Soudan: Khartoum - « La situation reste extrêmement difficile et risque de continuer de se dégrader »

communiqué de presse

Alors que Khartoum est depuis de longs mois l'épicentre de la guerre au Soudan, une partie de la ville connaît désormais une relative accalmie. Néanmoins, la situation dans la capitale soudanais reste extrêmement difficile et précaire pour la population civile qui continue d'y vivre. Retour sur la situation avec Jean-Guy Vataux, qui revient du Soudan, où il était chef de mission basé à Khartoum.

Après plusieurs mois sous le contrôle des Forces de soutien rapide (RSF), quel est l'état de la capitale soudanaise ?

Khartoum est en partie une ville fantôme. Les habitants ont fui en masse, et seuls 20 à 30 % y habitent encore. Cependant, certains sont revenus après que les RSF ont pris le contrôle de l'État voisin d'Al-Jazirah en décembre. Ainsi, dans certaines zones, on peut voir des scènes de vie ordinaires, comme des enfants qui jouent dehors et des parents allant au marché. Mais l'ambiance reste très tendue et extrêmement anxiogène, voire post-apocalyptique. De nombreux bâtiments ont été détruits et pillés. De nombreux combattants des Forces de soutien rapide parcourent les rues et organisent régulièrement des points de contrôle.

Khartoum reste donc une ville en guerre. Les Forces de soutien rapide attaquent souvent les enclaves gouvernementales à l'aide d'artillerie, tandis que les forces armées soudanaises répondent par des bombardements aériens. Il règne toujours une atmosphère de guerre active et une peur très forte des deux parties au conflit au sein de la population. Par exemple, certains membres du personnel travaillant à l'hôpital turc soutenu par MSF ne sortent jamais, pas même pour faire une course devant l'hôpital.

Quelles sont les conditions de vie des civils restés à Khartoum ?

Depuis que les RSF ont pris le contrôle de l'État voisin d'Al-Jazirah, les marchés de Khartoum sont mieux approvisionnés en nourriture, notamment en fruits et légumes. Mais la situation reste extrêmement difficile pour les habitants et risque de continuer de se dégrader. Il y a une crise économique majeure au Soudan. Et pas seulement depuis le début de la guerre. Depuis cinq ans, l'économie est en déclin et aujourd'hui, il est très difficile de gagner sa vie à Khartoum. C'est une économie basée sur le pillage, et à terme, il ne restera plus rien à piller.

Les indicateurs globaux calculés par les équipes des Nations unies pour l'État de Khartoum sont extrêmement préoccupants. Même si nous n'avons pas été en capacité de les confirmer à travers nos opérations, ils montrent que 3,9 millions de personnes sont confrontées à des niveaux élevés d'insécurité alimentaire (Phase 3 ou supérieure de l'IPC) dans l'État de Khartoum.

Il existe également un risque d'épidémie, qui pourrait entraîner des taux de mortalité élevés au sein d'une population particulièrement vulnérable en termes de nutrition. Pour l'heure, Khartoum a été relativement épargnée, probablement en raison de la faible densité de population due aux départs massifs des habitants. L'épidémie de choléra, qui s'est développée principalement dans les villes de l'est du Soudan, a touché la capitale, mais à un rythme très faible. De même, quelques cas de rougeole ont été enregistrés, mais là aussi l'épidémie est restée extrêmement limitée. Khartoum n'a pas non plus connu d'épidémie de dengue, même si d'importantes épidémies ont eu lieu dans d'autres villes soudanaises. Mais rien ne garantit que Khartoum ne sera pas touchée par de futures épidémies.

Comment la population accède-t-elle aux soins de santé ?

Il existe quelques hôpitaux financés et gérés par les Forces de soutien rapide, qui effectuent un peu de travail médical dans la ville, mais ceux-ci sont principalement destinés à leurs combattants. Un programme de chirurgie cardiaque hautement spécialisé, mis en place par une ONG internationale, continue également de fonctionner, sans répondre tout à fait aux besoins d'une population dans une ville en guerre. Il ne reste plus que quatre hôpitaux et un centre de soins de santé primaire soutenus par MSF.

Même si Khartoum a atteint une certaine stabilité en termes de sécurité, se rendre à l'hôpital reste un risque majeur. Les gens retardent leur venue le plus longtemps possible et réfléchissent à deux fois avant de traverser la ville. Les seules personnes qui continuent à venir rapidement sont celles dont la vie est menacée, qu'il s'agisse de blessés de guerre ou d'accidentés.

À l'hôpital turc, on a vu des gens prendre de gros risques pour venir se faire soigner, comme traverser le Nil en bateau alors qu'il y avait des bombardements et des tireurs embusqués partout.

Comment l'hôpital turc où vous étiez basé à Khartoum continue-t-il de fonctionner ?

L'hôpital turc est l'un des rares hôpitaux où le personnel est resté après le déclenchement de la guerre. Aujourd'hui, les équipes du ministère de la Santé nous expliquent que si MSF n'était pas venue soutenir l'hôpital, que ce soit en fournissant des médicaments ou en payant des salaires, elles auraient quitté la ville, et donc leurs postes, très rapidement.

C'était un hôpital qui se trouvait dans une zone gouvernementale lorsque MSF a débuté sa collaboration. Il est ensuite passé sous le contrôle des Forces de soutien rapide qui se sont emparées de tout le sud de la ville. Malgré cela, l'hôpital a été relativement épargné par les combats et les bombardements.

Depuis, l'activité aux urgences est restée assez constante, avec une centaine de visites par jour, principalement pour des interventions chirurgicales non liées à la guerre, des soins obstétriques ou liés à des accidents de la route. Par période, il y a aussi de la chirurgie de guerre. Lors d'offensives ou de bombardements, nous pouvons soigner jusqu'à 60 blessés de guerre par jour. Pour le reste de l'établissement, il s'agit d'une activité hospitalière classique, avec un service de pédiatrie, une maternité, un service de médecine interne et un petit service ambulatoire.

Quel est l'impact de la guerre sur le personnel de santé ?

Le personnel qui travaille à l'hôpital turc subit une pression immense. D'une part, ils subissent la pression des Forces de soutien rapide, qui procèdent à des arrestations arbitraires et à des détentions brutales au sein de la population civile, notamment des employés du ministère de la Santé. Ces derniers étant des fonctionnaires, les RSF considèrent qu'il pourrait s'agir d'espions à la solde des forces armées soudanaises.

Ils font également face à une méfiance croissante de la part du gouvernement. Alors que la guerre se poursuit et que les fonctionnaires effectuent leur travail dans les zones contrôlées par les RSF, le gouvernement considère qu'ils font désormais partie de ces derniers. Des incidents ont été signalés au cours desquels des fonctionnaires ont été arrêtés et maltraités aux points de contrôle des forces armées soudanaises alors qu'ils retournaient vers les zones gouvernementales, par exemple. Ils sont donc vraiment entre le marteau et l'enclume. Mais évidemment, la crainte est que la pression ne devienne trop forte et qu'ils décident de fuir à l'étranger ou ailleurs au Soudan.

Comment l'hôpital est-il approvisionné en matériel et en médicaments ?

Comme pour les autres structures de santé soutenues par Médecins Sans Frontières, nous avons eu des difficultés à l'hôpital turc à partir d'octobre, lorsque le gouvernement a décidé de bloquer la ville de Khartoum. Il n'était alors plus possible d'acheminer du matériel médical et des médicaments vers les zones contrôlées par les RSF depuis Port-Soudan, où arrivent les cargos.

Il y a donc eu une grave pénurie pendant quelques semaines, jusqu'à ce que les Forces de soutien rapide prennent le contrôle de l'État d'Al-Jazirah et notamment de la ville de Wad Madani où étaient stockés nos approvisionnements. Dès sa reprise par RSF, nous avons pu nous y rendre et amener l'essentiel du stock médical à Khartoum.

Cela dit, dans deux mois, le problème de la pénurie se posera à nouveau. Nous ne pourrons probablement toujours pas acheminer les stocks et les renforts en personnel depuis Port-Soudan, qui reste sous contrôle gouvernemental. Nous ne prévoyons pas un changement de politique de la part du gouvernement. Nous sommes donc en train d'essayer de construire un corridor d'approvisionnement à partir du Tchad.

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