Tunisie: Abdellatif Meziou, membre du bureau exécutif de la Conect à La Presse - 'La mésofinance est aujourd'hui le nerf de la guerre'

13 Mars 2024

Les PME sont la cheville ouvrière de l'économie tunisienne. Fragiles mais résilientes, elles ont dû faire les frais des chocs exogènes (crise Covid et guerre en Ukraine), qui ont mis à rude épreuve leurs activités. Aujourd'hui, elles ont besoin d'un nouveau souffle pour pouvoir s'adapter à une conjoncture incertaine qui n'a que trop duré. Entre difficultés d'accès au financement et aux marchés et pénurie de compétences, il est urgent de leur venir en aide à grand renfort d'argent, mais aussi d'accompagnement. Et la tâche, il faut l'avouer, s'alourdit davantage sur fond de contexte économique difficile.

Dans un entretien accordé à La Presse, Abdellatif Meziou, membre du bureau exécutif de la Conect, a souligné qu'en raison de leur petite taille, les PME font montre d'une plus grande vulnérabilité en comparaison avec les grandes entreprises qui ont fait du chemin et ont acquis de la robustesse leur permettant de faire face aux aléas de la conjoncture économique. Aujourd'hui, elles sont confrontées, affirme-t-il, à plusieurs difficultés qui se sont accentuées avec l'apparition des chocs exogènes, tels que l'inflation importée. Selon Meziou, la PME tunisienne souffre de quatre principaux problèmes.

Le financement, ce rocher de sisyphe

Tout d'abord, il y a le fameux problème d'accès au financement. Le membre du bureau exécutif de la Conect explique, à cet égard, que l'effet d'éviction causé par le surendettement de l'Etat auprès des banques, pèse énormément sur les entreprises. "Lorsque l'Etat s'endette auprès des banques, il y aura forcément un assèchement des liquidités qui auraient pu servir au financement des entreprises. La grande part des financements est accaparée en premier lieu par l'Etat, suivi des grandes entreprises. Pour les PME, reléguées au second plan, il ne reste que des miettes. L'accès au financement bancaire est difficile.

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Il est vrai qu'il y a d'autres types de financement alternatif, mais ils sont coûteux, moins disponibles et ne correspondent pas toujours aux besoins des PME", a-t-il affirmé. Il a ajouté qu'aujourd'hui, la mésofinance constitue la solution idoine pour répondre aux besoins de financement des petites et moyennes entreprises. En effet, les banques, explique-t-il, ne se positionnent pas sur ce segment préférant financer soit les grands projets, qui sont de plusieurs millions de dinars, soit les petits projets dont la valeur ne dépasse pas quelques dizaines de milliers de dinars. "La mésofinance est aujourd'hui le nerf de la guerre. Beaucoup de PME ont besoin d'un financement de l'ordre de quelques centaines de milliers de dinars. La banque ne se positionne pas sur ce segment. Il n'y a pas assez d'opérateurs qui le couvrent. Il y a un vide en termes d'offres de financement", a-t-il poursuivi.

Ouvrir le marché à la concurrence

Selon Meziou, l'accès au marché représente une autre difficulté que les PME peinent toujours à surmonter. Il a, à cet égard, indiqué que le marché local est verrouillé par un groupe de rentiers qui font barrage aux nouveaux entrants. "Depuis les années 70, on a voulu créer des champions sectoriels. Le problème, c'est qu'on a créé des rentiers. On les a protégés en instaurant des barrières à l'investissement telles que les autorisations, les cahiers des charges qui exigent des conditions désobligeantes... et dont le coût est prohibitif. Aujourd'hui, nous devons libérer l'accès au marché et à l'investissement. Le fait de supprimer les autorisations et n'exiger que des cahiers des charges est un pas en avant.

Mais dans certains secteurs, la demande des cahiers des charges n'est pas justifiable", met-il en avant.

Il a ajouté que les situations de monopoles ou d'oligopoles qui prévalent aujourd'hui sur le marché sont à l'origine des prix excessifs et des manoeuvres de spéculation. "Si on veut maîtriser les prix, il faut ouvrir la voie à la concurrence. Elle est la main invisible qui régule le marché. Il faut revigorer les organismes de régulation et de contrôle, tels que le conseil de la concurrence, et ce, en les dotant suffisamment de moyens humains et financiers. C'est ainsi qu'on peut mettre en place une concurrence saine et loyale. Car les petites et moyennes entreprises ne peuvent prospérer que dans un environnement où elles peuvent être compétitives", a-t-il suggéré.

La fuite des compétences, jusqu'à quand ?

Meziou enchaîne en mettant l'accent sur la problématique de la pénurie de la main-d'oeuvre, un fléau qui ronge aujourd'hui l'entreprise tunisienne. " Le déficit en compétences et en ressources humaines pose actuellement problème. La fuite des cerveaux touche tous les domaines et toutes les professions. Le phénomène a pris tellement d'ampleur qu'on est arrivé à un stade où cette émigration n'est plus motivée par des raisons économiques.

Beaucoup partent aujourd'hui à l'étranger, non pas pour percevoir des salaires plus élevés mais, pour d'autres raisons, telles que l'accès à des services de santé et à une éducation de meilleure qualité pour leurs enfants", a-t-il déploré. Il a fait savoir, que dans ce contexte, les entreprises sont appelées à réfléchir à des approches innovantes en mettant en place des programmes RSE visant à garantir l'épanouissement professionnel et personnel des employés.

L'entreprise poussée jusqu'aux limites de sa résilience ?

Evoquant la lourdeur administrative, le représentant de la Conect a expliqué, qu'aujourd'hui, l'entrepreneur se perd dans les méandres de l'administration. Entre paperasse à fournir et autorisations à obtenir, c'est tout un parcours de combattant qu'il faut réussir, ajoute-t-il. "Le démarrage des activités d'une entreprise peut être entravé à cause d'une procédure administrative qu'on peine à parachever. Pendant ce temps-là, cette dernière pâtit du renchérissement du coût d'investissement, mais aussi de son retard technologique. C'est de la bureaucratie pure et dure.

Aujourd'hui, il est nécessaire de transformer cette crainte et cette appréhension dont font preuve les responsables administratifs et qui paralysent la prise de décision, en un climat de confiance propice à l'investissement. Il faut rétablir cette confiance entre entrepreneur et administration", a-t-il insisté. Il a souligné que la Tunisie est, aujourd'hui, en manque d'investissement. "La PME est fortement menacée car les perspectives sont incertaines. Une PME qui ne croit pas ne peut pas survivre sur le long terme. Soit elle grandit, soit elle disparaît, sans possibilité de juste milieu. Plusieurs PME aujourd'hui risquent de disparaître, même si elles sont extrêmement résilientes. Les Tunisiens sont très innovants en termes d'approches pour résoudre les problématiques. On est dans la recherche perpétuelle de solutions, mais la résilience a des limites et on ne peut pas construire toute une économie sur cette caractéristique. Il faut renouer avec la croissance", a-t-il conclu.

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