Au Cameroun, l'association Lire au Sahel a publié un recueil de dix nouvelles, écrites par des jeunes de la région de l'Extrême-Nord. L'une d'entre elles a donné son titre à l'ouvrage, Boko (is) Halal, autrement dit « l'éducation est légitime ». À travers de courtes fictions, qui étaient, pour la plupart de leurs auteurs, de premières tentatives d'écriture, s'expriment la douleur et la préoccupation de ces jeunes de voir leur région touchée par la violence extrémiste.
Pour encourager la lecture, avec le financement de l'ambassade de France au Cameroun, l'association Lire au Sahel, présidée par David Wanedam, développe, fin 2020, un système de bibliothèques mobiles doté aujourd'hui d'un fond documentaire de 3 500 ouvrages : « Des livres africains mais aussi davantage orientés vers la jeunesse. L'engouement a été intéressant. Il faut dire que à Maroua, c'est difficile de trouver une bande-dessinée, les librairies n'en vendent pas ». Les emprunts sont gratuits. Le projet touche aujourd'hui environ 800 bénéficiaires.
Le succès de l'enfant du pays, Djaïli Amadou Amal, lauréate en France du prix Goncourt des lycéens pour son roman Les impatientes suscite l'enthousiasme : « De plus en plus, des jeunes venaient à nous et nous disaient, "J'ai envie d'écrire, mais je ne sais pas comment on va faire" ». Un concours est lancé, avec pour seul thème : Boko Haram. « Parce que ce sujet a beau avoir été traité énormément dans les médias, il y a peu de latitude pour que les jeunes prennent la parole et expriment leur vision de ce qu'est cette crise ». Une centaine de manuscrits arrive. Des histoires d'écoles détruites, de kidnappings et de projets envolés.
« Voilà alors l'occasion pour réaliser mon rêve »
« J'ai été particulièrement marqué par la façon dont ils abordaient la violence et la douleur intérieure dans un milieu où on s'exprime très peu sur nos douleurs, sur ce qui nous touche profondément », dit encore David Wanedam. Parmi les récits sélectionnés, celui de Julienne Apsi, 25 ans, étudiante en master en communication à Maroua, qui imagine le parcours de Bineta, enlevée par Boko Haram et qui parvient à s'échapper. « Chaque soir, dit-elle, j'étais devant mon ordinateur, j'écris une phrase, deux phrases, une demi page, je referme, le lendemain je reviens et entre temps je cherchais aussi des informations à travers des amies qui sont dans des villages profondément touchés par la crise Boko Haram. Quand l'appel à candidatures est sorti, je me suis dit que - wouah - voilà alors l'occasion pour réaliser mon rêve. »
L'auteur de la nouvelle qui a donné son nom à l'ouvrage, Honoré Mboake, premier prix du concours est un trentenaire, titulaire d'un master et attendant son inscription en thèse. Il rêve lui-aussi de devenir un écrivain reconnu : « J'ai deux manuscrits sur lesquels je travaille. Je rêve de voir un jour un de mes romans publiés pour que je puisse partager mes histoires avec le monde entier ». Pour David Wanedam, la radicalité imposée à la région a abîmé les perspectives d'une jeunesse, qui aspire pourtant à une éducation de qualité. L'association Lire Au Sahel espère faire de cette première édition, un concours annuel.