Maroc: Cinq questions à l'écrivaine Hind Berradi

interview

Rabat — A l'occasion de la publication de son premier roman "De mère en mère" (Vérone éditions), l'écrivaine Hind Berradi revient, dans cinq questions à la MAP, sur ses sources d'inspiration et ses messages à travers cette oeuvre qui plonge le lecteur dans le "monde intérieur des femmes" avec la maternité comme fil conducteur.

1- Dans votre conception de l'intrigue, "De mère en mère" raconte-il un drame familial ou c'est plutôt le récit d'histoire (s) de femme (s)?

Je dirai vraiment les deux. Il s'agit d'abord d'histoires de femmes, le récit de ce qu'elles vivent, de ce qu'elles traversent... et c'est en remontant dans ces histoires qu'on découvre le drame familial. Tout cela est tissé, puisque c'est aussi via l'histoire que la parole se libère, qu'il y a des choses et des vécus qui se racontent. C'est ainsi que le noyau du roman est un drame familial, mais les histoires de femmes y sont tout aussi importantes. Mon but n'est pas de faire découvrir ce drame familial, mais de montrer comment il est vécu, ressenti et raconté par les femmes.

Concrètement, le roman met en scène deux femmes enceintes vivant dans deux pays, soit deux histoires, parallèles au départ, qui finissent par se rejoindre via le drame. L'histoire se passe sur les neuf mois de leur grossesse commune. Celle-ci est vécue certes de manière complètement différente, mais j'estime qu'au-delà de toutes les différences les mères traversent toutes la même chose au fond, ce qui fait qu'il y a une certaine connivence et complicité entre ces femmes reliées par la maternité même s'il s'agit d'une expérience unique, vécue chacune à sa manière.

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Dans le roman, Gunié a déjà quatre enfants - le bébé qu'elle porte étant son cinquième, et elle est très maternelle ; tandis que Fred ne veut pas entendre parler d'enfants, ni de maternité. Ce sont deux approches différentes. Mais il y a ce noyau commun de doutes, de questions qu'on se pose autour de la grossesse. Donner naissance à un enfant reste quelque chose qui relie toutes les femmes et mères.

2- Quel a été l'élément déclencheur de l'intrigue, votre source d'inspiration pour ce roman?

Même si au départ, je n'en avais pas conscience, ce sont clairement les histoires et les heures de bavardage avec mes grand-mères, marocaine et française, qui ont inspiré ce roman. Mais ce n'est pas leurs histoires que je raconte. J'étais particulièrement touchée par les récits de ma grand-mère maternelle sur notre passé, nos origines, les soirées familiales,.. De manière générale, je m'intéresse à tout ce qui a trait à la relation voire la séparation mère-enfant, et tout ce qui relève du secret familial, me passionne depuis toujours.

"De mère en mère" se veut ainsi un hommage à mes grand-mères et à la femme de manière générale.

L'autre source d'inspiration du roman est ma double identité franco-marocaine que reflètent les origines des deux protagonistes : deux mondes, deux cultures, deux pays.

3- Vous avez réalisé le roman pendant votre congé parental, les angoisses que l'on peut avoir en devenant maman l'ont-ils inspiré dans une certaine manière ?

Effectivement, mon fils avait un an et demi quand j'étais à l'oeuvre, je m'en occupais à temps plein. Je n'aurai jamais pu faire ce récit sans être maman. Sans s'en rendre compte on parle beaucoup de soi quand on écrit. C'était aussi une forme de thérapie pour moi. Il y a des choses qui ont été plus ou moins bien vécues pendant la grossesse ou la naissance. Cela m'a fait du bien d'en parler, même de manière différente, très détournée. Les doutes, les angoisses, voire parfois la peur de ne pas pouvoir protéger son enfant d'une certaine manière... Il y a tellement de questionnements qui débarquent d'un coup lorsqu'on devient mère, et je trouve qu'on n'en parle pas suffisamment.

Je pense qu'on ne parle pas assez du monde intérieur de la femme, du bouleversement énorme que l'accouchement représente. Ce moment constitue en fait une renaissance pour nous, les femmes. On découvre et on apprend tellement sur soi quand on devient maman. Nos repères dans la vie changent, notre manière de l'aborder du même que nos priorités. D'où l'importance pour la future maman de bien se préparer à ce changement, non seulement au moment de l'accouchement, mais au-delà de manière à lui permettre de retrouver sa place de femme, de mère, de fille, d'épouse, de soeur.

La femme subit beaucoup de pression à la fois de la part de son entourage et de la société dont les attentes implicites peuvent être très différentes d'une famille à l'autre, d'un pays à l'autre. Cela reste une pression inconsciente, mais à laquelle il est possible de remédier avec de l'écoute, de la bienveillance et sans jugement.

En explorant le monde intérieur des femmes, je souhaite leur adresser le message qu'il faut se faire confiance, ne pas laisser la peur et le doute prendre le dessus. La femme a une intuition très développée et quand on traverse la grossesse et l'accouchement, c'est une preuve de plus de tout ce qu'on est capable.

4- Par rapport aux difficultés rencontrées par les deux femmes protagonistes, "De mère en mère" est-il porteur d'espoir ?

Complètement. Dans le roman, les deux femmes sont très persévérantes. Mues par l'envie de découvrir la vérité, elles ne vont rien lâcher. Elles vont apprendre petit à petit à vraiment se faire confiance de plus en plus, et à comprendre les dessous de leurs histoires.

Il est même double mon message. Il encourage les femmes à se faire confiance et, pour tout ce qui concerne les secrets de familles, il s'agit de rappeler l'importance de libérer la parole. Souvent on a l'impression qu'on protège les enfants en gardant le secret, mais aujourd'hui, la psychologie admet que cela fait beaucoup de dégâts.

Même s'il y a des secrets dont on ne parle pas, les enfants le ressentent, et de génération en génération, ce sont des choses qui se transmettent de manière inconsciente. Il est important de faire confiance dans la bienveillance de partager, de parler, de libérer la parole. C'est comme ça qu'on peut guérir des plaies, transcender les obstacles et avancer dans la vie. Ce n'est pas en cachant.

5- Faut-il être femme pour mieux raconter la femme ?

Absolument. Pour raconter la femme, je pense qu'un récit féminin serait plus pertinent. Car c'est une chose de se documenter sur une expérience et une autre de la vivre, la ressentir, la traverser. Je ne vois pas qui peut mieux qu'une femme parler d'une femme. Déjà c'est très différent d'une femme à l'autre. Il faut non seulement être femme mais avoir vécu la situation. Ainsi, quand on est mère on saura mieux parler de la maternité.

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