Ile Maurice: «Aucun règlement de comptes, ni même cette atmosphère de vendetta qu'adorent certains hommes politiques»

interview

Le vendredi 15 mars sera lancé «Résister», un livre d'entretiens avec l'ex-Directeur des poursuites publiques, Satyajit Boolell qui parait chez Pamplemousses Editions. Alain Gordon-Gentil, journaliste-éditeur qui a réalisé les entretiens sur une période de huit mois, nous en dit juste assez pour contenir l'impatience des lecteurs de se plonger dans l'ouvrage.

Après «Conversations» avec Gérard Sullivan, vous avez choisi un autre homme de robe, Satyajit Boolell. Plus d'un an après qu'il a pris sa retraite comme Directeur des poursuites publiques (DPP), ces conversations sont-elles des confessions ou des révélations ?

Ma démarche est tout autre. Il ne s'agit pour moi ni de révélations, ni de confessions. Comme tous les autres livres/entretiens que j'ai écrits, il s'agit d'essayer de mieux connaître la personne, de comprendre ses motivations, ses forces, ses fêlures aussi, bref de mieux connaître l'humain que j'ai en face de moi une fois par semaine pendant plusieurs mois.

Avant Me Boolell, il y a eu sir Gaëtan Duval, Michel de Spéville, Gérard Sullivan. Comme vous le voyez, ce sont des personnes d'horizons totalement différents. Le meilleur compliment qu'un lecteur puisse me faire, c'est de dire après avoir lu le livre : «J'ai le sentiment de mieux connaître l'invité». Alors j'estimerai avoir fait correctement mon travail. Je l'ai fait pendant 11 ans, chaque vendredi dans la rubrique Apartés - plus de 500 invités dans l'express - et j'ai apprécié chaque moment. Aller à la découverte de l'autre est une aventure passionnante.

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Satyajit Boolell a-t-il été facile à convaincre de se prêter à l'exercice ? Sachant qu'il exerce toujours comme avocat et a fait l'objet d'une accusation de conflits d'intérêts dans l'affaire Sherry Singh.

Oui cela s'est fait sans aucune difficulté. Le fait qu'il exerce comme avocat n'est pas nouveau pour un ancien DPP. D'ailleurs, en lisant le livre vous constaterez qu'il prend beaucoup de distance par rapport à ses anciennes fonctions. Les conversations se sont déroulées de manière très naturelle. Ni lui ni moi n'étions là pour faire du «buzz», quel mot horrible. Quant aux «accusations» de «conflits d'intérêts» c'est à lui de répondre à la question et je pense qu'il l'a déjà fait.

Ces conversations avec l'ex-DPP paraissent dans le courant d'une année électorale alors que Satyajit Boolell a fermement résisté à une tentative du présent régime de mise sous tutelle du bureau du DPP sous l'«Attorney General», avec le «Prosecution Bill». Maintenant que la loi créant la «Financial Crimes Commission» a été votée, le titre «Résister», c'est un slogan de campagne ?

C'est la prérogative de tout auteur de choisir le titre de son livre. Et bien sûr je ne m'en suis pas privé. Regardez le titre Le droit à l'excès. Le livre est sorti il y a bientôt 40 ans et je constate qu'on en parle toujours. S'il arrivait la même chose avec Résister, j'en prendrai acte.

Vous savez, les campagnes électorales vont, viennent, passent, mais les livres restent. Pour répondre à votre question, je n'ai pas choisi d'écrire ce livre au cours d'une année électorale. J'ai choisi d'attendre que Me Boolell prenne sa retraite fin 2022 afin qu'il puisse être plus libre de sa parole. Car c'est cela l'important dans un livre d'entretiens : que la parole sorte sans fard, sans artifice. Que ce soit un moment de vérité. Et je crois qu'en termes de vérités, le lecteur y trouvera son compte.

De quoi s'agit-il au fond et pourquoi ce choix de Me Boolell ? Il s'agit d'un personnage qui a occupé une fonction protégée par la Constitution et qui a démontré un immense courage reconnu aujourd'hui par toute la population. C'est un homme qui a refusé de se plier aux injonctions politiciennes. Il a résisté à la toute-puissance de l'appareil d'État. Il a ainsi fait respecter ce poste constitutionnel qu'est celui de DPP. Comme vous le savez sans doute ce n'est pas moi qui décide de l'année des élections. Et quand j'ai commencé l'écriture de ce livre, nous étions loin, très loin de l'idée des élections. Je vois que vous parlez d'une année électorale. En est-on vraiment sûr ?

Durant ses 13 ans comme DPP, Satyajit Boolell a aussi dû faire face à une tentative d'arrestation policière en lien avec l'affaire Sun Tan. La demande de révision judiciaire est devant les tribunaux. Quelle était l'attitude adoptée par l'ex-DPP lors de vos conversations ? Fini le devoir de réserve, seul comptait d'éviter l'outrage à la cour ?

Me Boolell est un légiste. Et pas des moindres. Et il a montré, en toutes circonstances aux Mauriciens, qu'il était respectueux de la Constitution. Et au cours de ces entretiens, il le démontre. Autant il raconte en détail la tentative de son arrestation - quelque chose d'ahurissant - autant il ne se départit jamais de son devoir de réserve sur les questions qui sont devant les tribunaux.

Dans son message d'adieu à l'heure de la retraite, en décembre 2022, Satyajit Boolell a partagé ses regrets concernant des réformes qui n'ont pas abouti : mise à jour du Code pénal qui date de 1838, la notoire charge provisoire, l'introduction d'une «Police and Criminal Evidence Act». Lors des conversations, a-t-il été plus précis sur les raisons de ces échecs ?

L'exercice auquel vous me demandez de me livrer a ceci de compliqué : je dois doser ma parole pour laisser au moins la chance au lecteur la surprise de la découverte. C'est un homme qui est quelquefois triste de n'avoir pu changer certaines choses qu'il estimait importantes. Et il en parle très aisément. Une chose est certaine : il n'y a pas un moment au cours de ces conversations qui se sont déroulées sur huit mois, où il y a eu de la langue de bois. C'est un homme qui répond aux questions sans détour. D'où le grand plaisir de journaliste que j'ai eu à écrire ce livre.

Après ces conversations, quelles images gardez-vous de Satyajit Boolell? Est-il le «DPP réformiste» comme certains l'ont appelé ou un ex-DPP qui a des comptes à régler ?

Il n'y a dans ce livre aucun règlement de comptes, ni même cette atmosphère de vendetta qu'adorent certains hommes politiques. Non, il s'agit de choses factuelles, de réflexions profondes sur le sens de la justice, sur le sens à donner aux fonctions de DPP. Une mise en perspective de notre Constitution, des réalités existantes au moment de sa conception. Le souvenir que je garde, c'est celui d'un homme qui a essayé de donner le meilleur de lui-même, tout en étant conscient de ce qu'il n'a pas pu réaliser. Et puis surtout, j'ai eu le sentiment d'avoir affaire à un vrai Mauricien.

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