Et voilà que dimanche 10 mars 2024, au cours d'un meeting d'investiture qui a réuni des centaines de militants et sympathisants de son parti, Succès Masra a accepté d'être le porte-drapeau « Des Transformateurs » à la présidentielle du 6 mai prochain.
« Je réponds présent comme candidat à l'élection présidentielle (...) pour réparer les cœurs et réunir le peuple », a-t-il expliqué, sous les vivats de ses supporteurs, avant d'ajouter : « Je suis candidat pour être le pilote principal de l'avion ».
Drôle de candidature, s'il en est, au regard du parcours de l'actuel « copilote » parvenu au cockpit à la grande stupéfaction des Tchadiens.
En effet, principal opposant au maréchal Idriss Déby Itno, mort au cours d'une bataille contre les rebelles en avril 2021, Succès Masra reste sur sa stature d'irréductible adversaire du clan Déby aux affaires depuis trois décennies.
C'est que sitôt Mahamat Idriss Déby Itno désigné par le conseil de famille pour succéder à son père, sitôt l'ancien haut fonctionnaire de la BAD à l'abordage, dénonçant un « coup d'Etat ».
Figure de proue de la coalition de partis politiques et d'organisations de la société civile contre la prolongation de la transition, initialement prévue pour une durée de dix-huit mois, au terme de laquelle Déby-fils s'était engagé à rendre le pouvoir aux civils, Succès Masra est contraint à l'exil après la répression sanglante du 20 octobre 2022.
Ce jour-là, l'armée et la police n'ont pas hésité à faire usage d'armes à feu contre des manifestants aux mains nues, descendus dans les rues de N'Djamena et d'autres villes du pays pour s'opposer à la participation du chef de la transition à la prochaine présidentielle. Bilan de ce jeudi noir : des centaines de jeunes tués, selon l'opposition et des organisations internationales, tandis que le gouvernement avance le chiffre d'une cinquantaine de morts.
Commence alors pour le fondateur du parti « Les Transformateurs » un exil qui le conduira d'abord au Cameroun voisin puis au Etats-Unis d'Amérique.
Au terme d'une médiation conduite par le président de la RDC, Félix Tshisekedi, il est de retour au bercail à la faveur d'un « Accord de réconciliation nationale ».
Mais ce chemin du retour se révèlera le chemin de Damas pour cet enfant prodige, docteur en économie et redoutable opposant.
En effet, à la surprise générale, si vraiment c'en est une, il est nommé Premier ministre le 1er janvier 2023. Un joli cadeau de nouvel an qui a eu pour effet immédiat de ramollir l'opposant radical.
« Trahison », s'insurgent nombre de ses partisans et l'opposition, « poursuite de la lutte par d'autres moyens », tempèrent certains observateurs de la scène politique.
Avec cette candidature du Premier ministre contre le président en exercice, difficile de savoir à quel nouveau jeu s'adonne ce duo de l'exécutif.
Autrement dit, à quelle logique répond cette « candidature prétexte » de Succès Masra ?
Simple jeu de rôle pour donner un soupçon de crédibilité à une élection dont l'issue finale est connue d'avance ?
Car on voit mal ce candidat accompagnateur disputer sérieusement le fauteuil présidentiel, pour ne pas dire le trône, avec celui qui l'a hissé au rang de deuxième personnalité de l'Etat tchadien.
Maintenant que la nouvelle épouse du président Kaka (grand-mère en arabe tchadien) est descendue dans l'arène, on se demande, comme l'autre, « qui va garder la maison ? ».
Ce numéro de funambulisme politique de Succès Masra rappelle bien celui de nombreux « opposants historiques », « chefs de file de l'opposition » dont le manque de constance a fini par blaser les électeurs sous nos tropiques.
De quoi donner du grain à moudre aux partisans du mode de dévolution du pouvoir par des voies autres que celle des urnes.