Madagascar: Dr Denis Alexandre Lahiniriko - « En histoire, rien n'est sacré... »

La chanson « Mitsangana ry tanora » a irrité bon nombre de personnes. Interprété par Eliandry, Didà et Tahina, l'hymne du parti politique nationaliste anticoloniale MDRM a été remixé à leur manière. Dès lors, des réactions ont plu sur Facebook. Les artistes se sont, par la suite, excusés auprès de leurs compatriotes. L'historien Dr Denis Alexandre Lahiniriko a avancé son point de vue lors de son entretien avec l'équipe de Midi Madagasikara.

Midi Madagasikara. « Mitsangana ry tanora » a fait le buzz. Ce qui a éveillé le nationalisme dans les coeurs des Malgaches. En tant qu'historien, qu'en dites-vous?

#Denis. A. Lahiniriko. D'abord, il signifie que la génération actuelle a une vision contextualisée de l'histoire. Leur regard du passé est en fonction du présent. Elle essaie de s'approprier un passé qu'elle ne connaît pas réellement, un passé dont elle ne décode pas forcément les valeurs.

M.M. La reprise de la chanson est-elle synonyme de blasphème, en quelque sorte ?

#D.A.L. La période coloniale est si éloignée, cette génération ne connaît pas les souffrances de ceux qui ont lutté contre le système colonial. Elle agit et réagit suivant les valeurs d'aujourd'hui, époque à laquelle le paraître comme le superficiel sont importants. Donc elle a cru bien faire quand elle a choisi de « moderniser » cet hymne du MDRM.

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M.M. Comment pouvez-vous expliquer la réaction des Malgaches ?

#D.A.L. Cette réaction paraît normale sauf qu'elle est révélatrice de cette relation toujours difficile entre les Malgaches et leur passé. Encore une fois, les Malgaches font preuve de s'accrocher à une « histoire » qui ne l'est pas.

M.M. Selon vous, ces jeunes ne défendaient-ils pas la valeur traditionnelle ?

#D.A.L. En fait, il ne s'agit pas de défendre une quelconque valeur traditionnelle. Il s'agit plutôt d'une tentative de s'accrocher à une « mémoire collective », une représentation magnifiée du passé même si au fond on ne connaît pas réellement ce passé. Ainsi, défendre le « nationalisme » est non seulement « politiquement correct » mais devient une « obligation sociale et civique ».

M.M. Est-ce tabou de mélanger la tradition et le moderne ? Ce genre de cover dénature-t-il notre identité ?

D.A.L. C'est un des signes permettant au final de reconnaître une nation en crise et dans laquelle la question d'identité est centrale. Mais au lieu d'aborder de front cette problématique de l'identité, on l'esquive. Et quand un événement comme le « cover » apparaît, les réactions sont toujours vives. Enfin, les réactions sur ce « cover » prouve encore une fois que la question de liberté, y compris le droit à l'impertinence, n'est pas toujours garantie dans un pays. La place du « collectif » ainsi que la persistance de la culture unanimiste sont trop fortes à tel point qu'elles écrasent toute initiative individuelle. Cela explique en partie pourquoi la démocratie, en tant que système politique, n'a jamais fonctionné dans ce pays. C'est très révélateur de la situation socio-politique mais également économique difficile dans laquelle se trouve aujourd'hui Madagascar.

M.M. Le chant de la révolution du MDRM est-il sacré à ce point ?

#D.A.L. En histoire, rien n'est sacré, y compris les débats sur notre identité ou encore sur les significations réelles de la lutte pour l'indépendance. Mais quand un pays a des difficultés à se projeter dans l'avenir, il lui est facile d'invoquer et de défendre un passé « sacré » car magnifié.

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