Sculpteur, artiste-plasticien et figure emblématique de l'art en Côte d'Ivoire ayant vécu de 1925 à 1978, Christian Lattier, a fait l'objet d'une conférence sur le thème : « Christian Lattier, le sculpteur aux mains nues ». Une conférence animée par le Professeur de philosophie et critique d'art, Yacouba Konaté, qui a consacré l'essentiel de ses recherches au sculpteur.
Organisée par l'Ecole supérieure d'arts plastiques, d'architecture et de design (Esapad), cette conférence a eu lieu le 13 mars 2024, à l'Institut national supérieur des arts et de l'action culturelle (Insaac).
N'ayant pas eu le privilège de rencontrer le sculpteur de son vivant, Prof. Yacouba Konaté, qui l'avait pourtant vu passer dans les rues d'Abidjan avec sa Renault 6, couleur rose bonbon, l'a décrit comme une personnalité qui ne passait pas inaperçue, déroutante avec un franc-parler. A l'écouter, Christian Lattier vivait avec un hibou dans sa chambre et pouvait détruire ses oeuvres qui étaient pourtant appréciées par le public.
Pour le critique d'art, le sculpteur bien qu'étant issu de l'ethnie Godié, il ne se voyait pas comme le représentant de ce peuple dans l'exercice de son art. Il avait donné une nouvelle présence à la sculpture, il l'a réinventée. « C'est dans cette réinvention qu'il va créer le terme "expression sculpturale". C'est en cela que moi je le présente comme le sculpteur aux mains nues », dit-il.
Chritian Lattier le sculpteur/Architecte...
De plus, Prof. Yacouba Konaté a indiqué que Christian Lattier, durant son vécu, ne s'est pas seulement enfermé dans le champ clos de la sculpture. Mais il est allé vers l'architecture pour apprendre à maîtriser les grandes formes et inscrire ses oeuvres dans l'espace. D'ailleurs, son parti pris pour le monumental et l'architecture va interférer de manière « très forte sur sa production ».
Le professeur a expliqué que l'un des premiers prix qu'il obtient en France, c'est celui des restaurations des Cathédrales. C'est ce prix qui lui donne « une forte résonance. C'est la première fois qu'on autorisait un nègre à toucher aux cathédrales en France. A partir de ce moment, tous les intellectuels français cherchaient à savoir qui est ce monsieur qui a le droit de toucher aux cathédrales de France. C'était son premier titre de gloire ». Christian Lattier a donc été sculpteur et architecte.
A entendre le Prof. Yacouba Konaté, il a construit trois immeubles à Abidjan dont l'immeuble les Arcades au Plateau. « Il militait pour que dans le budget des constructions d'immeubles publics qu'il y ait 1% du budget symbolique qui soit consacré à l'achat des oeuvres d'arts », a-t-il souligné.
A l'en croire, Christian Lattier est la figure « majeure » des arts visuels en Côte d'Ivoire. Mieux, pour lui, il est « certainement l'une des figures majeures au plan de toute l'Afrique dans la mesure où en 1966, c'est lui qui a décroché le grand prix, toutes disciplines confondues au Festival mondial des arts nègres à Dakar, au Sénégal ».
Arrivé en France en 1934 pour faire des études de médecine comme son père Etienne Lattier, médecin de profession, Christian finit par intégrer l'École des beaux-arts de Paris.
Pourtant, raconte Yacouba Konaté, à son retour en Côte d'Ivoire, Lattier n'a pas connu « un meilleur » traitement administratif. Enseignant à l'Ecole des beaux-arts d'Abidjan, devenue aujourd'hui Esapad, il n'en devient pas le directeur malgré son souhait affiché de prendre les rênes de l'institut. Il l'a été une fois par intérim mais il n'a pas été nommé.
« Il était très mal payé à l'époque car il avait entre 45 000 FCfa et 60 000 FCfa comme salaire mensuel. Il n'était pas riche, mais il vendait ses oeuvres. Il y a des Lattier dans des ambassades. Il est respecté, connu et reconnu. Mais il considérait qu'il n'était pas au niveau administratif où il devait être. Il faisait des expositions ».
Trois oeuvres de Christian Lattier recherchées...
Devenu curateur (responsable des oeuvres) de Christian Lattier en 2001, Prof. Yacouba Konaté a indiqué avoir commencé les travaux de recherche sur lui en novembre 1980. Puis, il a sorti un livre intitulé : « Christian Lattier, le sculpteur aux mains nues » en novembre 1993. « J'ai eu à rencontrer ses parents, notamment son père, sa mère, ses frères et soeurs, et aussi certains de ses condisciples et étudiants. Les oeuvres dont j'ai la garde sont celles qui appartiennent à la famille Lattier. Je pense que nous en sommes à 21 oeuvres...dont trois sont recherchées », a déclaré Prof. Yacouba Konaté.
Il a déploré le mauvais traitement de certaines oeuvres de Christian Lattier exposées dans les espaces publics. Comme la destruction de 15 de ses oeuvres qui étaient installées à l'aéroport international Félix Houphouët-Boigny.
Au nombre des oeuvres de ce dernier, Yacouba Konaté a cité les trois âges de la Côte d'Ivoire, le voleur de coque, le bélier, la panthère, le premier jour d'Etienne... Avant de lancer un appel à l'Etat pour que les oeuvres de Christian Lattier soient classées au patrimoine national de sorte que sa famille soit rétribuée. Ou qu'un musée soit construit à la mémoire du sculpteur.
Par ailleurs, la conférence a été marquée par la présence de certains membres de la famille Lattier parmi lesquels son frère Antoine Lattier qui a permis d'éclairer certaines zones d'ombre de l'histoire de leur frère. En effet, le public a été instruit sur le fait que Christian Lattier est un Godié natif du village de Gnago dans le département de Sassandra et non de Grand-Lahou. Il a été marié à une femme de même origine que lui avec qui il n'a pas eu d'enfant.
Pour Antoine Lattier, Christian a été incompris parce qu'il « n'était pas à sa place. C'était un petit blanc au milieu des noires ».
Alors qu'il projetait de passer ses années de retraite en France où il a grandi et s'est acheté une maison, Christian Lattier décède d'une insuffisance rénale à 53 ans.