En dépit de la crise politique née du report de l'élection présidentielle initialement prévue le 25 février 2024 (elle pourrait se tenir le 2 juin), le Sénégal est considéré comme l'un des pays les plus stables d'Afrique.
Le pays a connu trois alternances depuis son indépendance en 1960. Le Sénégal connaît une stabilité institutionnelle et politique car jusqu'ici épargné par les violences qui secouent la région. Cependant les agissements de groupes terroristes dans les pays voisins et le trafic transfrontalier risquent d'alimenter l'instabilité.
C'est dans ce contexte que le Sénégal a mis en place en 2014, un cadre de référence de la politique économique et sociale, dénommée Plan Sénégal Emergent (PSE). Les objectifs ambitieux de ce plan tournaient autour d'une croissance économique forte, inclusive et durable, une société inclusive, un développement durable et la promotion de la gouvernance.
Ces différents objectifs sont déclinés autour de trois axes :
- transformation structurelle de l'économie et croissance ;
- capital humain, protection sociale et développement durable ;
- gouvernance, institutions, paix et sécurité.
Les crises Covid-19 et russo-ukrainienne et l'embargo subi par le Mali ont eu leurs conséquences néfastes sur le Sénégal, tant sur le plan économique que social dans un contexte marqué par des prévisions de croissance faible au niveau international. Mais avec la découverte entre 2014 et 2017 du pétrole et du gaz et l'exploitation des gisements gaziers du Grand Tortue Ahmeyim, à la frontière avec la Mauritanie, et pétroliers de Sangomar, les perspectives de croissance restent favorables pour le Sénégal.
En 2024, la croissance du PIB réel qui mesure la richesse créée au cours d'une année dans un pays, après ajustement du niveau global des prix, devrait ainsi atteindre 8,8 %, stimulée par le démarrage de la production de pétrole et de gaz. En effet, l'exploitation des hydrocarbures devrait se traduire par une augmentation des recettes de l'Etat, une augmentation des investissements publics et des Investissements directs étrangers, une diminution des coûts de production et une indépendance énergétique avec un impact important sur les différents secteurs de l'activité économique en particulier l'industrie, le commerce et le transport.
A titre illustratif, selon le ministère du Pétrole et de l'Energie du Sénégal, en 2017 la facture pétrolière du Sénégal est estimée à 419 millions de dollars soit 60 % des revenus d'exportation et 10 % du PIB.
Je suis chercheur en économie monétaire et financière. Cet article met l'accent sur les priorités économiques sur lesquelles le prochain président de la République du Sénégal peut s'appuyer pour un développement économique et social inclusif et durable. Il met le focus sur l'emploi ainsi que sur la gestion du pétrole et du gaz.
Emploi et marché du travail
Le futur président de la République aura fort à faire à ce sujet. La demande sociale est de plus en plus forte en matière d'emplois. Le dernier Recensement général de la population et de l'habitat (RGPH-5) montre qu'en 2023, la population active (15-59 ans) représente 54,9 % de la population soit 9 897 327 habitants. Malgré les nombreux programmes et initiatives d'insertion mis en oeuvre par l'État ces dernières années, le marché du travail au Sénégal se caractérise par la persistance du chômage (y compris des diplômés) et la prédominance du secteur informel.
Le taux de chômage était à 10,1 % en 2011 et s'établit à 15,5 % en 2018.
La part des entreprises formelles comptant cinq employés ou plus est de 1,3 % du nombre total d'entreprises. Plusieurs contraintes expliquent cette situation, notamment le faible dynamisme du secteur privé, la faible productivité des entreprises, la faible synergie entre les secteurs moteurs et la main d'oeuvre disponible ou potentielle, la qualification de la main d'oeuvre et l'accès limité au financement.
Le développement des différents secteurs d'activités notamment l'industrie, l'agriculture, le transport, le commerce en synergie avec la main d'oeuvre disponible et potentielle est la meilleure façon, selon nous, de créer des emplois. Il s'agit donc de catégoriser les différents profils pour mieux mettre en cohérence les niches d'emplois avec les catégories de chômeurs. Ainsi, pour ceux qui n'ont pas de qualification, l'Etat doit mettre l'accent sur le renforcement des capacités avant d'octroyer des financements.
En outre, l'objectif de la croissance inclusive n'est pas encore atteint. En effet, comme souligné dans le troisième Programme d'actions prioritaires (PAP3), à l'exception du secteur agricole, l'essentiel des secteurs moteurs de la croissance notamment les activités financières et d'assurance, les activités extractives, la fabrication de produits chimiques de base sont faiblement porteurs d'emplois.
Le futur président devrait ainsi améliorer l'articulation entre les besoins du marché du travail, la formation professionnelle et la politique d'accompagnement de l'Etat.
Pétrole et gaz
Le Sénégal est sur le point d'entrer dans le cercle restreint des pays producteurs de pétrole et de gaz avec l'exploitation effective prévue en 2024. A cet effet, les revenus escomptés qui sont estimés à plus de 828 millions de dollars (par an lui ouvrent probablement d'importantes possibilités d'accélérer son développement économique et social au travers des investissements publics.
Pour ce faire, l'Etat a mis en place un cadre de gestion des revenus pétroliers et gaziers. Toutefois, cette action présente un certain nombre d'insuffisances parmi lesquelles, comme cité par plusieurs études, l'utilisation prévue des recettes et la gouvernance de la Société nationale des pétroles du Sénégal (Petrosen), qui a en charge l'application de la politique pétrolière du Sénégal.
La loi relative à la répartition et à l'encadrement de la gestion des recettes issues de l'exploitation du pétrole et du gaz prévoit de répartir les recettes d'hydrocarbures entre le budget général et deux fonds créés par cette loi (Fonds intergénérationnel et Fonds de stabilisation).
Elle affecte un maximum de 90 % des recettes d'hydrocarbures au budget général. Ces recettes seront réparties entre les dépenses d'investissement prioritaires, certaines dépenses courantes (à l'exception des dépenses de personnel) et le service de la dette.
L'une des difficultés posées par la loi réside dans les dépenses d'investissement prioritaires. En effet, cette loi ne définit par les catégories de dépenses et les secteurs qui sont concernés. L'éducation, la santé et la protection sociale seront-elles incluses dans ces dépenses d'investissement prioritaires ?
La gouvernance de Petrosen notamment les règles de transparence figure aussi dans les problèmes souvent évoqués. La relative indépendance de la société (choix des membres du Conseil d'administration), le double rôle d'acteur et d'arbitre dans les questions relatives aux hydrocarbures et la distribution des dividendes reviennent souvent quand il s'agit d'évoquer les insuffisances du cadre de gestion du pétrole et du gaz au Sénégal.
Ainsi, pour une meilleure gestion de ce secteur, ces questions méritent d'être traitées, en priorité par le futur président. Le successeur du président Macky Sall peut profiter de cette production pour réduire les coûts des facteurs notamment le prix de l'électricité et du transport afin d'améliorer la productivité et la compétitivité des entreprises. L'accent doit également être mis sur le contenu local afin d'impliquer les entreprises et la main d'oeuvre nationale dans tout le processus d'exploitation comme le prévoit la loi sur le contenu local dans le secteur des hydrocarbures. . Un autre défi important est lié à la transition énergétique qui est difficile à concilier avec l'exploitation du pétrole et du gaz.
Perspectives pour le futur président
Le futur président du Sénégal fera face au dilemme de la continuité et des ruptures stratégiques. La mise en oeuvre du PSE à travers le troisième Plan d'actions prioritaires des projets, programmes et réformes de l'Etat du Sénégal pour les cinq prochaines années (PAP 3 2024-2028) donne des orientations économiques avec des choix forts en matière de promotion de la croissance économique et de lutte contre la pauvreté et les inégalités de revenus et d'accès aux services sociaux de base (santé, éducation, énergie...).
En définitive, malgré de réelles opportunités liées notamment à l'exploitation du pétrole et du gaz, le prochain président doit relever les défis économiques liés à la création de richesse et la promotion de l'emploi.
En s'appuyant sur l'exploitation du pétrole et du gaz, un accent particulier devrait être accordé à la lutte contre la cherté de la vie (location, biens alimentaires, eau et électricité...), le développement du secteur privé et l'employabilité des jeunes et des femmes pour porter la montée en puissance de l'industrie et des PME.
Ibrahima Thiam, enseignant-chercheur, Université Iba Der Thiam de Thiès