Un groupe de scientifiques africains appelle les gouvernements du continent à exiger une révision du rôle des organisations internationales de santé basées dans les pays du nord dans l'élaboration du nouveau traité mondial de préparation et de réponse à une pandémie avant sa finalisation à l'Assemblée mondiale de la santé en mai prochain.
Le groupe - connu sous le nom de Groupe de travail panafricain sur les épidémies et les pandémies - affirme que les politiques internationales de santé devraient donner la priorité aux pays à faible revenu et à forte charge de morbidité ; qualifiant le projet actuel de « colonialiste ».
« Les règles de confinement, qui ont été imposées pendant la pandémie de la COVID-19 et qui sont encore renforcées dans les instruments du projet, étaient un instrument d'école et non scientifique. Elles ont causé des dommages collatéraux importants aux personnes à faible revenu et se sont révélées inutiles dans des contextes informels surpeuplés comme les zones urbaines d'Afrique », déclare le groupe dans un communiqué.
"Les confinements ont durement touché les Africains parce que ce sont des gens qui gagnent leur vie grâce à un revenu de subsistance, et pourtant vous les avez enfermés pendant plusieurs mois..."Wellington Oyibo, université de Lagos, Nigeria
« Cela ne fera que perturber les économies et l'éducation, renforçant la pauvreté et les inégalités multigénérationnelles dans le futur tout en augmentant la dette nationale directement liée à la crise de la dette que connaît aujourd'hui l'Afrique », indique le groupe.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) et certains dirigeants mondiaux de pays riches avaient lancé en mars 2021 l'idée d'un nouveau traité international pour préparer le monde à apporter une meilleure réponse aux futures pandémies.
Dans le prolongement de cette idée, l'OMS a créé en décembre 2021 l'Organe intergouvernemental de négociation (INB) - comprenant les 194 États membres - pour négocier, rédiger et débattre du contenu du traité.
L'OMS a entrepris la révision du Règlement sanitaire international (RSI) déjà existant depuis 2005 qui prescrit aux pays l'obligation de signaler les urgences de santé publique et les restrictions aux voyages internationaux.
Plus de 300 amendements ont été apportés au RSI ; les deux instruments devant être soumis en mai. Sauf que le groupe de travail panafricain estime que le projet actuel du traité ne reflète pas les leçons tirées des échecs de la COVID-19.
Plus précisément, le groupe panafricain appelle à une révision de l'article 12 du nouveau paragraphe six et du nouvel article 13 du RSI modifié qui habilite le directeur général de l'OMS à déterminer « à tout moment » si une maladie est une urgence de santé publique de portée internationale ou une pandémie.
Wellington Oyibo, parasitologue médical à l'université de Lagos au Nigeria et directeur consultatif en matière de santé du groupe, a confié à SciDev.Net que l'impact de ces mesures équivaudrait à l'utilisation d'un marteau pour tuer une fourmi.
« Les confinements ont durement touché les Africains parce que ce sont des gens qui gagnent leur vie grâce à un revenu de subsistance, et pourtant vous les avez enfermés pendant plusieurs mois... », dit-il.
« Les gens ne se sont pas toujours remis des conséquences socio-économiques et éducatives du confinement, car il n'y a pas de soutien gouvernemental », ajoute le médecin.
Wellington Oyibo, par ailleurs directeur du Centre de recherche transdisciplinaire sur le paludisme et les maladies tropicales négligées de l'université de Lagos, martèle que les mesures prises lors de la pandémie de la COVID-19 étaient dramatiques et irréalistes pour les Africains.
Il rappelle que les cas de COVID-19 étaient faibles en Afrique, et pourtant l'autorité sanitaire mondiale avait insisté sur le fait que toute l'Afrique devait être vaccinée.
« L'Afrique a ses maladies, comme le choléra, la fièvre jaune, le paludisme et d'autres maladies qui tuent plus que le COVID-19 », dit-il.
Le groupe estime que la phrase du traité selon laquelle « les États parties... s'engagent à suivre » la recommandation de l'OMS menace la souveraineté sanitaire des pays.
Les scientifiques affirment également que les articles 23 et 36 des modifications du RSI qui concernent les formulaires numériques obligatoires de localisation des passagers et les certificats de vaccination obligatoires, sont problématiques et vont à l'encontre du Code d'éthique médicale de Nuremberg qui préconise le consentement volontaire.
Le groupe soutient également que l'article 44 du RSI, qui traite de la lutte contre la diffusion d'informations dans les médias et les réseaux sociaux, constitue une censure et une violation de la liberté d'expression, ajoutant que les organismes mondiaux et les pays riches ne sauraient être les arbitres du savoir.
Reginald Oduor, maître de conférences au département de philosophie de l'université de Nairobi, au Kenya, et coordinateur des médias sociaux du groupe, pense que « cela est une perpétuation de l'impérialisme occidental classique qui arrive par une porte dérobée ».
« C'est de l'impérialisme sanitaire que de subjuguer les connaissances d'autres parties du monde et de penser que les innovations médicales et les connaissances sur la COVID-19 ou d'autres pandémies doivent venir de Genève ou des pays développés », affirme-t-il.
« C'est la raison pour laquelle nous devons plaider en faveur de plusieurs centres de connaissances. Chaque société a le droit d'avoir ses propres innovations», a-t-il ajouté.
Mausi Segun, directrice Afrique de Human Rights Watch, s'est déclarée préoccupée par le fait que le projet actuel utilise le mot « encourage » dans plusieurs phrases.
« Si vous voulez que les pays s'y conforment, il doit y avoir des conséquences. À ce stade, il appartient encore à chaque pays d'être « encouragé » à adopter ou non ces politiques. Cela ne nous amène pas plus loin que là où nous en étions lorsque la COVID-19 a éclaté. La conséquence, ce sont les échecs dont nous avons été témoins avec le COVID-19. »
Le directeur général de l'OMS, Tedros Gebreyesus, a déclaré lors de son discours d'ouverture de la huitième réunion de l'INB qu'il fallait résoudre le problème du déficit de confiance entre les Nations.
« L'un des obstacles qui nous empêchent de progresser est le déficit de confiance. Mais si nous essayons de le comprendre comme un problème commun et de le résoudre avec flexibilité et créativité, alors la confiance pourrait s'instaurer. Viendra ensuite la solution gagnant-gagnant », a-t-il déclaré.