Afrique de l'Ouest: Comment la commission vérité en Gambie a forgé le procès Sonko

De jeunes Gambiens organisent une marche de protestation.

Le procès d'Ousman Sonko, ancien ministre de l'Intérieur de la Gambie, reprend aujourd'hui en Suisse. Les parties doivent présenter leurs conclusions finales. L'un des aspects les plus frappants de la preuve présentée à la justice suisse en janvier dernier est qu'une grande partie est issue des enquêtes de la commission vérité gambienne, entre 2018 et 2020. Mais il y a quelques éléments à tirer du procès suisse.

Au cours de ses deux ans et demi d'audiences publiques, la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) de Gambie a enquêté sur un large éventail de violations des droits de l'homme et d'abus commis entre juillet 1994 et janvier 2017 sous le régime de Yahya Jammeh. Une quantité impressionnante d'éléments de preuve nouveaux a été divulguée et des témoignages spectaculaires ont tenu le pays en haleine.

En janvier dernier, Ousman Sonko, ancien chef de la police et ministre de l'Intérieur sous le régime de Jammeh, a été confronté à des victimes de crimes qui auraient été commis entre 2000 et 2016. Sonko est jugé par le Tribunal fédéral de Bellinzone, en Suisse, pour sa participation présumée au meurtre du soldat Almamo Manneh et au viol multiple de sa femme Binta Jamba ; son rôle dans le meurtre de l'homme politique et homme d'affaires Baba Jobe ; la victimisation des manifestants du Parti démocratique uni de l'opposition en avril 2016 ; et la victimisation des participants présumés à un coup d'État en mars 2006, ainsi que de deux autres journalistes au cours de cette période.

Ces événements ont également fait l'objet d'une enquête de la part de la Commission vérité en Gambie. Devant la TRRC, un certain nombre de témoins ont mentionné le rôle de Sonko dans ces crimes. Ce sont les mêmes témoins qui ont déposé à Bellinzone. Sur les 11 témoins entendus par le Tribunal fédéral suisse, huit sont des parties civiles dans le procès suisse. Neuf d'entre eux - Bunja Darboe, Demba Dem, Binta Jamba, Madi Ceesay, Musa Saidykhan, Nogoi Njie (aujourd'hui décédée), Fatoumatta Jawara, Fatou Camara et Fatoumatta Sandeng - avaient témoigné publiquement devant la Commission vérité. Les autres n'avaient pas témoigné, mais avaient fourni des éléments de preuve à la commission, hors audience.

Un vivier de témoins

Au cours du procès, les conclusions des enquêtes de la TRRC, y compris les témoignages, ont été citées à de nombreuses reprises. L'accusé lui-même semble s'être fortement appuyé sur ces dépositions, sauf bien sûr lorsqu'elles l'impliquaient directement. "La TRRC est un processus de recherche de la vérité et non une enquête", a déclaré Sonko lorsqu'il était confronté à des preuves qui l'incriminaient.

"Il est tout à fait clair que ces affaires de compétence universelle [procès qui se déroulent en dehors de la Gambie] s'appuient largement sur les preuves de la TRRC", souligne Essa Faal, l'ancien conseil principal de la commission vérité. "Les preuves présentées devant la TRRC leur fournissent une hypothèse plausible, un groupe de témoins à exploiter, un récit déjà examiné et accepté par la justice, ainsi que des aveux de coauteurs.

Grâce à ces éléments, il est facile pour ces pays de monter des dossiers viables, conformément à [leurs] lois. Sans les preuves de la TRRC, il faudrait des années et beaucoup de ressources pour monter des dossiers contre les suspects. Il est souvent pratiquement impossible que ces affaires aboutissent tant il est difficile de rassembler des preuves sans pistes crédibles."

Nouvelles preuves

Bien qu'une grande partie des preuves présentées au tribunal de Bellinzone corresponde aux conclusions de la TRRC, voire s'appuie sur elles, de nouveaux éléments sont apparus. Tout d'abord, Sonko n'avait jamais répondu aux allégations formulées devant la Commission. Il a été arrêté en janvier 2017, en Suisse, où il demandait l'asile. La commission vérité a commencé ses investigations l'année suivante, et Sonko n'y a jamais été entendu.

À Bellinzone, l'accusé a pu faire face à ses victimes présumées, et répondre à toutes les allégations portées contre lui. Il a rejeté l'acte d'accusation "dans son intégralité". Mais les avocats des victimes pensent que son témoignage peut aussi avoir aidé leur cause. "Les questions de la Cour l'ont amené à se contredire sur plusieurs points et, en particulier, à admettre que c'est lui qui a rédigé les notes trouvées dans ses effets personnels au moment de son arrestation, où il est indiqué qu'il avait reçu l'ordre de Jammeh de 'tirer et tuer' les manifestants en avril 2016", affirme Benoit Meystre, avocat chez TRIAL International, une ONG suisse qui a lancé la procédure contre Sonko en Suisse et qui assiste les plaignants.

Le Ministère public de la Confédération (MPC) répond qu'il ne peut pas faire de commentaires. "Le MPC présentera son dossier et commentera les preuves (y compris les rapports de la TRRC) lors de l'audience", déclare Matteo Cremaschi, le porte-parole.

C'est également la première fois que Lamin Sanneh, l'agent qui gardait l'ancien député et proche allié de Jammeh, Baba Jobe, le jour où il a été tué par un escadron de la mort du régime, a témoigné publiquement sur l'incident. Il n'avait soumis qu'une déclaration écrite à la commission vérité. Une victime de viol a aussi témoigné en Suisse alors que son témoignage était protégé devant la TRRC. Les éléments de preuve présentés au procès ont par ailleurs indiqué que le nombre de femmes victimes d'agressions sexuelles était plus élevé que ce qui avait été admis publiquement devant la commission.

"Les conclusions de la commission soutiennent la démonstration qu'une répression massive et ciblée a eu lieu dans le pays. Toutefois, dans l'affaire Sonko, il ne suffisait pas au procureur d'accuser Sonko de ces crimes", explique Meystre. "D'autres enquêtes ont été menées, telles que l'audition et le contre-interrogatoire de dizaines de témoins et l'apport de plusieurs rapports d'ONG étayant les accusations.

D'autres preuves ont également été nécessaires pour que le procureur puisse l'inculper pour les crimes spécifiques dans lesquels il aurait joué un rôle. En d'autres termes, les conclusions de la TRRC sont utiles pour prouver le contexte de violence, tandis que d'autres preuves ont été nécessaires au procureur pour démontrer le rôle de Sonko - c'est-à-dire les crimes spécifiques qu'il est soupçonné d'avoir commis ou auxquels il est soupçonné d'avoir participé - dans ce contexte de violence."

Pression sur la Gambie

L'année dernière, un Jungler (les hommes de main de Jammeh), Bai Lowe, a été condamné à la prison à vie en Allemagne pour sa participation à des violations des droits de l'homme et à des abus sous le régime de Jammeh. Sonko est le deuxième Gambien à être jugé à l'étranger pour des crimes commis pendant cette période. Il est intéressant de noter que, dans le cas de Sonko, à l'exception de l'allégation de viol, tous les autres crimes pour lesquels il a été inculpé auraient été commis avec d'autres personnes, pour la plupart de haut rang.

L'un d'entre eux est Lang Tombong Tamba, ancien chef d'état-major de la défense en Gambie.

Une partie des preuves contre Sonko est sa participation à un comité d'enquête qui a supervisé la victimisation présumée de personnes accusées d'avoir participé à un coup d'État en mars 2006. Plusieurs témoins ont mentionné Lang Tombong Tamba comme membre de ce comité. Tamba lui-même sera plus tard une victime du régime pour avoir prétendument participé à un coup d'État.

Son témoignage devant la commission vérité en Gambie a été intense et a duré trois jours. Pourtant, malgré les allégations à son encontre, il est actuellement premier secrétaire à l'ambassade en Russie. Une autre personne mentionnée de manière négative est l'officier de police Boto Keita, un subordonné de Sonko à l'époque, qui sert toujours activement dans le secteur de la sécurité du pays. Et ce ne sont pas les seuls.

À ce jour, aucun auteur n'a encore été jugé en Gambie pour des crimes commis sous le régime de Jammeh, à l'exception de l'ancien membre de la junte Yankuba Touray et de plusieurs membres de l'Agence nationale de renseignement. L'année dernière, le ministre gambien de la Justice a déclaré que les poursuites judiciaires commenceraient en novembre 2024.

"Il n'est pas souhaitable qu'un pays étranger poursuive, avec sérieux et diligence, des crimes graves commis en Gambie alors que la plupart des coauteurs de ces crimes se promènent en toute impunité dans le pays", déclare Faal à Justice Info. "Cela remet en question nos valeurs et notre engagement envers les idéaux d'une société juste, ancrée dans l'État de droit.

Je suis certain que ces affaires de compétence universelle ont le pouvoir de faire honte à notre gouvernement et de le mettre sous pression pour qu'il rende des comptes sur les atrocités du passé, comme l'a recommandé la TRRC." Ida Persson, conseillère spéciale pour la justice transitionnelle au ministère de la Justice, n'était pas en mesure de répondre à nos questions à temps pour la publication.

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