Au Mali, le colonel Houssein Ghoulam rejoint le Jnim (Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans). Il était jusqu'à présent chef d'etat-major du Mouvement arabe de l'Azawad (MAA), l'un des groupes qui compose la rébellion du CSP (Cadre stratégique permanent). Le Jnim, lié à al-Qaïda, a officialisé son ralliement lundi dans un communiqué. Un coup dur pour les rebelles, qui tentent de se réorganiser après leur défaite, en novembre dernier, face à l'armée malienne et à ses supplétifs de Wagner.
Le Jnim le qualifie de « chef militaire chevronné » et salue son « engagement » « contre l'agression malienne et russe ». Le colonel Houssein Ghoulam, qui fut membre de la Garde nationale malienne avant de rejoindre la rébellion indépendantiste en 2012, combat donc désormais avec le groupe jihadiste lié à al-Qaïda. Chef d'état-major du Mouvement arabe de l'Azawad, le colonel Ghoulam était également le commandant du secteur Est de la région de Tombouctou pour les rebelles du CSP. « Il est parti seul avec son équipement et une voiture », assure une source au sein de la rébellion. D'autres sources affirment qu'un nombre important de combattants l'aurait suivi, ce dont le communiqué du Jnim ne fait pas mention.
« Facile à remplacer »
Plusieurs cadres du CSP rappellent en tout cas que le colonel Ghoulam n'en est pas à son premier revirement. En 2018, il avait abandonné ses fonctions militaires au sein de la coalition rebelle, tout en conservant celles qu'il occupait au MAA. L'un d'eux le qualifie même de « girouette ». « Nous ne manquons pas de chefs militaires » ajoute un responsable du CSP, « il ne sera pas difficile à remplacer ». Un autre cadre de la rébellion précise : « il n'a plus combattu depuis la bataille de Ber », son fief, près de Tombouctou, en août dernier. « Son départ sera sans effet pour nous », balaye cette source.
Dans la foulée, le mardi 12 mars, le CSP a procédé à une série de nominations au sein de son dispositif militaire : de nouveaux commandants de zones ont ainsi été affectés à toutes les régions du Nord. Un remaniement des forces qui n'a « rien à voir avec le départ de Ghoulam », précise un cadre de la rébellion.
Réorganisation
Cette défection ressemble pourtant à un coup dur pour les rebelles du CSP, qui tentent actuellement de se réorganiser et dont les dirigeants ont à maintes reprises affirmé que leur guerre n'était pas terminée. Depuis la défaite du CSP à Kidal il y a quatre mois, face à l'armée malienne et au groupe russe Wagner, les rebelles n'ont plus mené aucune action sur le terrain. Contrairement aux jihadistes du Jnim, qui multiplient les attaques meurtrières contre les forces maliennes.
« Il n'y a rien de nouveau ni de surprenant, estime une source sécuritaire malienne à Bamako. Beaucoup d'anciens rebelles ont pris le maquis avec les terroristes ». Pour cette source, ainsi que pour d'autres observateurs avertis, l'attrait du Jnim aux yeux de certains rebelles est d'autant plus fort que le CSP semble actuellement en sommeil, du moins d'un point de vue militaire.
À ce jour, impossible de savoir combien de combattants pourraient avoir quitté une rébellion affaiblie pour grossir les rangs des jihadistes. On notera que c'est la toute première fois que le Jnim communique sur un tel ralliement.
Différences et porosité
Le passage du colonel Houssein Ghoulam du CSP au Jnim démontre en tout cas que, contrairement au discours des autorités maliennes de transition, les groupes rebelles et les groupes jihadistes sont bel et bien distincts. Par le passé, des affrontements meurtriers les ont d'ailleurs opposés, le MNLA notamment a payé un lourd tribu face aux combattants d'al-Qaïda.
Mais ce transfert rappelle également que la porosité entre certains de ces groupes, maintes fois pointée du doigt, n'est pas un mythe. Et que le contexte actuel pourrait inciter d'autres combattants issus des groupes armés du Nord, signataires de l'accord de paix de 2015 désormais enterré, à changer de chapelle.
Aujourd'hui, les objectifs des groupes rebelles et jihadistes demeurent différents, mais leur ennemi principal est le même : l'armée malienne et ses supplétifs de Wagner. Auquel on peut ajouter le groupe jihadiste rival : l'EIS (État islamique au Sahel). Après quelques mois d'accalmie, les combats entre le Jnim et l'EIS ont repris le weekend dernier dans le Gourma malien, près de la frontière avec le Burkina Faso.
«La rébellion n'a pas repris l'initiative et les combattants veulent se battre» Le chercheur malien Boubacar Ba, spécialistes des groupes armés au Sahel, dirige à Bamako le Centre d'analyse sur la gouvernance et la sécurité au Sahel (CAGS). Il analyse pour RFI le ralliement du colonel Ghoulam au Jnim.
RFI : Quelles sont les raisons pouvant expliquer ce changement de camp du colonel Ghoulam ?
Boubacar Ba : La première raison est liée à la défaite de la rébellion au mois de novembre 2023. Les forces armées maliennes ont pu prendre Kidal, la rébellion n'a pas repris l'initiative, et les combattants veulent se battre, comme Ghoulam ! Donc, il s'est retrouvé dans une situation où il pense qu'en rejoignant le Jnim, il pourrait avoir une nouvelle place. La deuxième raison, c'est que lui-même avait des liens avec le Jnim depuis plusieurs années. Je pense qu'il a utilisé tous ses moyens pour réengager cette nouvelle posture de membre du Jnim, pour pouvoir mener des opérations sur le terrain.
A-t-on une idée du nombre de combattants qui, comme le colonel Ghoulam, auraient quitté la rébellion du CSP pour rejoindre les jihadistes du Jnim, ces derniers mois ?
On n'en a pas une idée exacte. Ce n'est pas un nombre massif, c'est clair, parce que les rebelles sont en train de s'organiser et de consulter. Mais il va falloir analyser et voir dans les jours à venir l'ampleur de ce nombre (de combattants, Ndlr) qui est en train de rejoindre le Jnim.