Sénégal: Endeuillée par la perte de ses fils, Ndiagne réclame des solutions à l'émigration irrégulière

Louga — Avec son lot de morts, l'émigration irrégulière continue de plonger des familles dans le deuil et la tristesse à Ndiagne, une commune du département de Louga (nord) où les familles éplorées réclament des solutions à ce phénomène.

Les habitants de Ndiagne pleurent leurs fils. Modou Diaw et Baye Mame Gor figurent parmi les centaines de personnes qui ont perdu la vie en tentant de rejoindre les îles Canaries, en Espagne. Les deux frères ont péri dans le chavirement d'une pirogue de migrants au large des côtes de Saint-Louis, dans le Nord du Sénégal. La fin tragique de rêves d'une vie meilleure pour les victimes et la souffrance encore vive de toute une famille.

Encore marquée par la perte de ses deux frères, Amy Diaw demeure inconsolable. Les larmes aux yeux, elle dit être encore "profondément choquée et attristée".

La soeur ainée des deux victimes estime qu'ils ne pouvaient pas échapper à leur destin, mais reste convaincue qu'ils n'auraient pas voyagé en mer s'ils disposaient au Sénégal d'emplois décents leur permettant de subvenir à leurs besoins et ceux de la famille.

Elle appelle "l'Etat à investir davantage dans la lutte contre le chômage des jeunes", car "le plus important est qu'il soutienne nos jeunes, pour qu'ils puissent avoir un emploi décent".

Amy Diaw n'est pas d'accord avec ceux qui pensent que le chômage n'est pas une raison suffisante pour se lancer dans une aventure aussi risqué que de prendre la pirogue pour rejoindre l'Europe. Elle dit être convaincue que "la seule chose qui pousse les jeunes à se lancer dans cette aventure périlleuse est qu'ils veulent juste travailler, réussir et aider leurs parents".

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Cet avis semble être partagé par l'oncle des défunts. Ibrahima Niang insiste sur l'urgence d'agir maintenant pour éviter le pire. Après la mort tragique de ses deux neveux, il signale que "sept autres jeunes de la commune qui avaient pris la mer depuis presque deux mois, n'ont pas fait signe de vie.

Ici, la tristesse se mêle à l'inquiétude. Le risque est réel, mais le constat reste patent. Rien ne semble décourager les candidats au départ.

"C'est triste et difficile de perdre ses grands-frères, mais on ne meurt qu'une seule fois", déclare Baye Saliou Diaw, avant de confier que "ses grands frères sont morts pour toute la famille".

Le jeune homme est formel. Ce drame ne l'empêchera pas de tenter l'aventure s'il voit une embarcation de transport de migrants. Selon lui, "personne ne prend la mer pour se suicider, mais plutôt pour aller à la recherche d'une vie meilleure ailleurs".

Les forces vives de la nation invitées à apporter "la meilleure réponse"

L'ancien directeur de la société nationale de transport en commun Dakar Dem Dikk (DDD), Oumar Boun Khatab Sylla, appelle toutes les forces vives de la nation, à se saisir de "la question urgente" de l'émigration irrégulière pour apporter "la meilleure réponse".

"C'est une situation très triste, inquiétante et alarmante qui interpelle tout être humain. Alors, il faut que toutes les forces vives de la nation se saisissent de cette question", a- t-il plaidé.

M. Sylla a reconnu toutefois que "l'Etat a fait beaucoup d'efforts dans plusieurs secteurs, notamment dans l'emploi des jeunes (...)". Mais, selon lui, " avec ce que nous sommes en train de voir, c'est comme si nous étions dans une situation surréaliste".

"La problématique de l'émigration irrégulière persiste parce que tout simplement on ne s'est pas bien posé la question pour réfléchir sur des mesures durables", a-t-il analysé.

Il a insisté sur "la nécessité d'une réflexion profonde sur la question de l'émigration irrégulière pour que les mesures à prendre ou les solutions qui doivent urgemment être apportées, soient efficaces".

Amath Diop, spécialiste en migration et développement à la Direction générale d'appui aux Sénégalais de l'extérieur (DGASE), estime que "l'Etat a le devoir d'accompagner les jeunes afin qu'ils restent au pays pour travailler".

"L'Etat n'a pas le droit de fixer les jeunes, mais le devoir plutôt de les accompagner afin qu'ils restent au pays pour travailler et accompagner la dynamique de développement", a-t-il déclaré lors d'un atelier pour la mise en place d'un cadre régional de concertation sur la migration et le développement (CRCM).

Il a rappelé que "le fait de voyager est un droit inaliénable", ajoutant que "l'Etat ne peut pas dire à telle personne de ne pas voyager, mais il a le devoir d'encadrer pour que cette personne puisse quand même partir de manière ordonnée et régulière". 'C'est le meilleur moyen de lui permettre de travailler de manière sereine et de contribuer véritablement au développement du pays à travers la dynamique de soutien de sa famille", a-t-il fait observer.

Il a insisté sur l'importance de la sensibilisation, la formation et l'accompagnement financier pour permettre à ces jeunes qui "pourraient tenter d'aller de manière irrégulière à l'étranger, de rester et travailler afin de contribuer au développement du Sénégal".

"C'est vrai qu'au Sénégal on n'a pas encore cette politique migratoire formelle, car on a travaillé sur un document de politique qui n'est pas encore entériné, mais il y a plusieurs acteurs qui sont sur le chantier de la migration et du développement, qui sont en train de travailler pour qu'on parvienne à atteindre ces objectifs", a-t-il fait savoir.

Promotion d'une migration sûre, régulière et ordonnée

Un cadre de concertation sur la migration et le développement a été mis sur pied à Louga pour promouvoir "une migration sûre, régulière et ordonnée". La nouvelle structure va interagir avec tous les acteurs concernés par les questions de développement et de migration, dans la région de Louga, selon Moustapha Kémal Kébé, le responsable du Bureau d'accueil, d'orientation et de suivi des Sénégalais de l'extérieur (BAOS) de Louga.

"Ce cadre aura pour mission de renforcer la gouvernance migratoire au niveau régional et d'assurer la synergie des acteurs autour de la migration et du développement, de promouvoir une migration sûre, régulière et ordonnée", a précisé M. Kébé.

"Il y avait beaucoup d'initiatives parcellaires parce que chaque structure travaillait seule. La mise en place de ce cadre permettra d'harmoniser les interventions des acteurs, qui pourront partager leurs informations", a expliqué le responsable du BAOS de Louga en parlant des missions du nouveau cadre.

Cette structure va fédérer les initiatives en matière de financement, d'investissement et de création d'emplois, en lien avec la migration, selon M. Kébé. Il estime qu'elle permettra d'atteindre leurs objectifs en termes de prise en charge des préoccupations des migrants.

Le cadre de concertation sur la migration et le développement va aussi sensibiliser les jeunes sur les dangers de la migration irrégulière et les inciter à n'emprunter que les voies légales, s'ils veulent aller travailler à l'étranger, a dit le responsable du BAOS de Louga.

La structure va associer à cette sensibilisation les autorités administratives, les responsables des services décentralisés de l'État et les associations de ressortissants sénégalais à l'étranger.

Amath Diop magnifie l'initiative du Bureau opérationnel d'appui aux Sénégalais de l'extérieur (BOAS) de réunir tous les acteurs de la gouvernance migratoire pour leur permettre de partager leurs expériences en vue de la mise en place d'un cadre régional de concertation sur la migration et le développement (CRCM).

"Il y a beaucoup d'acteurs qui mènent effectivement des activités extrêmement importantes, mais sans cette une cette synergie-là, il sera difficile d'aller vers des actions coordonnées et efficaces", a-t-il averti.

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