La violence économique est un fléau qui touche de nombreuses femmes à travers le monde. Ce problème se pose avec acuité en Tunisie. Par conséquent, la violence économique présente le taux de récurrence le plus élevé aujourd'hui.
Selon une étude de la Banque mondiale, près de 1,4 milliard de femmes vivent dans des pays qui n'offrent pas de protection aux victimes de violence juridique. Dans ce contexte, Emna Jemmali, cofondatrice d'1Kub, l'incubateur africain dédié à l'Entrepreneuriat féminin, nous a expliqué qu'afin de se conformer aux orientations des Nations-unies et de s'inspirer des bonnes pratiques de plusieurs pays, la Tunisie a approuvé la loi organique 2017-58 sur l'élimination de la violence à l'égard de la femme, qui se base sur une approche de droits la protégeant de toute forme de discrimination. Selon la juridiction internationale, la violence socioéconomique concerne tout acte ou abstention de nature à exploiter les femmes ou à les priver des ressources économiques, quelle qu'en soit l'origine, tels que la privation des fonds, du salaire ou des revenus, le contrôle des salaires ou revenus et l'interdiction ou la contrainte de travailler.
La situation empire de plus en plus
Nul n'ignore que les violences faites aux femmes ne cessent d'augmenter. Selon Emna Jemmali : «Cette situation a empiré avec le Covid-19 et ne s'améliorera certainement pas avec la détérioration de la situation économique et sociale mondiale. Parmi les victimes de violence économique dans le monde, 67% d'entre elles résident dans des zones plutôt considérées comme défavorisées. Il n'y a cependant pas de chiffres sur la violence économique envers les femmes en Tunisie. Le cas le plus flagrant, c'est lorsqu'un homme prive une femme de ses propres revenus. C'est malheureusement encore le cas dans nos régions où les femmes travaillent et se voient dépouiller leur salaire par un homme de la famille (frère, mari, père, oncle...) à la sortie des usines, à chaque fin de mois». Et d'étayer que de nombreux employeurs témoignent du nombre de femmes qui viennent au début du mois avec des commotions et qui taisent leur souffrance, car elles sont violemment contraintes à remettre la totalité de leur salaire à un homme de la famille. Jalel, dirigeant d'entreprise, indique : «Nous avons ouvert des comptes postaux à toutes nos employées pour éviter qu'elles ne soient rackettées à la sortie de l'usine par leurs proches». C'est aussi le cas des femmes, filles et mères qui travaillent dans l'informel (employées de maison, dans les champs...) et qui donnent, sans mot dire, le fruit de leur travail à la fin de chaque journée. «Cette situation contribue à les fragiliser et à les maintenir sous l'emprise de leur conjoint, puisqu'il arrive même que ce dernier leur interdise de se rendre au travail. Dans le couple, la violence économique vient de l'homme qui emprunte à la victime de l'argent, sans intention de la rembourser ; ou encore exige de l'argent en invoquant des prétextes, sous la contrainte ou sous la menace, etc. C'est aussi le cas de l'homme qui contrôle les dépenses et la gestion financière et ne donne pas à la femme le choix des dépenses (parfois même pour des produits de consommation courante...), qui critique les achats, surveille ses comptes personnels, s'implique dans sa façon de gérer son argent, impose ses choix quant aux décisions financières qui concernent la femme ou la famille et qui contrôle l'accès à l'information relative aux finances de la famille. C'est aussi l'homme qui ment sur sa propre situation financière ou celle de sa famille en dissimulant des revenus personnels et en cachant des factures ou des avis importants, etc».
Mme Jemmali a ajouté que la violence économique, c'est lorsqu'il y a usurpation de l'identité de la femme, ou qu'il l'oblige à signer un engagement financier pour le couple, qu'il utilise des informations personnelles (date de naissance, nom de famille de la mère, etc.) pour se faire passer pour la femme, ou qu'il contracte des dettes à son nom.
Statut de femme au foyer
Une autre situation assez fréquente en Tunisie, celle de l'homme qui impose à sa femme le statut de «femme au foyer», en la culpabilisant, invoquant le plus souvent l'éducation des enfants. Cette situation, poursuit-elle, s'aggrave lorsqu'il ne lui laisse pas le minimum pour ses dépenses personnelles (produits cosmétiques, soins médicaux..). «Bien souvent la femme qui a accepté ce «deal» au début de la relation ou «le temps que les enfants grandissent», se retrouve malheureusement des années plus tard à se contenter d'un emploi qui ne correspond pas à ses compétences, ni à son niveau d'études, ou exclue du marché du travail. Il arrive aussi qu'il lui crée des problèmes professionnels pour engendrer des difficultés de concentration et accroître son absentéisme. C'est un moyen pour contraindre la victime à rester dans la relation de couple. Certaines subissent des menaces de vengeance financière si la victime choisit de rompre cette relation. La menace la plus courante est celle qui consisterait à lui «couper les vivres», surtout si elle a des enfants en bas âge, de ne pas payer la pension alimentaire, de ne plus payer les dettes communes», nous explique-t-elle. Et la co-fondatrice «d'1Kub l'incubateur Africain» a également révélé que la violence économique est souvent insidieuse. Elle peut aussi provenir de l'entourage familial de la victime. «Nous connaissons, tous, des histoires de jeunes filles qui ont été privées de l'école par leur père pour qu'elles soient source de revenu pour la famille (dans certaines régions, les filles sont exploitées et envoyées dans des familles, dans les grandes villes en tant qu'aide-ménagères, parfois même avant l'âge de la majorité). La famille fait pression sur la victime, souvent de manière insidieuse, en voulant contrôler son développement professionnel, en l'empêchant de continuer ses études, ou encore en la forçant à refuser des promotions dans le cadre de son travail. Il peut aussi s'agir du contrôle des emplois auxquels la victime souhaite postuler dans certains secteurs (hôtellerie, restauration...) craignant pour elle le contact avec d'autres hommes, ou certains emplois qui peuvent mettre la victime dans la situation d'être sous l'emprise de son supérieur hiérarchique». C'est aussi, enchaîne-t-elle, le cas de la victime qui travaille au sein de l'entreprise familiale. Elle n'est en général peu ou pas rémunérée et se retrouve parfois sans aucune couverture sociale. Il s'agit de tout contrôle de la vie scolaire ou professionnelle de la femme en général.
Source de conflit
La violence économique concerne aussi le cas des femmes privées de leur héritage (terres agricoles...) par un homme de la famille, et qui, en s'arrogeant le droit de le gérer, finit par s'approprier le bien familial. Toutes ces situations contribuent à placer la femme dans une situation de dépendance économique à l'égard de la famille ou de son partenaire. De nombreuses recherches à l'échelle internationale ont montré que lorsqu'une femme a un statut économique plus élevé que l'homme au sein de sa famille, cela peut être une source de conflits et de violence économique pour elle. La violence basée sur le genre est une violation des droits humains et elle affecte non seulement les personnes qui en sont directement victimes, mais aussi l'ensemble de la société. Les données économiques mondiales ont montré que la mondialisation a engendré l'appauvrissement des femmes. La violence socioéconomique est à la fois la cause et l'effet d'un rapport de force déséquilibré entre les femmes et les hommes. Dans les pays développés, comme dans les pays en développement, le nombre de ménages gérés par une femme est en augmentation. Les ménages dirigés par une femme sont plus vulnérables, du fait que leurs ressources sont en général inférieures à celles des hommes. L'égalité entre les femmes et les hommes est un objectif fondamental pour toute société fondée sur les droits de l'homme, la démocratie et l'Etat de droit. L'autonomisation financière des femmes passe par une prise de conscience collective de la violence économique faite contre le genre.
Solutions recommandées
En guise de recommandations, il faut mettre en place un certain nombre de mesures préventives qu'il est nécessaire d'adopter, afin de lutter contre les inégalités entre les sexes comme cause profonde de la violence économique envers les femmes. Il est obligatoire de mettre en place une base de données sur les violences à l'égard des femmes, ainsi que de multiplier les enquêtes sur la violence économique et les comportements pour mettre en exergue les causes et les conséquences, collecter tous types de données et les analyser. Les enquêtes doivent porter sur les perceptions et les attitudes des femmes et des hommes.De même, il est urgent de modifier la législation existante et l'introduction de nouvelles mesures visant à criminaliser la violence économique et adopter des stratégies, des politiques, des plans d'actions et des programmes pour soutenir la mise en oeuvre de la réforme juridique sur la violence faite aux femmes. Par ailleurs, il faut échanger des expériences et des bonnes pratiques en matière d'expériences réussies et de réformes juridiques dans l'ensemble des régions. Selon Ban Ki-Moon, ancien Secrétaire général des Nations unies (2008) : «Il y a une vérité universelle, applicable à tous les pays, cultures et communautés : la violence à l'égard des femmes n'est jamais acceptable, jamais excusable, jamais tolérable», a conclu Mme Jemmali.