Les talents de poètes de Joseph Latimer Rangers Randrianasolo émerveille à travers son recueil « Transe divagations et délire », récompensé en 2005 à la Réunion. Retour sur cette oeuvre à siroter comme un verre de brandy.
En 2005, le recueil poétique de Joseph Latimer Rangers Randrianasolo, « Transe divagations et délire » (première parution, 2011 - éditions Laterit) a reçu le prix de poésie française à l'île de la Réunion. Tout dans les qualificatifs et les tournures poussent à embrasser la plus pauvre et la plus mystérieuse des régions de la Grande Île. « Voici l'Androy de ceux qui des décennies durant tinrent tête aux troupes royales merina et aux Vazaha », annonce le grand homme dès les premières lignes. Sans ambages ni animosité nostalgique. Juste pour signaler l'esprit particulier d'une partie de la « civilisation » malgache, à comprendre, à s'en imprégner à travers ses rimes.
Ayant bercé toute une génération de l'entre 60 et 70, Latimer Rangers a proposé une émission hebdomadaire « Tanàna, làlana, havoana sy menamasoandro » sur la station radio nationale, la seule de l'époque. Pour la traduction, tout le monde comprendra sûrement. Un programme qui dans la forme et dans le fond incarnait le présentateur. Un grand voyageur. Les plis et les replis de cette terre de latérite, de nature abondante se révélaient au micro et à l'auditoire de cette émission phare. En guise de pause, il diffusait des titres d'Otis Redding et quelques « hall of fame » de la soul et du rythm'n' blues américains.
Tout Madagascar était scotché à leur moniteur quand commençait à raconter cette voix nonchalante et égale, embellie de descriptions, de vécus et de sons du terroir malgache. Il fallait donc, ce qui manque beaucoup à ce pays, que sa mémoire d'un Madagascar contemporain soit relatée dans un livre. Latimer Rangers a choisi la poésie et des décennies après. Un voyage lyrique où la douleur n'est jamais loin. « Ô ! Terre de l'Androy, tu fleures bon le lait des vaches suitées, pendant que tes fils s'égarent et meurent l'errance des pays lointains, tu prends le deuil de leur long exil », lâche-t-il dans l'épitre « Hazolava ».
Cette terre où personne n'ira en exil, mais que ses natifs fuient. Sur cette partie, « Transe divagations et délire » s'apparente aussi à un appel à retrouver ses racines, à vivre - ou à en souffrir - avec les siens. Détails parmi tant d'autres, la richesse lexicale du parler du groupe humain Antandroy. « Rerelava » par exemple, à l'époque actuelle signifierait l'errance alimentaire d'un homme ou d'une femme. « Tokalava » des lamentations.
« Fanjiry », l'étoile de l'aurore. « Zono », le brouillard. « Vasianampelatovo », l'étoile du Berger à son coucher. « Montombey », la savane inhabitée. Tout comme la qualification précise du vent, « Tiofotsy », « Tiobaratse »... Sur 56 pages, Latimer Rangers a mis toute l'âme et le lyrisme de l'Androy dans « Transe divagations et délire ». Une écriture embrassante, embrasée et élégante comme un salon de lord anglais de l'époque victorienne. « Les pistes, l'histoire de l'humanité en marche, étape sans cesse reprise ! », conclut le recueil. Le voyage ne prendra jamais fin même dans l'éternité.