Au Cameroun, le colonel-magistrat, Pierrot Narcisse Nzie, a rendu sa décision le 29 février : il clôt l'information judiciaire et renvoie à présent l'affaire Zogo devant le tribunal militaire de Yaoundé. Dix-sept accusés, tous détenus, seront jugés. Un procès très attendu pour des faits allant de la conspiration, à la torture et l'assassinat de l'animateur radio, Arsène Salomon Mbani Zogo, dit « Martinez » Zogo, en janvier 2023.
En attendant de connaître la date d'ouverture du procès, plusieurs parties demandent déjà que les débats soient retransmis à la radio et à la télévision « pour éviter les pressions et que le public se fasse une idée claire », explique l'avocat d'un des accusés.
À la lecture de l'ordonnance de règlement qui marque la fin de l'information judiciaire - autrement dit l'enquête - par le troisième juge d'instruction militaire en charge de l'affaire depuis l'assassinat de Martinez Zogo, les avocats des différentes parties ne cachent pas leur malaise, chacun pour des raisons différentes. « Nous sommes soulagés que l'enquête soit terminée et qu'on se dirige vers un procès », déclare Me Calvin Job, qui représente plusieurs membres de la famille du défunt Martinez Zogo. Mais les conclusions du juge telles que présentées lui inspirent « beaucoup de confusion ».
Pourquoi, par exemple, les seuls accusés présentés comme de possibles commanditaires - l'ancien patron de la DGRE (le service de contre-espionnage camerounais), Léopold Maxime Eko Eko, et le patron du groupe de presse L'Anecdote, Jean-Pierre Amougou Belinga - ne sont-ils pas mis en cause pour « complicité d'assassinat », mais uniquement pour « complicité de torture » ? Pour le collectif de défense du commissaire-divisionnaire Eko Eko, il y avait pourtant « un amoncellement d'éléments disculpatoires irréfutables » et « les récents développements laissaient présager une instruction nettement plus objective du dossier ».
Questions autour de la date de découverte du corps
Me Charles Tchoungang, avocat de Jean-Pierre Amougou Belinga, parle « d'un atterrissage forcé » au sujet des conclusions du juge d'instruction militaire. L'ancien bâtonnier s'étonne ainsi de voir d'un côté le réquisitoire définitif du commissaire du gouvernement et de l'autre, l'ordonnance du juge, tous deux datés du même jour, sans délai de latence, de réflexion ou de rédaction.
Est-ce un signe de précipitation ? La date indiquée en introduction pour la découverte du corps de Martinez Zogo est erronée. Il est inscrit « 23 janvier », alors que c'est tôt le matin du dimanche 22 janvier 2023 que les proches du présentateur sont appelés pour identifier le corps découvert à Soa, au quartier Ebogo, à environ 25 kilomètres au nord-ouest de Yaoundé.
Justin Danwe et Stéphane Martin Savom mis en cause pour complicité d'assassinat
Du côté d'un autre accusé, le lieutenant-colonel Justin Danwe, ancien directeur des opérations à la DGRE, mis en cause pour complicité d'enlèvement, de séquestration, de torture et d'assassinat, son avocat Me Jacques Mbuny estime que « depuis le début, on va faire porter le chapeau » à son client. Justin Danwe a, certes, reconnu avoir contribué à organiser l'opération contre Martinez Zogo, mais a toujours démenti que la mort en était la finalité. « Mon client est formel : il n'a jamais été question de tuer Martinez Zogo. (...) Si des gens lui ont ôté la vie, ce sont certainement d'autres personnes. Il y a un pan de l'affaire qui reste voilé. »
L'édile Stéphane Martin Savom, cadre administratif et maire de Bibey, commune de la région Centre, l'une des dernières personnes arrêtées dans le cadre de l'enquête, est présenté par le juge d'instruction militaire comme l'autre coordonnateur de l'action violente menée contre Martinez Zogo. En lien avec Justin Danwe, il est renvoyé devant le tribunal, lui aussi pour complicité d'enlèvement, de séquestration, de torture et d'assassinat.
Les autres accusés renvoyés devant le tribunal militaire sont les agents de la DGRE, présentés comme « les gros bras » qui ont supplicié Martinez Zogo. Parmi eux, un « faux capitaine » qui aurait joué un rôle d'appât, les agents de la division de la surveillance de la DGRE, qui ont remis des informations sur la géolocalisation de Martinez Zogo à Justin Danwe, hors cadre procédural et contre de l'argent, le propriétaire du 4x4 Prado qui a loué le véhicule à Justin Danwe, et Bruno Bidjang.
Ce dernier est le directeur médias du groupe L'Anecdote, inculpé dans cette affaire pour « conspiration de torture, d'arrestation et de séquestration » pour avoir prononcé les mots « on sera sans pitié avec lui », dans le cadre d'une conversation avec un autre homme de médias, Paul Daizy Biya, au sujet de Martinez Zogo. Bruno Bidjang qui est, par ailleurs, en détention provisoire depuis le 24 février 2024 pour « propagation de fausses nouvelles » dans un autre dossier.
Martinez Zogo, une cible « à traiter » ?
Aussi, la lecture de l'ordonnance de renvoi donne des précisions sur le piège qui s'est refermé sur Martinez Zogo en janvier 2023. Selon les conclusions du juge d'instruction, Martinez Zogo a été présenté à ses bourreaux comme une cible « à traiter ». Plusieurs agents de la DGRE, ayant avoué avoir participé au supplice, ont déclaré que l'opération entrait « dans le cadre des interventions régulières » qu'ils pouvaient avoir à mener, « conformément aux usages de la DGRE ». De son côté, l'ancien patron de l'institution, le Commissaire-Divisionnaire Eko Eko, a toujours maintenu, au contraire, qu'il n'avait pas connaissance de l'opération et qu'elle a été préparée et menée « hors cadre ».
Le juge Nzie, pour étayer sa décision de renvoyer en jugement Eko Eko, note que celui-ci « avait ordonné la surveillance du journaliste par les services de la DGRE depuis 2015 dans le cadre du dossier "PRESSE" », qu'il ne pouvait ignorer l'opération contre Martinez Zogo, et se faisant, « n'a pris aucune mesure pour l'empêcher et ne saurait (...) se soustraire à sa responsabilité hiérarchique au moyen d'un tissus de prétextes aussi légers ». Une formulation qui interroge les juristes, car en droit pénal, nul n'est responsable que de son propre fait.
Aussi, selon l'ordonnance du juge, le mardi 17 janvier 2023, après six jours de filature, un faux capitaine de la sécurité militaire contacte Martinez Zogo en lui promettant des révélations « explosives » sur l'utilisation de fonds publics, qui mettraient en cause Jean-Pierre Amougou Belinga. Ce faux capitaine aurait servi d'appât pour vérifier les faits et gestes de Martinez Zogo.
Déroulé du supplice de Martinez Zogo
En fin de journée, le présentateur quitte la rédaction de Amplitudes FM, au quartier Elig Essono, dans le centre-ville de Yaoundé. C'est au niveau de la brigade de la gendarmerie de Nkol-Kondi, dans la banlieue de Yaoundé, qu'il est intercepté. Son véhicule immobilisé. Ses ravisseurs usent d'un pistolet à décharge électrique pour l'engourdir, puis selon les aveux relayés par le juge d'instruction dans son ordonnance, Martine Zogo est emmené à bord d'un 4x4 Prado jusqu'à une carrière.
Ses vêtements sont déchirés, il est ligoté avec une corde à linge, de l'huile rouge et de la farine sont versés sur son corps. Ses bourreaux lui entaillent l'oreille avec un cutter, le fouettent avec un câble électrique qu'ils lui enfoncent dans l'anus. Une expédition punitive pour qu'il cesse de parler « des membres du gouvernement et des autorités de la République », rédige le juge d'instruction.
Ses bourreaux déclarent avoir quitté les lieux du supplice avant 22 heures en laissant l'animateur vivant, mais l'exploitation des données de géolocalisation a permis, affirme le juge, de découvrir que trois membres du commando sont retournés à Ebogo, quartier de la localité de Soa, le soir-même aux alentours de 23 heures, « lieu où la victime venait d'être laissée par le commando de la première opération ».
Une « seconde opération coordonnée comme la première par Danwe Justin et Savom Martin, arrivé précipitamment de Bibey la veille de l'opération », écrit le juge. Les agents de la DGRE mis en cause « connaissant bien la zone, ils ont su mener la deuxième opération et établir la zone secondaire » dont avait parlé le médecin légiste. Selon le rapport médical d'autopsie, Martinez Zogo est décédé suite « à une strangulation après torture ».
Auparavant, Stéphane Martin Savom aurait rencontré et communiqué par téléphone à plusieurs reprises avec Justin Danwe, selon l'exploitation des données de géolocalisation mentionnées par le juge. Il a effectué dans la nuit de l'enlèvement « un retrait d'argent ». Le juge d'instruction fait le lien, sans préciser comment, entre ce retrait et l'argent qui aurait servi à payer les membres du commando.
Une expédition punitive ordonnée par qui ?
Quel était le but final de l'opération menée contre Martinez Zogo : faire taire, faire peur ou tuer ? Le juge d'instruction écrit « qu'on ne peut prétendre vouloir infliger une simple correction à un homme comme Martinez Zogo (...) et utiliser autant "de gros bras" bien entraînés (...) de surcroît munis de matériels d'une létalité avérée ».
Cinq jours plus tard, le matin du dimanche 22 janvier 2023, le Cameroun découvre, avec effroi, les images du corps nu, supplicié et gonflé, laissé à même la terre rouge du présentateur vedette. Pourquoi et pour le compte de qui Justin Danwe et Stéphane Martin Savom auraient-ils organisé une telle opération contre un homme de médias ?
A ce sujet, l'ordonnance du juge d'instruction le rappelle : les déclarations de Justin Danwe ont varié. Durant l'enquête, l'homme a ainsi tantôt mis en cause son ancien patron, le commissaire-divisionnaire, Léopold Maxime Eko Eko, tantôt affirmé que c'était Jean-Pierre Amougou Belinga, patron du groupe de presse L'Anecdote qui lui avait « confié la mission de faire taire Martinez Zogo, qui l'insultait et que séance tenance, il lui avait remis la somme de deux millions de FCFA ». Justin Danwe dira ensuite que la commande était plutôt « de l'intimider ».
Jean-Pierre Amougou Belinga a déclaré lors des auditions être « totalement innocent » et que les deux millions de francs CFA remis à Justin Danwe « n'était pas un financement de l'opération, mais une libéralité (...) à l'égard d'un (...) ami ». Dans ses conclusions, le juge d'instruction indique pourtant que les images de la vidéosurveillance au bureau de l'homme d'affaires « permettent de voir que Justin Danwe était passé le 16 janvier (...) puis le 18 ». Mais « il a été documenté que cette vidéo surveillance a été falsifiée ! », déclare l'avocat de JP Amougou Belinga, Me Charles Tchoungang. « On ne comprend pas que le juge en parle. »
Toutes les parties attendent maintenant le début des audiences, qui devraient être présidées par le président du tribunal militaire de Yaoundé, assisté de deux magistrats civils. Le corps de Martinez Zogo, est lui toujours à la morgue de l'hôpital central de Yaoundé, en attendant la levée des scellés. L'avocat Me Jean-Pierre Manyim, qui représente plusieurs enfants de Martinez Zogo, espère qu'en phase de jugement « la vérité triomphera ».