DAKAR — En Afrique, l'épidémie de COVID-19 et la résurgence des épidémies d'Ebola, de choléra ainsi que de nombreuses maladies infectieuses ont mis en évidence la nécessité pour les Etats d'améliorer et de renforcer leurs capacités de réponses aux épidémies.
C'est dans cette optique que le Centre africain de résilience aux épidémies (CARE) a été inauguré au sein de l'Institut Pasteur de Dakar au Sénégal. Dans cet entretien accordé à SciDev.Net, Amadou Alpha Sall, virologue et administrateur général de l'Institut Pasteur de Dakar, dévoile les objectifs et les missions dudit centre.
Il s'exprime également sur la construction, depuis 2022, d'une usine de fabrication de vaccins anti-COVID-19 et contre d'autres maladies dans la ville de Diamniadio au Sénégal.
Le Centre africain de résilience aux épidémies en abrégé CARE a officiellement ouvert ses portes au mois de janvier 2024 au sein de l'Institut Pasteur de Dakar. De quoi s'agit-il ?
Le Centre africain de résilience aux épidémies (CARE) est un centre qui a pour vocation d'avoir une approche régionale dans tout ce qui concerne la lutte contre les épidémies. Et c'est un concept qui est basé autour de trois éléments importants.
"Si on combine la volonté politique à un appui financier des partenaires, à la formation des capacités de production, on peut d'emblée et définitivement dire que l'Afrique travaille à son autonomie dans le domaine pharmaceutique"Amadou Alpha Sall, Institut Pasteur de Dakar
Un premier élément de préparation aux épidémies dont le but est surtout de former des gens et d'avoir des ressources qui sont capables de lutter contre les épidémies. Un deuxième groupe d'activités est ce qu'on appelle la prédiction et la planification qui tournent autour d'activités de recherches et de prédiction des épidémies.
Un troisième élément concerne la réponse aux épidémies. Alors, il faut savoir que dans la vision de l'Institut Pasteur, au-delà de s'occuper des communautés et de produire par rapport à l'équité dans le cadre de notre mission de faciliter l'accès à la santé, nous avons un gros volet qui concerne tout ce qui tourne autour de la capacité, de la formation et du renforcement des capacités, et c'est sur cette partie-là que le centre va se focaliser.
Quelle plus-value le nouveau centre va apporter par rapport aux dispositifs en matière de lutte contre les épidémies qui existent déjà ?
Il faut savoir que dans le dispositif actuel, un gros élément qui manque ce sont les ressources humaines qualifiées et en quantité. Ça, c'est la première valeur ajoutée. Et au-delà des ressources humaines, la façon dont les ressources humaines sont formées est quelque chose d'absolument essentiel.
Aujourd'hui, quand il s'agit par exemple d'épidémies, il ne s'agit pas que de chercheurs, de médecins qui viennent pour travailler autour d'une maladie. Il s'agit de différentes disciplines ; que ce soit dans le domaine de la communication, de l'anthropologie, de la connaissance technique comme l'épidémiologie ou la prise en charge des malades, nous avons un volet de coordination autour duquel il faut apprendre aux gens à travailler ensemble.
Et de ce point de vue-là, cette approche multidisciplinaire dans la prise en charge des épidémies, c'est quelque chose de très important que CARE fait et qui sera fait de façon différente.
Le troisième élément en termes de plus-value, c'est qu'avec CARE, il y a un laboratoire dont le travail est de créer des produits innovants qui sont très focalisés sur les épidémies (comment on lutte contre les moustiques, comment on fait de nouveaux outils de diagnostic, comment on transporte de façon différente les outils de diagnostic) et il y a toute une salle de crise dont le but est de permettre un peu de coordonner, de collecter des données en temps réel et de pouvoir les utiliser pour prendre la décision.
Y-a-t-il des priorités de formation et de recherche sur lesquelles le Centre va se concentrer ?
CARE a défini cinq domaines majeurs et les a classés comme priorités dans le domaine de la résilience aux épidémies. Le premier domaine concerne ce qu'on appelle les capacités transversales. Ça veut dire que dans ce domaine, on veut enseigner la microbiologie, on va enseigner la biosécurité, l'entomologie, de manière à ce que les connaissances de base puissent être prises en charge.
Le deuxième domaine concerne l'ensemble de connaissances dont on a besoin pour les épidémies. Donc des connaissances extrêmement techniques sur le plan médical, épidémiologique, comment on fait de la surveillance, comment on traite les malades, comment on trace les contacts, comment on diagnostique au laboratoire, etc.
Mais à côté de ça, il y a d'autres domaines qui vont être enseignés, la logistique, comment on déplace les choses quand il y a une épidémie, la communication par rapport aux risques. Vous savez, pendant les épidémies maintenant il faut parler à la presse, communiquer avec la population, les gens peuvent rejeter le vaccin, etc. Il y a le volet anthropologique, comment on approche les communautés, il y a le volet de coordination.
La troisième priorité concerne tout ce qu'on appelle la santé digitale et la science des données. Aujourd'hui, on fait beaucoup de choses avec l'intelligence artificielle.
Le quatrième domaine est un domaine consacré à la formation de la bio-production. Aujourd'hui, comment on fait des vaccins ? Comment on fait des diagnostics ? Il faut l'apprendre aux gens puisque l'Afrique a besoin des gens qui soient formés dans ces domaines.
Le dernier domaine, c'est l'entrepreneuriat. Ce qu'on a remarqué, c'est que dans plein de domaines, il y a des gens qui ont de très bonnes idées mais qui n'arrivent pas à faire des produits qui soient authentiques pour l'Afrique ou des gens qui ont des produits qui soient authentiques pour lutter contre les épidémies en Afrique. Il est question qu'ils puissent avoir les capacités de faire de l'entrepreneuriat pour que ces innovations puissent voir le jour.
Comment le Centre qui est basé au Sénégal et qui cible toute l'Afrique compte-t-il s'y prendre pour agir efficacement dans les autres pays africains ?
Pour agir dans les autres pays africains, nous avons trois mécanismes. Le premier, c'est que nous avons le réseau des Instituts Pasteur. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, nous avons 10 Instituts Pasteur en Afrique. Nous en avons 3 en Afrique du Nord (Maroc, Algérie et Tunisie), 4 en Afrique de l'Ouest (Sénégal, Côte d'Ivoire, Guinée et Niger), 2 en Afrique Centrale (Centrafrique et Cameroun) et 1 à Madagascar. Donc, c'est un premier mécanisme où dans notre réseau, on travaille ensemble dans les différents pays.
Le deuxième mécanisme est que nous travaillons avec les institutions internationales. Nous travaillons beaucoup avec l'OMS, nous sommes ici centre collaborateur OMS pour un certain nombre de maladies et à travers cette collaboration, l'OMS nous demande d'appuyer un certain nombre de pays. Nous faisons de même avec Africa CDC.
Le troisième mécanisme, c'est que des pays eux-mêmes font appel à nous du fait de notre expertise et il nous est arrivé au cours des deux dernières années de soutenir 40 des 55 pays qui existent en Afrique. Donc ce sont généralement les 3 mécanismes à travers lesquels nous travaillons.
En 2022, il a été annoncé la construction d'une usine de fabrication de vaccins anti-COVID-19 et contre d'autres maladies dans la ville de Diamniadio au Sénégal. La production des premières doses de vaccin était prévue pour fin 2023. Où en êtes-vous dans ce projet ?
Ce projet qu'on appelle Projet MADIBA a effectivement été initié pour répondre à la COVID-19 en contexte pandémique avec comme objectif de produire des doses de vaccins en 2023.
Quand on s'est rendu compte que la demande liée à la COVID-19 n'était plus très importante et qu'elle était déjà prise en charge, nous nous sommes inscrits dans une dynamique plus large pour faire des vaccins pandémiques pour prendre en charge les autres pandémies, des vaccins épidémiques et aussi des vaccins pour la vaccination de routine.
C'est pour cela qu'il y a ce réajustement de programmes aujourd'hui. Nous sommes toujours dans la dynamique de produire mais avec trois usines qui vont nous permettre de produire des vaccins de culture cellulaire et des vaccins à partir de la technologie ARN messager.
A travers ce programme qui a été réajusté, notre plan maintenant est plutôt de commencer de produire en 2025, 2026 et 2027 sur ces différentes technologies et avec d'autres vaccins.
Donc à ce jour aucune dose de vaccin n'est encore produite dans cette usine de Diamniadio ?
Il faut préciser qu'aujourd'hui l'Institut Pasteur est un producteur de vaccin contre la fièvre jaune. Dans cette (nouvelle) usine, comme je le disais, nous n'avons pas encore produit de vaccins parce que l'objectif COVID n'est plus pertinent. Donc, on a dû réajuster et faire dans cette usine, et les autres qui sont en construction, d'autres vaccins.
Avec l'ouverture du Centre africain de résilience aux épidémies et la construction de l'usine de fabrication de vaccins, diriez-vous que l'Afrique prend progressivement son destin en main en matière de souveraineté sanitaire ?
Absolument, ça je peux l'affirmer. Il y a d'une part une volonté politique qui est très claire avec laquelle l'Union africaine, les Chefs d'Etats, Africa CDC ont fixé un cap qu'à l'horizon 2040, nous allons produire 60% de nos vaccins alors qu'aujourd'hui, il n'y a que 1%.
Cette volonté politique s'est déclinée dans des programmes et vous verrez par exemple au Sénégal, l'objectif c'est qu'en 2035, ils produisent 50% de leurs besoins en produits pharmaceutiques. Donc cette volonté politique est non seulement continentale mais déclinée au niveau des Etats.
Si on combine la volonté politique à un appui financier des partenaires, à la formation des capacités de production, on peut d'emblée et définitivement dire que l'Afrique travaille à son autonomie dans le domaine pharmaceutique.