Rabat — L'Afrique est le berceau de l'histoire humaine grâce à ses richesses matérielles et immatérielles, a affirmé, mercredi à Rabat, le secrétaire perpétuel de l'Académie du Royaume du Maroc, Abdeljalil Lahjomri.
Ouvrant les travaux d'un colloque international sur le récit des origines et les grandes dates de l'histoire des littératures africaines et diasporiques, organisé par l'Académie du Royaume du Maroc dans le cadre des activités de sa Chaire des Littératures et des Arts africains, M. Lahjomri a étayé ses propos par plusieurs études historiques, culturelles et archéologiques qui confirment que depuis les temps immémoriaux, l'Afrique est bel et bien l'origine de l'histoire de l'Humanité.
Il a toutefois déploré que les oeuvres culturelles, littéraires et artistiques de l'Afrique ainsi que son héritage et son multilinguisme, soient marginalisés, ce qui requiert une attention particulière aux écosystèmes intellectuels et culturels, ainsi qu'aux différents aspects de l'écriture et leur lien avec les questions de langue et d'identité nationale, expliquant que les littératures africaines ont des traditions dans la composition de textes écrits ou oraux.
Evoquant les recherches sur les littératures africaines, M. Lahjomri a fait savoir qu'elles sont essentiellement axées sur des questions liées à l'appartenance et à l'identité considérées par certains comme "flasques" alors que par d'autres comme "manquantes d'origines". Ceci dit que ces deux points de vue "portent un intérêt aux productions littéraires et artistiques africaines en tant que discours africain renfermant une profondeur humaine qui permet d'établir une historiographie de l'identité africaine, foncièrement attachée à ses origines".
Pour lui, il est possible de parler de récits littéraires africains au pluriel et non au singulier, qu'il s'agisse de littérature écrite ou orale, notant que la multiplicité des discours est essentielle à la compréhension des différentes dimensions sociales, culturelles et politiques de toutes les formes narratives dans leurs multiples langues africaines ou européennes.
De son côté, l'universitaire et écrivain marocain, Abdelfattah Kilito, également membre de l'Académie du Royaume du Maroc, s'est attardé, dans son exposé, à décrypter le sens de la phrase "Nous sommes des voleurs de langue !", répétée par l'écrivain malgache Jacques Rabemananjara.
Selon Kilito, cette formulation est une revendication accompagnée d'une nuance de provocation, pointant du doigt l'appropriation des langues qui se fait sans le consentement explicite des propriétaires légitimes.
Pour sa part, François-Xavier Fauvelle, professeur au Collège de France et également membre de l'Académie du Royaume du Maroc, a donné un résumé de son ouvrage "Le Rhinocéros d'or" dans lequel il reconstitue de manière captivante la richesse du continent africain.
L'histoire de l'Afrique n'est ni plus ni moins que ce qu'est toujours l'histoire, a-t-il noté, soutenant qu'en chemin, "l'historien de l'Afrique a l'obligation de s'arrêter pour décrire un rhinocéros d'or, un objet du quotidien, un site archéologique prestigieux ou de faire une analyse géochimique qui sera interprétée plus tard".
L'historien prend ainsi part à l'établissement des vestiges de l'histoire et ce faisant, c'est lui qui trace son chemin dans le paysage documentaire, a commenté M. Fauvelle.
D'autre part, Dieudonné Gnammankou, philosophe slavisant et spécialiste de l'histoire de l'Afrique et de sa diaspora, s'est penché dans son intervention sur la dimension africaine du poète russe Alexandre Pouchkine "qui chantait constamment son bonheur d'être Russe et qui n'a jamais hésité à rappeler qu'il avait une seconde patrie, à savoir l'Afrique".
Ce métissage constituait un élément important de la conscience identitaire et de la personnalité de Pouchkine, a-t-il relevé, soulignant que l'on ne peut parler de l'universalité du poète russe sans un détour à ses racines africaines.
Cette rencontre de deux jours, marquée par la présence de nombreux spécialistes venus de Côte d'Ivoire, des Etats-Unis, de France, du Bénin, du Kenya, du Ghana et d'Eswatini, se propose d'inscrire dans un cadre historique les grands registres narratologiques de l'espace littéraire africain et diasporique pour accéder à la diversité des parlers, des sources, des pratiques et des arts du récit. Les intervenants invités à la tribune de ce colloque sont appelés à exhumer ces traces, ces signatures et ces revendications pour rendre lisible la cartographie des constructions littéraires d'un continent prodigieux.
Ce colloque est également l'occasion d'inscrire ces littératures et ce méga-récit dans un temps long avec le défi de revisiter les multiples sédimentations culturelles africaines, entre productions endogènes et apports externes, qu'ils soient linguistiques, ontologiques ou civilisationnels, qui ont intégré le patrimoine culturel africain ou qui ont été recyclés dans le corpus africain.
Créée en mars 2023, la Chaire des littératures et des arts africains de l'Académie du Royaume du Maroc se propose de faire connaître le patrimoine littéraire et artistique du continent africain. Elle traduit la volonté de réhabiliter la production romanesque et poétique africaine qui a été "victime de préjugés ayant consacré son isolement sur le plan culturel". Elle se veut aussi un espace de coopération universitaire et de partenariats académiques ouverts sur les cultures du monde.