On ne comprend plus rien dans cette affaire Ousmane Sonko qui tient, depuis bientôt plus de deux ans, en haleine tout le Sénégal et bien au-delà. Le dossier vient, en effet, de connaitre un nouveau rebondissement tout aussi surprenant qu'inattendu.
En effet, par correspondance adressée au Tribunal d'instance hors classe de Dakar, par l'Agent judiciaire de l'Etat, l'Etat du Sénégal se désiste de son pourvoi contre l'ordonnance numéro 01 du 14 décembre 2023 prise par ledit tribunal. En rappel, cette ordonnance visait la réhabilitation du leader du Pastef et sa réintégration sur les listes électorales, et venait en confirmation de la décision d'un juge du tribunal de Ziguinchor émise en mi-décembre 2023.
Et les conséquences de cette brusque tournure des évènements sont immédiatement tirées par l'avocat de l'opposant, Juan Branco, qui estime que son client retrouve la plénitude de ses droits civiques. «L'Etat du Sénégal se désiste de son pourvoi contre la décision de Dakar. La condamnation d'Ousmane Sonko par contumace est donc définitivement anéantie. La condamnation pour diffamation étant couverte par la loi d'amnistie, le casier judiciaire de M. Sonko redevient vierge. M. Sonko sera réinscrit sur les listes électorales à date de promulgation de la loi d'amnistie», a-t-il laissé entendre.
Sonko a profité de sa persécution pour augmenter son capital de sympathie au sein de l'opinion publique sénégalaise
Mais les questions que l'on peut se poser face à ce brusque emballement de l'histoire, sont les suivantes : Pourquoi maintenant ? Pourquoi n'avoir pas fait ce désistement plus tôt pour permettre à Ousmane Sonko de candidater pour la présidentielle ? Il est difficile de répondre avec exactitude à ces questions, faute d'être dans le secret des dieux.
Mais l'on imagine que ce désistement de l'Etat dans l'affaire Sonko, est l'une des conséquences immédiates du dialogue politique initié par le président Macky Sall afin d'aller à une élection apaisée et dont l'une des recommandations fortes était la libération des prisonniers politiques. Du reste, ce désistement s'inscrit dans l'ordre normal des choses au Pays de la Teranga où les arrangements politiques dans les dossiers judiciaires sont monnaie courante.
L'on garde tous en mémoire, à titre illustratif, l'arrangement qui avait permis à Karim Wade de se soustraire des rets de la Justice sénégalaise pour jouir d'un exil doré dans les pays du golfe arabique. Mais l'autre explication serait que le président, Macky Sall, cherche à se racheter au soir de sa présidence après avoir fait voir des vertes et des pas mures à l'opposant sénégalais qu'il a manoeuvré pour écarter de la course à la présidentielle. Et cette attitude est bien compréhensible dans la mesure où le leader du Pastef n'est plus un concurrent pour lui.
Mais l'on peut aller plus loin en disant que Macky Sall travaille à couvrir ses arrières au moment où il n'est qu'à quelques heures de son départ du palais présidentiel. Il n'était, en effet, pas exclu, qu'il se retrouve lui-même devant les juridictions pour répondre du martyr qu'il a fait subir à l'opposant au moment où il serait dépossédé du pouvoir présidentiel.
On peut déplorer une fois de plus, le fait que la Justice sénégalaise s'est laissée instrumentalisée à des fins politiques
C'est donc un pare-feu que l'homme essaie de créer pour couvrir sa retraite. Cela est d'autant plus vrai qu'il n'existe aucune certitude que son dauphin remporte l'élection à venir parce que ne faisant même pas l'unanimité au sein même de sa famille politique. Mais le mal n'est-il pas déjà fait ? De toute évidence, la réponse à cette interrogation est affirmative à partir du moment où la réhabilitation d'Ousmane Sonko ne lui permet plus, pour la présente élection présidentielle, de réaliser son rêve de parvenir à la magistrature suprême.
Mieux, il a souffert dans sa chair les affres de la persécution politique qu'il a partagée avec certains de ses militants et soutiens. L'on peut se demander si la fin des poursuites judiciaires contre lui, permettra d'effacer toutes les stigmates de cette descente aux enfers que l'opposant a connue. Cela dit, l'on ne doit pas non plus trop s'apitoyer sur le sort de Sonko qui, à bien des égards, mérite ce qui lui est arrivé. Il a opté de défier la Justice de son pays qu'il ambitionne pourtant de diriger un jour. Il a ainsi donc offert des verges à Macky Sall pour se faire flageller.
Mais comme le dit le proverbe, « à quelque chose, malheur est bon ». Sonko a largement profité de sa persécution pour augmenter son capital de sympathie au sein de l'opinion publique sénégalaise. Et cela a pour effet d'agrandir la base politique et sociale de son parti. Il est désormais une option sérieuse pour les autres rendez-vous électoraux à venir s'il ne vendange pas le capital acquis à travers d'autres dossiers politico-judiciaires.
Mais en attendant de voir ce que l'avenir réserve à Ousmane Sonko, l'on peut déplorer qu'une fois de plus, le fait que la Justice sénégalaise s'est laissée instrumentalisée à des fins politiques. Et cela ne vient pas redorer le blason de cette institution qui est aussi dans le creux de la vague avec les accusations de corruption portées contre deux juges du Conseil constitutionnel. Le Sénégal a mal à sa Justice et l'un des défis du futur vainqueur de la présidentielle à venir, serait de nettoyer les écuries d'Augias .