Selon l'Unicef, au moins 200 millions de filles et de femmes ont été victimes de mutilations sexuelles et 30 millions de filles risquent de l'être au cours des dix prochaines années. La majorité d'entre elles vivent dans 30 pays d'Afrique et du Moyen-Orient, et on estime que 5% de ces femmes mutilées vivent en Europe. Entretien avec Claudia Cappa, auteure du rapport et cheffe de l'unité Protection et développement de l'enfant à l'Unicef.
Le nombre de mutilations génitales est en hausse, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Le nombre total de victimes de mutilations génitales féminines a augmenté de 15% par rapport aux données que nous avions publiées en 2016, car le rythme de progrès pour mettre fin aux mutilations génitales féminines demeure trop lent et il ne parvient pas à suivre le rythme de croissance démographique. En particulier dans les pays où cette pratique est la plus répandue. Ce rythme n'est pas suffisant pour atteindre l'objectif de développement durable aux Nations unies d'éliminer les mutilations génitales féminines d'ici à 2030. Il faudrait ainsi que les progrès soient 27 fois plus rapides pour réussir à éradiquer cette pratique d'ici là. C'est presque impossible. Les mutilations génitales féminines existent depuis des siècles, cela prend du temps pour changer la pensée des gens et pour changer les comportements.
Qu'est-ce qui vous inquiète, qui vous préoccupe le plus, aujourd'hui ?
Malheureusement, dans le monde, il y a des tendances qui vont à l'encontre des droits des femmes. Il y a eu des changements au niveau des législations. Or, la législation est très importante. Il faut adopter et appliquer des lois contre les mutilations génitales féminines parce que les lois envoient un message à la population, c'est une manière de dire : « Cette pratique n'a pas le droit d'exister. » En même temps, il faut aussi changer la mentalité des femmes et des hommes. Les mutilations génitales sont des pratiques culturelles qui sont liées à l'idée que, par exemple, la femme n'a pas le droit de s'intéresser au sexe. Les mutilations génitales sont liées à des inégalités de genre, et nous voyons dans le monde que parfois, même le progrès au niveau des lois et des changements de mentalité reste faible.
Pourquoi ces pratiques sont encore si courantes dans certaines régions du monde ?
Les attitudes à l'égard des mutilations génitales féminines ont évolué, mais les opinions personnelles ne sont pas suffisantes, à cause de la pression sociale. Dans certains pays, les mutilations génitales sont liées à des rites de passage qui se produisent autour de l'adolescence, et qui sont, encore une fois, liées à la perception des femmes et des filles, au concept de virginité, par exemple. Il faut donc changer les mentalités et pas simplement des individus, mais aussi des communautés. Les mères, parfois, ne trouvent pas le courage d'aller contre l'opinion des autres. Parfois, il s'agit d'un sujet tabou, il n'y a pas de débat au sein des familles ou au sein des communautés. Il arrive que certaines femmes pensent que les hommes sont en faveur de la pratique, même s'ils ne le sont pas. Les hommes, très souvent, restent silencieux. Ils n'osent pas intervenir, ils ne veulent pas se mêler à des affaires considérées comme des « affaires de femmes ». Il y a donc un silence et à cause de ce silence, on a l'impression que c'est un sujet dont on ne peut pas parler ouvertement.
Que préconise l'Unicef pour se rapprocher le plus possible de l'objectif de 2030 ?
Pour éradiquer les mutilations génitales féminines, l'Unicef exhorte les dirigeants et les communautés à redoubler d'efforts afin de mettre fin aux discriminations, aux inégalités de genre, à investir de toute urgence dans les services destinés aux filles. À promouvoir la capacité d'action et les atouts des filles et aussi à accorder la priorité au droit dans la loi. Il faut des lois contre les mutilations génitales, et des politiques aussi, et il faut en même temps avoir des lois qui garantissent l'accès des femmes au marché du travail, à l'éducation. Avoir accès à l'éducation et l'emploi, c'est une manière de rendre les femmes plus indépendantes et d'envoyer un message à la société qui dit que le rôle des femmes n'est pas tout simplement lié au rôle de femme et de mère. Donc c'est toute une série de lois et de politiques nécessaires pour promouvoir la fin de pratiques néfastes comme les mutilations génitales féminines.
En Gambie, le Parlement examine un texte légalisant à nouveau l'excision. Qu'en pensez-vous ?
Malheureusement, ce sont des tendances que nous avons vues dans plusieurs pays. Même au niveau des médias et des réseaux sociaux par exemple, il y a plusieurs débats, parfois soulignant le besoin de rester attachés à des traditions et à des coutumes comme les mutilations génitales féminines. Ces débats et ces propositions de changement de la législation sont très dangereux. Les traditions sont importantes, mais toutes les traditions ne doivent pas être gardées, il y a des traditions qui sont positives et des traditions qui sont néfastes.
D'autant que beaucoup de femmes meurent à la suite de ces mutilations ?
Il y en a beaucoup qui meurent, et il y en a beaucoup aussi qui vivent toute leur vie avec les conséquences néfastes des mutilations, sur le corps, mais aussi des conséquences psychologiques. Les mutilations génitales peuvent être une ablation du clitoris, une excision (ablation totale ou partielle du clitoris et des petites lèvres) ou une infibulation (excision plus suture de l'orifice vaginal pour le rétrécir). Elles ont des répercussions immédiates, mais aussi sur le long terme, par exemple au niveau de l'accouchement. Il y a des formes de mutilation génitale qui entraînent la coupe des parties génitales, refermées puis rouvertes quand, par exemple, la femme commence à avoir des rapports sexuels ou lors d'un accouchement.
Vous mettez aussi en lumière dans le rapport qu'il y a des progrès pour réduire ces pratiques qui violent les droits humains les plus fondamentaux.
Selon le rapport, dans les pays d'Afrique et du Moyen-Orient, près de 400 millions de personnes y sont opposées, ce sont les 2/3 de la population de ces pays. C'est du jamais-vu auparavant. Donc le niveau d'opposition à ces pratiques continue d'augmenter. C'est pour cela qu'il faut vraiment créer les conditions pour que cette opposition puisse mener à un changement de comportement. Il y a des pays qui ont fait beaucoup de progrès. Certaines régions du Kenya, par exemple, ont complètement abandonné ces pratiques. Il y a plusieurs cas positifs qui montrent que l'abandon de ces pratiques est possible.