Le 3 février 2024, le président sénégalais Macky Sall a annoncé le report de l'élection présidentielle initialement prévue le 25 du même mois. Il a expliqué sa décision par la corruption supposée de deux juges du Conseil constitutionnel par l'un des candidats en lice. A sa suite, l'Assemblée nationale a voté une loi pour prolonger son mandat jusqu'au 15 décembre 2024, alors qu'elle prend officiellement fin le 2 avril.
Alors que les réactions de condamnation venaient de toutes parts, le 15 février, le Conseil constitutionnel, le juge des élections, a annulé la décision du Président Sall et déclaré nulle la loi prolongeant son mandat. Dans une autre décision rendue le 6 mars, le Conseil constitutionnel a annulé les conclusions du dialogue convoqué par Macky Sall et fixé la date de l'élection au 31 mars 2024.
Mamadou Salif Sané est enseignant-chercheur en science politique et droit public à l'université Gaston Berger de Saint-Louis au Sénégal. Il explique à The Conversation Afrique les conséquences de cette crise politico-judiciaire sur la crédibilité de Macky Sall.
Les récents événements survenus au Sénégal ont-ils entamé la crédibilité et la réputation internationale de Macky Sall ? Si oui, de quelle manière ?
Il va de soi que les derniers événements survenus au Sénégal à propos de l'élection présidentielle remettent en cause la crédibilité du président de la République. Macky Sall a déclaré partout dans le monde qu'il allait accomplir deux mandats et qu'il n'allait pas en faire un troisième.
Donc si, à moins de dix heures de l'ouverture de la campagne officielle, le président de la République prend un décret pour annuler le scrutin ou pour suspendre le scrutin sur des supposées corruptions ou une supposition de corruption sur des juges constitutionnels, puis pour la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire. Aujourd'hui, on voit que tout cela n'a pas été en tout cas acté, cela remet en cause sa crédibilité.
Non seulement il n'y a pas jusqu'à présent des preuves tangibles qui mettent en cause la crédibilité de ces juges mais aussi la Commission d'enquête parlementaire a disparu avec la saisine du procureur de la République par les mis en cause, le Conseil constitutionnel. Donc, cela remet en cause la crédibilité du président de la République au niveau international.
On comprend par-là que l'État joue au dilatoire pour ne pas organiser l'élection à date échue, c'est à dire avant la fin de son mandat prévue le 2 avril, comme le prescrit la décision du Conseil constitutionnel du 15 février 2024 dans son considérant 14.
Qu'en est-il de l'image du Sénégal, considéré jusqu'à présent comme l'une des démocraties les plus solides et les plus stables d'Afrique ?
Au-delà du président de la République, il est clair que c'est l'image de la démocratie sénégalaise qui est écornée. Et on sait qu'au Sénégal, jamais une élection présidentielle n'a été décalée et toutes les élections présidentielles de 1967 jusqu'à nos jours ont été tenues date échue, même au temps où on avait un parti unique, c'est à dire, avant la fin du mandat du président de la République en fonction. Et au Sénégal, on n'a jamais connu également, contrairement aux autres pays africains, de coup d'État militaire.
Dès lors, cela remet en cause la crédibilité du pays. Aujourd'hui, tous les médias internationaux ont les yeux rivés sur le Sénégal pour savoir comment ce processus électoral va atterrir. L'Etat du Sénégal est en train de gagner du temps pour ne pas organiser l'élection avant le 2 avril. Et c'est vraiment regrettable pour la démocratie sénégalaise.
Comment Macky Sall et le Sénégal peuvent-ils rebondir ?
Pour l'image du président de la République Macky Sall et de ses partisans, il est impératif de respecter la décision du Conseil constitutionnel, qui ne souffre pas en réalité d'aucun flou. Tout est clair dans sa décision. Celle-ci invite les autorités sénégalaises, et en l'occurrence le président de la République et son nouveau gouvernement, à organiser l'élection présidentielle avant le 2 avril. Ils doivent aller dans ce sens, sinon nous serons dans une impasse.
La suppléance de la présidence de la République sera, quoi qu'il en soit, assurée par le président de l'Assemblée nationale. Le président de la République ne peut pas, par cette manoeuvre dilatoire, se prévaloir de l'article 36-2 pour assurer l'intérim, au niveau de la présidence. En tout cas, pour qu'il puisse bénéficier de cet article, il va falloir d'abord, qu'il y ait élection avant le 2 avril. L'article 36-2 de la Constitution dit que le présidence de la République reste en place jusqu'à l'installation de son successeur.
Une décision de justice remettant le processus électoral sur les rails sera-t-elle suffisante pour restaurer l'image du pays ?
Le Conseil constitutionnel est très attendu et je suis sûr et certain qu'il va continuer sur sa sur la ligne qu'il a déjà tracée, c'est-à-dire demander aux autorités sénégalaises de se conformer à la Constitution en respectant le rendez-vous républicain : l'organisation de l'élection présidentielle avant la fin du mandat du président et le respect des articles 27 et 103 de la Constitution, pour ne pas donner un nouveau mandat au président de la République qui ne peut en aucun cas bénéficier de l'article 36-2.
Pour que l'image de la démocratie sénégalaise puisse retrouver son lustre d'antan, il va falloir que le Conseil constitutionnel confirme les décisions qu'il avait déjà rendues le 15 février. Cette décision ordonne l'organisation du scrutin avant la fin du mandat. Ensuite, une autre décision rendue le 20 février, après le retrait de Rose Wardini dont la candidature a fait l'objet d'une polémique en raison de sa double nationalité. Elle s'est retirée de la course après une garde à vue.
Et dans la décision Rose Wardini, le Conseil constitutionnel n'a pas fait référence en réalité au décret pris par le président de la République et n'a pas également, dans sa décision, précisé que c'est l'élection de février.
Donc il a publié la liste des candidats pour dire que, même si le président de l'Assemblée nationale reprend les rênes du pouvoir et assure la suppléance, on ne peut en aucun cas remettre en cause le processus électoral, qui doit suivre son cours normal.
Note : Cet entretien a été réalisé avant la décision du Conseil constitutionnel du 6 mars 2024.
Mamadou Salif Sané, enseignant-chercheur, Université Gaston Berger