Afrique: «Une guerre juridique homophobe» - sur le continent, de nombreux pays durcissent encore leur législation anti-LGBT+

Le Ghana, qui vient d'adopter un projet de loi répressif contre l'homosexualité, rejoint le banc des pays africains décidés à renforcer leur arsenal juridique à l'encontre des personnes LGBT+. Sur le continent, 31 pays criminalisent les relations sexuelles entre personnes de même sexe.

Ce mercredi 28 février, le Parlement ghanéen a adopté un projet de loi durcissant la répression de l'homosexualité. Celui-ci, censé promouvoir les « droits sexuels convenables et les valeurs familiales », expose désormais toute personne reconnue comme appartenant à la communauté LGBT+ (à savoir lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées) à une peine allant jusqu'à trois ans de prison. En cas de « promotion » ou « soutien » d'activités LGBT+, la sanction grimpe jusqu'à cinq ans d'emprisonnement, voire dix ans s'il s'agit de « campagnes LGBT+ à destination des enfants ».

Si les relations homosexuelles étaient déjà interdites par la législation héritée de l'ère coloniale, aucun Ghanéen n'avait jamais été condamné pour ce motif. Le texte, qui doit encore être approuvé par le président Nana Akufo-Addo, est parmi l'un des plus homophobes du continent. Mais il est loin d'être le seul : sur les 61 pays du monde qui criminalisent les relations homosexuelles, la moitié sont en Afrique.

Plus grave encore, ces dernières années ont été marquées par une flambée de lois discriminatoires à l'égard des personnes LGBT+ sur le continent africain. « On observe une tendance au durcissement des lois existantes », déplore Samira Daoud, directrice régionale d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale, au micro de Pierre Firtion.

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Multiplication des lois anti-LGBT

En mai 2023, c'est l'Ouganda qui s'est doté d'une loi anti-LGBT draconienne, prévoyant la prison à perpétuité pour les actes d'homosexualité, voire la peine de mort en cas de récidive. Certains pays tentent de lui emboiter le pas, comme le Kenya, qui planche sur un projet de loi similaire, ou encore la Tanzanie, où certains députés réclament la peine de mort pour les homosexuels, qui risquent déjà une peine incompressible de vingt ans. « On l'a aussi vu au Sénégal [en 2022], avec une tentative d'adopter une loi encore plus répressive à l'égard des personnes LGBT+. Ce texte, un peu sur le même modèle que celui qui vient d'être adopté au Ghana, est d'autant plus inquiétant qu'il pourrait servir de modèle dans la région d'Afrique de l'Ouest », rappelle Samira Daoud, basée à Dakar.

En Afrique, ces pays ne font pas figure d'exception : Amnesty International dénonce une « guerre juridique homophobe ». Si certains ont récemment dépénalisé l'homosexualité, comme le Botswana (2021), le Gabon (2020) et l'Angola (2019), au total, ce sont 31 États sur 54 qui répriment l'homosexualité, dont quatre jusqu'à la peine de mort. Sur le continent, seule l'Afrique du Sud, pionnière en la matière, autorise le mariage entre personnes de même sexe, et ce depuis 2006.

Un sentiment homophobe croissant

Cet arsenal juridique s'accompagne de campagnes de haine et de discours homophobes répétés. Au Burundi, par exemple, le président Evariste Ndayishimiye a ainsi appelé en décembre 2023 à « lapider » les couples gays qui auraient, selon lui, « choisi le diable » et attireraient une « malédiction » nationale avec le mariage pour tous, une « pratique abominable ». « Personnellement, je pense que si on voit ce genre d'individus au Burundi, on devrait les mettre dans un stade et les lapider avec des pierres. Et ce ne serait pas un péché pour ceux qui le feront ! », a déclaré le chef d'État de ce pays majoritairement catholique, qui avait déjà appelé à « bannir » les homosexuels et à les « traiter en parias ».

Les violences, aussi bien verbales que physiques, envers les personnes LGBT+ sur le continent sont largement documentées. Au Cameroun, les personnes soupçonnées d'homosexualité sont arbitrairement arrêtées, battues ou menacées, selon Human Rights Watch. Au Sénégal, la dépouille d'un homme présumé gay a même été exhumée puis brûlée en octobre dernier. Enfin, selon un rapport de l'ONU de 2020, certains sont même victimes de viols « correctifs », des violences sexuelles commises pour de prétendus objectifs de « conversion », notamment au Nigéria, au Kenya et en Afrique du Sud.

Victimes de chantage et d'extorsions, persécutés et même parfois assassinés, les homosexuels ougandais vivent ainsi, depuis l'adoption de la loi, un véritable calvaire. « Chaque jour, quelqu'un est attaqué, quelqu'un est maltraité, quelqu'un est expulsé de sa maison ou perd son emploi, simplement à cause de ce qu'il est, et une organisation qui le soutenait ferme ses portes parce qu'elle ne peut pas continuer à survivre », raconte Isaac Mugisha, activiste LGBT et responsable sûreté au sein du Consortium des populations clés de l'Ouganda. « Les gens essaient autant que possible de fuir le pays parce que la loi est sévère et que les personnes qui sont connues pour être homosexuelles, et dont on sait que les zones de résidence sont ciblées, doivent se cacher. »

Pour Isaac Mugisha, pas question de « retourner dans le placard » ou de fuir vers le Kenya, l'Afrique du Sud ou le Zimbabwe, comme le font la majorité des homosexuels ougandais. « Je ne veux pas abandonner, je veux me battre, insiste-t-il. Mais choisir de rester revient à dire "je vais bientôt mourir". » Depuis la promulgation du texte, le consortium s'est chargé de 900 cas de relocalisation et de soutien médical.

« Accroître sa popularité à bas coûts »

Pour la présidente du Parlement ougandais, il s'agit avant tout de « protéger » la culture du pays. « L'Occident ne viendra pas gouverner l'Ouganda », avait-elle déclaré face à la pluie de critiques internationales, notamment de la part des États-Unis, qui avaient immédiatement promis des sanctions économiques. Une motivation affichée par plusieurs pays africains, qui adoptent des lois anti-LGBT à la pelle, fondées sur l'idée que l'homosexualité est importée d'Occident. « C'est de la surenchère pour se positionner comme un pays qui tient tête à l'Occident », affirme Larissa Kojoué, chercheuse sur les questions des droits LGBT en Afrique pour Human Rights Watch.

Pourtant, ces lois trouvent pour la plupart leur origine dans l'ère coloniale, spécialement dans les dispositions britanniques contre la sodomie. Celles-ci ont été retranscrites lorsque de nombreuses anciennes colonies ont accédé à l'indépendance et ont établi leurs propres lois, largement inspirées de celles du Royaume-Uni, qui ne dépénalisera les actes homosexuels qu'en 1967. « Des copiés-collés », résume Larissa Kojoué. « C'est un gros paradoxe : les lois dont les dirigeants se prévalent viennent de l'époque coloniale, mais ils les durcissent pour se différencier de l'Occident », pointe l'experte.

Ces déclarations permettent ainsi de gagner les faveurs d'une opinion publique fortement divisée. « C'est une manière d'avoir l'amour des masses. Quand on va sur la question LGBT, il n'y a plus de polarisation, et on se déresponsabilise des problèmes économiques, d'accès à l'eau, à la santé... », assure Larissa Kojoué.

« Pour un responsable politique, adopter ce genre de loi, c'est accroître sa popularité à bas coûts, puisque vous n'avez pas besoin de construire des centaines d'écoles, des dizaines d'autoroutes... Il vous suffit de discriminer davantage les homosexuels et vous serez considéré comme un grand politique qui a su préserver les valeurs dites africaines », confirme Samira Daoud.

Ousmane Sonko, l'un des chefs de l'opposition au Sénégal, promettait ainsi, avant les législatives de 2022, de durcir la loi contre l'homosexualité s'il devenait président, tandis que Mahamadou Kassogué, le ministre malien de la Justice, a indiqué vouloir la sanctionner. « S'opposer aux communautés LGBT est un moyen de se faire réélire. Malheureusement, je ne pense pas que ça va s'arrêter en Ouganda, au Ghana, au Kenya ou dans n'importe quel autre pays. C'est une vague qui va probablement balayer la plupart des pays conservateurs africains », s'alarme Isaac Mugiha.

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