Ile Maurice: La méthadone à 15 ans est «un couteau à double tranchant»

La prévalence de la consommation de drogues parmi les jeunes générations continue d'augmenter. Face à cette tendance persistante, le ministère de la Santé a pris la décision, en accord avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), de réviser son protocole de distribution de méthadone. Désormais, les jeunes de 15 ans et plus auront accès à cette thérapie dans le but de les sevrer. Cependant, cette initiative préoccupe les travailleurs sociaux, qui redoutent une augmentation du trafic de drogue de substitution.

Les statistiques figurant dans le dernier rapport du National Drug Observatory, publié en novembre 2023, révèlent qu'un nombre significatif de personnes suivent des traitements dans les établissements hospitaliers dans l'espoir de se libérer de l'emprise de la drogue. En 2022, la répartition en termes d'âge chez les personnes en traitement pour la dépendance à la drogue dans les hôpitaux publics se présentait comme suit : chez les moins de 15 ans (0,6 %), chez les 15-19 ans (5,4 %), chez les 20-24 ans (19,1 %), chez les 25-34 ans (40,7 %), chez les 35-49 ans (23,3 %), et chez les 50 ans et plus (10,9 %).

Selon ce même rapport, parmi les personnes admises dans les hôpitaux publics pour des problèmes liés à la consommation de drogues, 25,1 % avaient moins de 25 ans. De même, dans les centres de désintoxication, 31,2 % de tous les nouveaux cas de malades sollicitant un traitement de réadaptation étaient âgés de moins de 25 ans. Les admissions de nouveaux cas âgés de moins de 18 ans ne représentaient que 3,5 % du total des admissions dans ces centres. En réalité, la majorité des nouveaux cas admis dans les centres de désintoxication concerne des personnes âgées entre 18 et 39 ans (83,1 %) et 13,4 % d'entre eux ont 40 ans ou plus.

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Face à la tendance de rajeunissement principalement observée chez les moins de 18 ans, le ministère de la Santé s'engage à lancer une campagne ciblant les jeunes de 15 ans à monter. Cette initiative est déjà en cours. Cependant, à l'heure actuelle, aucun jeune de 15 ans ne bénéficie encore de ce traitement. Dès que le ministère aura identifié les cas éligibles, les recommandations des médecins seront privilégiées. Les bénéficiaires devront alors se rendre dans les hôpitaux pour avoir accès à la méthadone. Le plus jeune patient enregistré pour le traitement de méthadone a 17 ans.

Néanmoins, Ally Lazer, travailleur social, exprime des inquiétudes quant aux conséquences néfastes supplémentaires que cette distribution pourrait avoir sur les jeunes. «Nous constatons déjà que certains jeunes sont sous l'emprise de la méthadone qu'ils achètent illégalement», déplore-t-il. Il critique vivement la façon dont la distribution est effectuée au quotidien. «On dirait que c'est une vente d'alouda au marché central. On demande au commerçant s'il peut mettre la boisson dans une bouteille pour être emportée. Selon le protocole de distribution de la méthadone, personne n'a le droit de l'emporter ailleurs. Elle doit être prise sur le lieu où elle est distribuée et en présence d'un responsable du ministère de la Santé. On se souvient du grand-père qui en avait ramenée à la maison et dont le petit-fils est mort après avoir consommé la méthadone.»

Le travailleur social maintient que cette drogue de substitution n'est pas adaptée aux moins de 20 ans. Il pousse plus loin son raisonnement. «Lors de son introduction, le ministère avait déclaré que la méthadone serait distribuée aux personnes de plus de 20 ans. Pourquoi venir changer son propre protocole aujourd'hui ?» s'interroge Ally Lazer.

En tant que responsable d'un centre de désintoxication, il confie que de nombreux parents viennent le consulter pour des conseils. «De jeunes garçons et filles sont affectés par ce fléau. Il est important de souligner que la méthadone est destinée aux personnes dépendantes à l'héroïne. C'est tragique de voir ces jeunes devenir accros à la méthadone sans jamais avoir pris de l'héroïne. Il ne faut pas oublier que la méthadone est également une drogue, qu'elle est administrée par voie orale, contrairement à celles qui sont injectées avec des seringues. Ne risquons-nous pas d'encourager la consommation de cette drogue de substitution par cette mesure irréfléchie ?»

Il aurait préféré que les responsables du ministère de la Santé tiennent des réunions avec les travailleurs sociaux et d'autres acteurs qui travaillent pour sortir les toxicomanes de cet enfer avant de prendre une telle décision. «Ils jouent avec le malheur», déplore-t-il. Il conclut en évoquant une autre procédure qui devrait également bientôt être mise en place : la distribution de méthadone à domicile. «Devrons-nous craindre pour la vie des enfants qui vivent sous le même toit à présent ?»

Le travailleur social Cadress Rungen, fondateur du Groupe A de Cassis, de même que de la structure Lakaz A, reste perplexe face à cette annonce. Il soulève de nombreuses questions et espère obtenir des réponses. «Est-ce qu'il y a eu des réunions avec les organisations non gouvernementales ou une formation préalable avec elles avant de prendre cette décision ?» demande-t-il. Il tient à souligner que le fait qu'une personne soit sous méthadone ne signifie pas nécessairement qu'elle veuille sortir de sa dépendance à la drogue. «Ce jeune de 15 ans qui recevra de la méthadone, est-il encore scolarisé ? Qu'en sera-t-il de sa prise en charge ?» s'interroge-t-il.

Il évoque également le centre Nénuphar à Montagne-Longue, qui est justement dédié aux jeunes toxicomanes. «Nous avons dû nous battre pour obtenir ce centre. Nous avons déjà discuté du rajeunissement des jeunes toxicomanes. Le centre Nénuphar fait déjà un excellent travail et de ce fait, nous devons comprendre pourquoi nous devons introduire de la méthadone chez les jeunes», ajoute-t-il. Cadress Rungen espère obtenir des réponses à ses interrogations. «Nous sommes des partenaires car nous avons été les premiers à nous engager dans cette lutte pour aider les toxicomanes, bien avant que les autorités ne s'y investissent. Nous voulons continuer à apporter notre contribution pour le bien-être de la société.»

Le Dr Taroonsingh Ramkoosalsing en faveur de cette introduction

Selon le Dr Taroonsingh Ramkoosalsing, psychiatre, qui était responsable du traitement de méthadone lors de son introduction à Maurice, la distribution de cette drogue de substitution à partir de l'âge de 15 ans n'est pas une mauvaise chose. Il soutient que le rajeunissement des consommateurs de drogue est connu de tous, et qu'il est primordial que les jeunes qui ont une dépendance à la drogue dure soient rapidement pris en charge et dans les meilleures conditions. «Il y a des jeunes qui commencent à fumer et à consommer de la drogue dure dès un très jeune âge, et le moyen de combattre ce fléau est de leur donner accès à un médicament de substitution afin de réduire leur consommation et leur dépendance.»

Mais, dit-il, cette prise en charge doit se faire avant que le consommateur de drogue ne commence à prendre sa dose par voie intraveineuse et ne soit exposé à plusieurs maladies, notamment le VIH/Sida, l'hépatite et bien d'autres. Selon le Dr Ramkoosalsing, l'alternative serait aussi le Suboxone (NdlR, ce médicament est utilisé chez les toxicomanes comme produit de substitution aux opiacés tels que l'héroïne ou la morphine. Il permet de supprimer les symptômes de manque qui surviennent lors de la privation de drogue, et qui sont en grande partie à l'origine de la dépendance) qui, selon lui, a aussi fait ses preuves. «Je sais que ce traitement était donné à Mahébourg par le ministère de la Santé où il y avait certains patients mais je ne sais pas si tel est toujours le cas.» Le psychiatre ajoute qu'il est également important qu'il y ait un suivi des jeunes patients qui seront sous traitement de méthadone comme de Suboxone.

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