mort. C'est que la mort fait partie de la vie. »

La souffrance n'en reste pas plus supportable, concèdent nos interlocuteurs. « En Afrique aussi, souligne Benoît Burucoa, des malades évoquent leur mort comme une délivrance à cause des souffrances endurées non soulagées. »

Pour Christian Ntizimira, l'enjeu réside aussi dans le fait d'adapter les soins palliatifs aux pratiques locales. Il a fondé à Kigali un centre de recherche, l'African center for research on end of life care (Acreol), pour intégrer cet aspect « socioculturel ». « On ne peut pas transposer les soins palliatifs de Boston au Rwanda, explicite-t-il. Donc on a besoin de toutes ces recherches pour comprendre quel modèle de soins palliatifs est nécessaire ici. Par exemple, contrairement à la France, où l'on peut déployer les soins palliatifs en Ehpad, ici les gens restent à la maison. C'est toute la communauté qui s'occupe du malade. » D'où des équipes multidisciplinaires mobiles pour se rendre à domicile. « La famille, la communauté est là, insiste-t-il, pour être sûre que la personne ne sente pas moins digne parce qu'elle a un cancer en phase terminale. »

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