Ile Maurice: Navind Kistnah, le mystère cloîtré

Aujourd'hui 9 mars, cela fait exactement sept ans depuis que l'Anti-Drug and Smuggling Unit (ADSU) et la Mauritius Revenue Authority (MRA) avaient mis la main sur 135 kg d'héroïne dissimulée dans six sableuses à pression dans un conteneur sur le MSC Ivana dans le port.

Le poids de la drogue estimée à Rs 2 milliards était ensuite passé à 119,576 kg dans le rapport du Forensic Science Laboratory (FSL), déposé mi-2018. Navind Kistnah, alors âgé de 34 ans, avait quitté Maurice pour l'Afrique du Sud, le 8 mars 2017, soit à la veille de cette saisie record. Il attend toujours d'être fixé sur son sort et lance un appel au Directeur des poursuites publiques (DPP) car les autres protagonistes sont déjà en liberté conditionnelle.

Sept ans après, le courtier Navind Kistnah, arrêté le 15 avril 2017 au Mozambique, est toujours détenu dans une cellule de l'ADSU, aux Casernes centrales. Il ne cesse de confier à ses proches que lorsqu'au Mozambique, le DCP Lockhdev Hoolash du National Security Service et le SP Lilram Deal de l'unité antiterroriste l'avaient approché pour qu'il coopère avec la police en échange de l'immunité totale. Le 25 août 2023, son dossier a finalement été remis au bureau du DPP mais ses proches et lui ne savent toujours pas ce que sera son sort.

Kistnah est persuadé que l'enquête n'est pas bouclée à 100 % en raison d'un «cover-up» et sans la version du courtier maritime Homunchal Kumar Ramdin toujours recherché sept ans après. Ce qui, selon Navind Kistnah, explique pourquoi l'une des personnes dont l'arrestation avait été fort médiatisée a été libérée sous caution et l'affaire rayée. «La police a pris six ans et quatre mois pour boucler à trois quarts l'enquête. L'ADSU pensait que Kistnah était le cerveau des importations de drogue. Lorsqu'elle a réalisé qu'elle était sur la mauvaise piste, Ramdin avait déjà été libéré sur parole et avait disparu. La justice, le DPP et la police semblent insensibles au fait que je sois dans une cellule policière depuis sept ans. Je n'ai aucune indication quand le cas formel sera pris en cour ou si le DPP m'accordera l'immunité. Tous les coaccusés ont déjà été libérés sous caution il y a quatre ans. Ma détention est punitive», écrit Navind Kistnah dans une lettre remise à ses proches.

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Il y fait aussi le décompte. En sept ans, il a donné plus d'une soixantaine de dépositions. Trois «incommunicado» à l'ADSU, 51 supplémentaires toujours à l'ADSU, 11 à l'ICAC et deux au Central Criminal Investigation Department. L'enquête a aussi porté sur les huit importations d'Afrique du Sud et de Thaïlande, d'avril à décembre 2016 de 52 autres sableuses à pression par Brillant Resources Consulting Ltd, dont le directeur est Geanchand Dewdanee, un agent du MSM et ami de Homunchal Kumar Ramdin. Toujours en mars 2017, 20 kg d'héroïne sont entrés à bord du MSC Filomena pour un habitant de Coromandel et agent politique, Muhammad Imteyaz Baccus.

L'axe Veeren-Ramdin

Il faut surtout retenir dans la lettre de Kistnah à ses proches, les détails du modus operandi du caïd Peroomal Veeren, mis au jour pendant l'enquête. Ainsi, entre février 2016 et mars 2017, Kun Management International que dirige Kistnah, a importé des matériaux de construction, des équipements de cuisine et de bar, deux Bobcat série S550 d'une valeur de 1,8 million de rand achetés par Dinesh Dookhit Lukeenarain et Oumeshlall Ramsarran. Le premier, un businessman, et l'autre, un gardien de prison suspendu de ses fonctions, sont des hommes de Peroomal Veeren, alias Rahul, et ont été inquiétés par la commission anticorruption pour blanchiment d'argent et par la police. Ce cargo aurait été livré à Tony Fabio Riacca, alias Black, condamné à trois ans de prison le 29 novembre 2018. Il avait avoué avoir transféré Rs 108 200 à Christelle Bibi - une proche de Veeren entre mars et mai 2016 et Rs 2,3 millions à Oumeshlall Ramsarran.

Quant aux sableuses à pression, elles auraient été livrées à Manish Keshwin Manish Seewoochurn, alias Rambo, Maraz et Rocky, trois pseudos pour la même personne. Selon les dénonciations de Kistnah, Seewoochurn serait l'homme à tout faire de Peroomal Veeren. Il remettait aux protagonistes des téléphones et cartes sim, prenait livraison des sableuses à pression et remettait l'argent pour dédouaner la marchandise. Il a été libéré le 31 décembre 2020 après 44 mois d'incarcération contre deux cautions de Rs 2 millions pour une charge d'importation de 220 kg d'héroïne et de Rs 1 millon pour importation de 47 kg d'opiacés.

Toutes les instructions venaient de Peroomal Veeren de la prison de Melrose à l'époque. Il les transmettait au courtier maritime toujours recherché, Homunchal Kumar Ramdin. En 2013 lorsque Ramdin était en détention préventive à la prison de Beau-Bassin pour vol de ferraille, il a fait la connaissance de Peroomal Veeren et d'autres barons de la drogue. Il leur a expliqué les rouages de la douane, comment faire passer et dédouaner la marchandise. Toutefois, ce n'est pas au nom de sa société qu'il s'occupait du fret et dédouanement. Les transactions se faisaient par des transitaires comme Freight Forwarding Company and clearing agents. D'abord, Ligentia Mauritius Ltd, une société transitaire à Maurice et en Afrique du Sud, avait pour Customs clerk un dénommé P.K, pour le fret de bateau, que Ramdin avait mis dans la poche, il lui faisait bloquer tous les documents d'importation - commercial, invoice & packing list, Bill of lading, arrival notice. Il n'envoyait donc rien à la société. Ce qui fait que très peu de protagonistes savaient quelle importation arrivait entre 2016 et 2017 de l'Afrique du Sud. Kistnah a ainsi livré le nom d'au moins trois autres sociétés mauriciennes et sud-africaines.

Pour revenir aux relations amicales entre Ramdin et Geanchand Dewdanee, voilà où elles ont mené. En 2016, Dewdanee avait quasi obtenu un contrat de la State Trading Corporation pour l'exportation de farine vers Madagascar. Il s'est alors tourné vers Ramdin. Quand les démarches pour son permis d'exportation n'ont pas abouti avec la douane et le ministère du Commerce, Ramdin a référé la compagnie de Dewdanee à Peroomal Veeren pour l'importation de sableuses à pression. Par ailleurs, Kistnah a aussi mis noir sur blanc que lorsqu'il était en cavale au Mozambique, il était en contact avec l'ADSU pour faire arrêter Ramdin. Il allègue qu'il y aurait eu cover-up de l'ADSU de Plaine-Verte où exerçait alors Ashik Jagai et que Ramdin a été libéré sur parole en 2017.

C'est justement la connexion Kistnah-Ramdin qui a mené à son arrestation. «En mars 2017 avant de partir en Afrique du Sud, Ramdin m'a demandé de vérifier ma boîte mail. Il m'a demandé d'imprimer le Tax invoice qu'il m'avait envoyé et de le lui remettre. Le lendemain je suis retourné voir Ramdin à Vallée-des-Prêtres. Il n'allait pas bien car il avait commencé à se droguer. Il m'a dit qu'il y a ces deux documents - Commercial invoice/ packing list et il m'a fait remplir un formulaire d'autorisation pour passer le Bill of Entry au nom de Brillant Resources Consulting (BRC) et apposer une fausse signature au nom de Dewdanee. Le formulaire portait déjà le sceau de BRC Ltd et je suis parti remettre le document à P.K, le Customs Clerk de Ligentia Mtius Ltd. J'ai aussi pris le delivery order pour aller le déposer à la caisse de l'entrepôt de MFDFS», a déballé Kistnah aux enquêteurs.

Durant l'enquête, Navind Kistnah aurait aussi allégué qu'il a été plusieurs fois en contact avec Peroomal Veeren sans savoir que celui-ci était en prison. Tout cela à travers Ramdin. De plus, en septembre 2016 lorsque Kistnah était en vacances en Angleterre, une avocate dont il a fourni le nom aux enquêteurs lui avait demandé de déposer une lettre de demande de documents sur le cas Veeren au Privy Council, pour elle. Kistnah déplore le fait qu'il attend toujours alors que d'autres cas après le sien sont déjà bouclés. «Je sens que pas mal de personnes dont celles proches du pouvoir ont été protégées ...»

Le courtier arrêté le 15 avril 2017, avait été escorté de Maputo à Maurice par l'ancien patron du NSS Lockdev Hoolash et le SP Lilram Deal, de l'Antiterrorism Unit.

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